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Du maquillage de carnaval au fond de teint « nude », une petite histoire des produits pour le teint

> 18 novembre 2017

Du maquillage de carnaval au fond de teint « nude », une petite histoire des produits pour le teint Avant de devenir un art, le maquillage eut tout le temps de faire de véritables carnages. Carnage esthétique, tout d’abord. La beauté de l’Antiquité, qui suit les conseils du poète Ovide (« Toute femme qui aime doit être pâle ; c’est la seule couleur qui lui convienne »), se tourne immanquablement vers des préparations à base de céruse (un sel de plomb) pour éclaircir son teint. Martial se moque gentiment de ces préparations appliquées en couches épaisses sur la peau qui forment des rigoles sur celle-ci en cas d’humidité excessive liée aux caprices météorologiques (« la craie dont se sert Fabulla craint la pluie ; la céruse dont se sert Sabella craint le soleil »). Le teint doit être de marbre, c’est-à-dire que l’on doit éviter à tout prix de bronzer. Si l’on est « plus noire qu’une mûre », on est obligé de recourir à un grand nombre de préparations cosmétiques. Sur ces bases blanches, on dépose quelques touches (plus ou moins discrètes) de fards pour « rehausser l’incarnat ». Si l’on cherche à reproduire un teint clair, illuminé par une légère et pudique roseur des joues (l’objectif du teint naturel est déjà recherché), les moyens à disposition ne sont pas suffisamment subtils pour cela. Les imperfections cutanées, le hâle... sont masqués par une couche d’émail, certes couvrante, mais guère naturelle. Sur ce produit de base, on dispose un fard rouge, censé reproduire la vascularisation naturelle cachée par la céruse ! Le poète Juvénal, narquois, plaint les conjoints de ces femmes aux visages enfarinés : « Cette face, que recouvrent tant de drogues et où s’agglutinent les lèvres des infortunés maris, est-ce un visage ou une plaie ? » (James C., Toilette d’une romaine au temps d’Auguste, Hachette, Paris, 1865, 295 pages). Si les dégâts n’avaient été qu’esthétiques, le mal ne serait pas trop grand. Malheureusement, le désir profond d’arborer un teint d’albâtre se fait aux dépens des règles élémentaires de prudence. Le saturnisme, intoxication au plomb, est la conséquence de ces excentricités cosmétiques mal contrôlées ! Il faudra attendre le début du XXe siècle pour voir disparaître du marché ces préparations dangereuses...

Le XIXe siècle place la poudre de riz sur un piédestal. Mêlée à des corps gras, à des excipients liquides, libres ou liées, les poudres ne sont pas vues d’un bon œil par certains penseurs. Paul Devaux, quant à lui, est fermement acquis à sa cause. « La poudre de riz anathémisée si niaisement par de candides philosophes a pour résultat de faire disparaître du teint les taches que la nature peut y avoir outrageusement semées ; elle y crée une unité de grain qui rapproche le visage féminin du camée artistique. » Il devient lyrique lorsqu’il s’agit de défendre les routines-beauté des femmes célèbres, mondaines, demi-mondaines et actrices, qu’il a côtoyées et qui lui ont permis de rédiger un savoureux petit ouvrage (Devaux P., Les auxiliaires de la beauté, Paris, 1887, 90 pages).

Si le Dr Monin vous parle de poudre pour le teint, méfiez-vous. Pour lui, « la beauté du teint est étroitement subordonnée aux lois de l’hygiène générale ». Ce sont « surtout les affections abdominales (ventre et bas-ventre) qui retentissent le plus habituellement sur la physionomie : fait d’observation que je traduis par cet aphorisme un peu tintamarresque : le visage est le miroir de l’abdomen ». Plutôt, que de masquer un teint altéré, le Dr Monin propose l’emploi de laxatifs qui restaureront la beauté originelle. Il vous proposera « une poudre laxative à base de lactose, hydrate de magnésie, crème de tartre, soufre précipité, poudres de séné, de badiane et de réglisse... ». Celle-ci ne sera pas saupoudrée sur le visage, bien évidemment, mais administrée par voie orale ! (Monin E., Pour le beau Sexe - Causeries d’un vieux spécialiste, Albin Michel, Paris, 1920, 317 pages). Transportons le Dr Monin au temps de Molière, celui-ci n’aurait pas manqué d’utiliser son personnage, pour brocarder des pratiques aussi risibles qu’inutiles.

