Nos regards
Des trains, des voitures, des avions pas comme les autres avec Michel Déon !

> 16 février 2020

Des trains, des voitures, des avions pas comme les autres avec Michel Déon !

C’est avec Michel Déon qu’il est précieux de partir en vacances. Cet académicien, qui s’est « beaucoup promené »,1 est visiblement un excellent compagnon de route, qui sait parfaitement nous faire remarquer les détails cosmétiques des femmes croisées ça et là. Il nous fera embarquer dans l’une de ses voitures de prédilection. Les « danseuses » de Michel Déon ne se croisent pas dans les couloirs de l’opéra, mais bien plutôt dans les parkings ou les garages. « J’aimais leur donner un bain, polir leur doux épiderme avec des crèmes savantes, les capoter, les décapoter, les couvrir de menus bijoux : rétroviseurs, projecteurs, bouchons de radiateur. » « Les anglaises » dégagent un subtil « parfum de bois précieux » qui ravit conducteur et passagères. Vous ne serez, effectivement, pas la première à tenir compagnie à celui qui tient le volant. Vous apprécierez plus ou moins l’odeur d’« essence » ou le « parfum ineffable de l’huile de ricin ». La voiture espiègle jouera parfois les pickpockets et retiendra, de ses folles courses, « une épingle à cheveux, un tube de rouge à lèvres, une chaînette en or ». Malgré ces petits inconvénients, c’est avec Michel Déon, un Philippe Gougler de substitution, que nous nous proposons de découvrir des souvenirs de voyage qui font rêver ou grincer des dents, à l’aide « de voitures, de trains, d’avions pas comme les autres » !

En Grèce, Michel Déon se déplace en taxi avec un chauffeur « aux aisselles asphyxiantes », qui ne connaît ni le déodorant, ni l’anti-transpirant et qui n’hésite pas à trafiquer son compteur afin de faire monter la note de ses clients. De ce pays, Michel Déon gardera le souvenir d’une petite fille de 12 à 13 ans, à la « luxueuse chevelure frisée ». Cette enfant, qui transporte avec elle des effluves de « thym, de romarin et d’origan », réalise un véritable numéro de charme sous les yeux de l’écrivain. Cette Manon des Sources répond au doux prénom de Melissa. De la petite servante industrieuse qui s’affaire autour des clients, naîtra, sans doute, d’ici peu, une jeune fille juchée « sur les chaussures à talons (sic) de sa mère », « les lèvres grossièrement maquillées », le « regard plus noir de fard »...

Du Portugal, c’est un « parfum acide et sucré » provenant des orangers se « réveillant avec la pluie » qui se glisse dans les bagages du voyageur.

D’Espagne, les souvenirs se bousculent. C’est une nuit passée à Bologne dans la chambre d’une accueillante maison close qui reste gravée à jamais. La « chambre qui fleurait l’eau de Cologne et le savon frais » ne correspond pas à l’image que l’on se fait d’un tel lieu. Les femmes qui y sont en résidence sont en « robe sevillane », « le visage lourd de fard », « la bouche pourpre », « l’oeil charbonneux ». Elles usent d’une poudre parfumée « bon marché », que l’on retrouve dans le sillage de la plupart des femmes de Madrid. Ces dernières sont réellement envoûtantes, tant elles ont la capacité à résister à la chaleur ambiante. Ces femmes, toujours fraiches, possèdent « la grâce première [...] de toujours sembler sortir de leur bain », « la peau douce et lustrée ». Ce n’est pas le cas des touristes anglaises rencontrées dans un bar à Tolède. « Fourbues », écrasées de chaleur, brûlées par les rayons du soleil (« des traces de coups de soleil sur les avant-bras et à la naissance des seins »), ces femmes sont à la recherche d’une chambre d’hôtel et surtout d’une salle de bain où elles pourront retrouver forme humaine, grâce à une bonne douche salvatrice. L’hôtel dégoté par la petite troupe (Miche Déon s’est associé à nos braves Anglaises) n’est pas un hôtel cinq étoiles. Il « sent le chat et la friture » ! Les lits sont infestés de punaises. L’insomnie est garantie sur facture... et ce d’autant plus que l’on assiste dans les couloirs à un joyeux déménagement. L’Anglaise, professeur de français, est venue parfaire son accent entre les draps du célèbre écrivain. A Barcelone, c’est le quartier malsain du Barrio Chino qui fait les délices des touristes d’un genre un peu particulier. Grâce à un nain qui connaît toutes les prostituées par leur prénom, il est possible de rencontrer des jeunes femmes qui vivent comme les oiseaux de nuit et ne se laissent jamais caresser par le soleil. C’est le cas de la petite Manita, « une perle blanche », « un vrai sorbet au citron », qui se garde bien d’exposer son épiderme aux rayons ultraviolets, afin d’éviter de se « friper au soleil ». Quelle sagesse !

Après la voiture, l’avion... et ses hôtesses de l’air, qui, après avoir chouchouté les passagers durant toute la durée du vol, passent, hautaines, « parfumées et fardées pour le dîner », en tenue de ville, sans accorder le moindre regard à ceux dont elles ont fait chavirer le cœur. Les aéroports sont les lieux propices pour croiser des petites Japonaises, « chargées de sacs Vuitton qui embaument le 5 de Chanel et le livarot », des « comtesses monténégrines fardées comme des clowns », des « roux que le soleil embrase », des jeunes femmes sans artifice (« ni rouge, ni cils faits, ni sourcils redressés ») à la beauté naturelle (« sans fards, les lèvres à peine rose ») qui agrippent votre main au moment où des turbulences se font ressentir.

Après l’avion, le train et ses gares... une jeune femme « aux lèvres très rouges, aux pommettes trop roses, comme [celles] d’une femme qui ne sait pas se farder et a tout de même tenté un effort ».

Michel Déon n’est pas un voyageur sans bagage ; il n’hésite pas à consulter les panneaux d’affichage des gares et aéroports ; il fonce sur les autoroutes et flâne sur les départementales, rapportant en souvenir une foule d’impressions et de parfums qui imprègnent chaque page de ses mémoires. N’hésitons pas à le prendre pour guide !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l’illustration du jour.

Bibliographie

1Déon M. Je me suis longtemps promené, La table ronde, 2013, 235 pages, Paris

 

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