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Du rouge à lèvres pour payer ses dettes !

> 01 septembre 2024

Du rouge à lèvres pour payer ses dettes !

La colère de MaigretMaigret est en colère dans ce roman qui commence par une paisible journée de juin (le 12 juin !),1 dans une « atmosphère de vacances » et s’achève, quelques jours plus tard, sur la condamnation d’un coupable… un avocat véreux ayant mis en place tout un système de pot de vin établi au nom de Maigret, dans le dos de Maigret, sur la réputation de Maigret. Maigret n’en décolère pas.

Des suspects ont versé à Me Gaillard de fortes sommes, afin d’être cuisiné en douceur par les équipes de Maigret. Sauf que Maigret n’y est pour rien dans tout ça. Sauf que quand les inspecteurs de Maigret reconvoquent un tenancier de cabaret au sujet d’un règlement de compte, celui-ci se met aussitôt en colère. On lui avait pourtant dit qu’en payant une forte somme il serait tranquille. L’homme, prêt à se rebiffer, est étranglé par son… avocat, l’avocat qui a mis sur pied toute une arnaque lucrative. Pas banale comme histoire.

Un roman qui sent « l’odeur anisée des apéritifs » pris au bistrot en cette saison de l’année. Qui sent la bonne odeur des petits repas tout simples, pris au bord de l’eau. Qui sent les parfums lourds des entraîneuses de boîtes louches !

Le mort, un parfum de respectabilité

Emile Boulay tient plusieurs (3 !) cabarets spécialisés dans le strip-tease à Montmartre. Pour autant, bon mari, bon père de famille, excellent beau-frère, gendre idéal… Bref, pas le genre à être retrouvé étranglé sur un trottoir parisien !

La femme du mort, un parfum d’Italie

La femme du mort est une belle Italienne d’environ 25 ans, « très belle, le teint mat, les yeux sombres ». Une beauté. Tout comme sa jeune sœur d’ailleurs !

Le comptable du mort, un parfum de corruption

Le comptable d’Emile Boulay se nomme… Raison. Il semble apprécier la gent féminine et octroie des rallonges de salaire pour quelques baisers échangés.

Lorsque Maigret l’interroge sur son lieu de travail, il est justement en train de faire affaire avec l’une de ces dames. L’air est saturé d’une odeur de « parfum entêtant » et le brave homme se hâte de passer son mouchoir sur son visage, « par crainte » des « traces de rouge à lèvres » susceptibles de témoigner de son attrait pour les câlineries.

« Mal rasé », dégoulinant de sueur, M. Raison n’a rien du Don Juan… Ses chemises sont ornées de larges « cernes de sueur sous les bras » ! Pour obtenir ce qu’il veut… M. Raison doit payer !

Le chasseur du mort, un parfum de jeunesse

Louis Boubée, dit Mickey, est le dernier à avoir vu son patron vivant. Passant sa vie sur le trottoir de Paris, Louis est au courant de tout. Pourtant, il ignore qui a pu tuer son patron.

Du point de vue physique, Louis possède la taille d’un enfant et les rides d’un homme mûr. Drôle de mixture !

L’avocat du mort, un parfum de scandale

Jean-Charles Gaillard est un bel homme d’une quarantaine d’années. « Bâti en joueur de rugby » ! Un homme séduisant, qui a développé une addiction au jeu. Désormais, il lui faut toujours plus d’argent pour assouvir sa passion !

Et des cosmétiques plein la coiffeuse

Dans les cabarets d’Emile Boulay, règne une « odeur fade, assez écœurante ». Les loges des artistes sont encombrées de « pots de crèmes, de fards, de crayons ». L’odeur des cosmétiques se mêle aux odeurs des corps pour former une alchimie peu réussie. Pouah !

Et des professionnelles qui prennent l’air

Sur le pas d’une porte, Maigret croise une jeune femme « en robe de soirée noire », dont les cheveux sont de « deux tons », sous l’effet de l’éclairage artificiel. Une femme, qui prend l’air et qui n’a pas pris le temps de « refaire son maquillage » entre deux clients.

Et des professionnelles qui attendent le client

Celles-là se liment « les ongles dans un coin » du bar, en attendant que les clients arrivent.

Et un commissaire qui se met dans le bain… lentement !

Durant cette enquête, et comme bien souvent, Maigret tente de se glisser dans la peau d’Emile Boulay, refaisant pas à pas le chemin parcouru le soir de sa disparition. L’enquête patine. Maigret s’irrite… Il met du temps à se mettre « dans le bain » ! Et puis, tout à coup, tout s’éclaire !

Et un commissaire qui fait une pause le week-end

A regret, Maigret est obligé de s’arrêter le week-end, faute de combattants, tous ses inspecteurs ayant pris le large. L’occasion pour lui de passer la fin de semaine à Morsang, à l’auberge du « Vieux garçon », un lieu fréquenté autrefois par la fine fleur de la littérature française. Balzac, Dumas, Flaubert, Zola, Daudet y ayant traîné leurs guêtres, lors de « déjeuners littéraires » mémorables !

Et des escrocs qui maquillent…

… des voitures…

La colère de Maigret, en bref

Le petit monde de la nuit… vu à travers les lunettes d’un commissaire bien lunetté, mais mal luné. Des produits de soin, de maquillage qui empestent l’air. Des odeurs de sueur et de fards rances mêlées. Elle n’est pas très jolie la photographie prise par Georges Simenon dans les cabarets montmartrois. Pas joli non plus cet instantané représentant une justice inique, qui tripatouille dans les coins et les recoins. Maigret, qui en a pourtant vu de belles, est écœuré… pour une fois !

L’argent corrompt tout… Maître Gaillard arnaque des petits truands. M. Raison arnaque les strip-teaseuses de son patron. Pour une avance de salaire, celles-ci consentent à quelques baisers. Un pacte scellé à coup de bâton !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Simenon G., La colère de Maigret, Presses de la cité, Paris, 1962, 187 pages

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