En 1935, on ne parle pas encore de fond de teint ; on discute, en revanche, des avantages et des inconvénients des fards. La société Tho-Radia, qui commercialise des cosmétiques radioactifs, met en garde contre les fards, dans un « Dictionnaire des soins de la beauté », dictionnaire dans lequel sont définis les fards comme des « compositions destinées à donner au visage un coloris ou un éclat artificiels. Les fards de toutes couleurs sont souvent dangereux. Ils obstruent les pores et parcheminent la peau. Ils sont en grande partie responsables des migraines persistantes, des rides et du flétrissement des traits qu’on se propose d’éviter ou de masquer en s’en servant. » De la part d’une société qui présente la radioactivité comme « une source de vie » cela peut faire sourire ! On peut se poser la question suivante : comment se maquille la consommatrice Tho-Radia ? Cette consommatrice est la prudence-même ; si elle a toute foi dans les vertus bénéfiques du radium et du thorium pour sa peau, elle regarde avec circonspection les produits de maquillage du commerce. Point trop n’en faut ! « Le maquillage ne rentre pas dans le cycle des soins de beauté » l’entend-on marmonner, tous les matins, dans sa salle de bains. « C’est plutôt une annexe de la parure ou de la mode. Se maquiller, c’est décorer et peindre son visage, en somme, l’habiller. » La consommatrice Tho-Radia n’est pas du tout contre le principe du « naturisme cosmétique » ! Elle sait que « le maquillage nuit à la santé épidermique. » De ce fait, elle n’appliquera jamais directement sur sa peau le produit de maquillage délétère. Après sa toilette, elle appliquera « une bonne couche de crème Tho-Radia sur toute la surface du visage et le fera pénétrer par une friction rotative générale du bout des doigts. » L’excédent de cette crème-barrière protectrice est alors éliminé avec « un linge fin ou un buvard de soie » ; la poudre Tho-Radia fera alors son entrée en scène. L’ensemble du visage sera poudré avec une teinte pâle ; les pommettes seront rehaussées avec une teinte plus foncée...

Notre complice et maître, René Cerbelaud (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/rene-cerbelaud-1871-1939-notre-maitre-35/), est intarissable sur le sujet du maquillage du teint. Il définit les fards comme « des préparations destinées à colorer le teint, à rehausser son éclat ou à cacher les défauts de l’épiderme ». Il distingue trois groupes de produits : les fards secs, les fards liquides et les fards gras et met en garde contre certains fards liquides, dangereux pour la santé. Les formules commercialisées sous le nom de poudre de riz liquide « La merveilleuse » ou bien « L’eau mystère de Néréa » sont, de son point de vue, à bannir totalement !

Marie Marelli, qui veut former des conseillères de beauté tip top, établit une différence entre maquillage de scène et maquillage de ville. Ce dernier doit « être discret, presque invisible, si c’est possible. ». C’est à la poudre qu’elle confie le soin de masquer les défauts. « Le blanc accentue et le rouge dissimule ». On mettra ainsi « du blanc sur le sommet d’un nez trop court, du rouge sur les parois du nez qu’on veut faire paraître plus long » (Marelli M., Les soins de beauté scientifiques, Oliven, Paris, 1936, 120 pages). Le plâtrage d’antan (uniforme, abondant, simulant un véritable masque mortuaire) fait place à un art, celui de la correction. Par petites touches, le visage est remodelé, afin de lui donner les contours prédéfinis par l’esthéticienne.

1950 : L.T. Piver propose « un fond de teint fluide qui n’empâte pas » (suivez mon regard !) et une poudre « peau de soie » qui laisse un voile discret sur la peau...

1962 : le Dr Payot fait un rêve merveilleux d’une femme « elle-même... mais toujours différente ». Elle met au point le fond de teint Tayane, « couvrant et mat », qui « protège la peau tout en lui conservant sa diaphanéité. » Helena Rubinstein lui emboîte le pas, avec une crème de beauté Coverfluid. « Plus mat, plus couvrant, plus souple », ce fond de teint est too much, ce fond de teint est trop !

1966 : Helena Rubinstein recherche toujours plus de couvrance, associée à toujours plus de fluidité. Le résultat est un fond de teint liquide, Silk Fashion, qui « vous met la pêche aux joues ».

Dans les années 1970, si le maquillage disco n’est pas des plus naturels, on se retrouve pourtant face à une volonté affirmée d’être belle, car naturelle. Le fond de teint est défini comme un cosmétique qui « cache les défauts, accentue ou modifie la carnation naturelle, veloute une peau difficile ». Fond de teint souple (?), semi-liquide, en pot, en flacon, en tube... sous forme de sticks couvrants... chacune choisira sa référence, en fonction de ses goûts, de son teint, de ses caractéristiques cutanées, de ses aspirations... Ce fond de teint ne devra oublier aucune parcelle de peau (attention au lobe de l’oreille, au cou et au bout du nez !) si l’on souhaite éviter l’effet guignol ! Nadine Corbasson et Gisèle de Bruchard, aidées de Jacques Taillefer pour les illustrations, posent les bases du contouring (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-contouring-l-art-parietal-applique-au-maquillage-216/), en indiquant les petites astuces qui amenuisent un visage trop large, qui modifient une mine de « chat », un nez trop court ou trop long...

Satilane d’Orlane est un fond de teint respirant. Avec lui « plus aucune femme n’a le droit de rater son maquillage ». « De conception totalement nouvelle il laisse la peau respirer et s’hydrater librement ». « Sa fluidité est inégalable » et nos belles grenouilles (qui respirent par la peau) ont le choix entre 6 teintes !

1980-1990 : Estée Lauder sort des collections de produits de maquillage avec la régularité d’un grand couturier. A chaque saison son univers ! Double Wear, confort et longue tenue... On recherche toujours des fonds de teint efficaces (donc couvrants) mais d’application facile (donc fluides). Difficile de tenir ses promesses dans la mesure où, pour être couvrant, il faut contenir un pourcentage élevé de poudre ce qui a des conséquences du point de vue de la consistance. Nude, seconde peau... tel est l’objectif... Carole Franck lance l’un des premiers fonds de teint contenant des filtres UV. Son fond de teint solaire (IP 3) avec accélérateur de bronzage ne manquera pas de faire, dans l’avenir, des émules.

Les années 1995 voient le principe de l’incorporation des filtres UV dans les produits de soin et de maquillage validé par la journaliste américaine Paula Bégoun s’élever au rang de dogme. Désormais, on recherchera un fond de teint couvrant, léger, fluide et photo-protecteur...

Puis, ce sera la mode des BB (blemish balm) creams, ces fonds de teint qui se cachent sournoisement derrière des initiales mystérieuses et qui nous proposent un nombre d’actions impressionnant : hydratante, protectrice, unifiante, lissante, illuminatrice, correctrice... elles peuvent aussi estomper les rides, les signes de fatigue... Le fond de teint est mort, vive la BB cream !

Si le vocabulaire change, la formule reste la même : une émulsion renfermant un pourcentage plus ou moins élevé de poudres blanches couvrantes et de poudres colorées ! Si le pourcentage est élevé (supérieure à 10%), on a pris l’habitude d’appeler le produit fond de teint, si le pourcentage est plus faible on parle de crème teintée.

De l’Antiquité à nos jours, les aspirations restent toujours les mêmes : être belle (à l’aide de produits de maquillage, si nécessaire), sans avoir l’être d’être maquillée. Selon les époques, les moyens à disposition ont permis de transformer ce rêve en réalité... ou pas.

En 2017, les laboratoires de formulation disposent d’un nombre d’ingrédients impressionnant permettant de répondre aux exigences les plus pointues... Etre maquillée sans le laisser paraître est désormais chose possible !

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