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Des cosmétiques pour le bonheur des dames, c’est Zola qui en parle le mieux !

> 14 novembre 2021

Des cosmétiques pour le bonheur des dames, c’est Zola qui en parle le mieux !

Au Bonheur des Dames... quel beau nom pour un roman,1 quel beau nom aussi pour un grand magasin ! Un grand magasin, nouvellement construit sur une artère parisienne passante, un grand magasin qui regorge de tissus et de cosmétiques destinés à tenter toutes celles qui franchiront la porte de cet univers dédié au plaisir des yeux. Au Bonheur des Dames, c’est également un roman d’amour entre une jeune normande, Denise Baudu, pleine de fraîcheur et un jeune veuf (le directeur du magasin en question), Octave Mouret, calculateur et amateur de jolies filles au « teint pâle », à la transparence de « camélia ». Denise ne cèdera pas... Pour l’avoir une seule possibilité... le mariage !

Le personnage principal : un grand magasin parisien

Ce grand magasin est l’un des premiers du genre. Dans sa vitrine, les passants sont attirés par une profusion de tissus aux couleurs variés, ces tissus à la « douceur d’une peau de blonde » attirent l’œil et tentent la main. Une mise en scène féerique est nécessaire pour attirer le chaland. Il faut choquer, écrouler le client sous des montagnes d’articles, le tenir en haleine, ne pas lui laisser une minute de répit. Des ballons rouges offerts aux enfants constituent, par ailleurs, une publicité habile. Les ballons, tel un « vol d’énormes bulles de savon », se répandent dans Paris et éclatent bruyamment aux coins des rues. Réclame garantie !

Et puis, il y a cette foule de clientes qui trépignent, s’agitent, se poussent du coude pour atteindre, le plus vite possible, l’article tant convoité. La poussière et les odeurs corporelles augmentent d’heure en heure... « l’odeur de la femme, l’odeur de son linge et de sa nuque, de ses jupes et de sa chevelure, une odeur pénétrante, envahissante, qui semblait être l’encens de ce temple élevé au culte de son corps ». Pour se reposer, pour faire une pause... pas de souci. Une zone de restauration est prévue, qui permet de reprendre des forces entre deux assauts. Et un bouquet de violettes est offert pour chaque achat. « [...] toutes les femmes promenaient un parfum pénétrant de fleur ».

Un rayon parfumerie voit évidemment bientôt le jour. Un rayon gigantesque, qui sonne le glas du parfumeur Grognet, aux tarifs beaucoup plus élevés. Ce rayon s’annonce de loin par une « odeur pénétrante de sachet enfermé ». Les clientes s’y pressent pour acheter « un savon, le savon Bonheur, la spécialité de la maison ». On y trouve également, joliment présentés sur des étagères en cristal, des « pots de pommades et de pâtes », des « boîtes de poudres et de fards », des « fioles d’huile et d’eau de toilette ». Un choix considérable de peignes et de brosses est proposé. Les gondoles regorgent de « lotions, de dentifrices, de cosmétiques », aux allégations plus alléchantes les unes que les autres. Rien n’est laissé au hasard... Une mise en scène réglée comme du papier à musique crée une ambiance raffinée qui charme la visiteuse. Au milieu du rayon, « une fontaine d’argent, une bergère debout sur une moisson de fleurs, et d’où coulait un filet continu d’eau de violette, qui résonnait musicalement dans la vasque de métal » est mise à la disposition des clientes qui se plaisent à y tremper leur mouchoir laissant derrière elles flotter une « senteur exquise ».

Denise, une vendeuse pas comme les autres

Lorsqu’elle arrive à Paris avec ce qu’elle nomme ses enfants (en réalité ses frères), à savoir Jean, un jeune homme de 16 ans et Pépé, un bambin de 5 ans, aux cheveux d’un « blond d’enfance », Denise est prête à travailler durement afin de faire vivre la petite famille. Ce n’est pas son oncle Baudu qui va pouvoir subvenir à ses besoins. Sa boutique à l’enseigne du « Viel Elbeuf » est en faillite. Au Bonheur des Dames, voilà la solution... Un crève-cœur pour l’oncle, une aubaine pour la nièce qui se rend compte, tout de même rapidement, que la vie de vendeuse n’est pas aussi facile qu’il y paraît. Ses bottines bien usées, sa chevelure emmêlée, constituent autant de sources de moqueries pour des langues bien acérées qui ont quand même remarquée la singularité de ses « yeux de pervenche ». En matière de capillaire, Denise se pose là. Ses cheveux sont tout bonnement extraordinaires. « D’un blond cendré, ils lui tombaient jusqu’aux chevilles ; et quand elle se coiffait, ils la gênaient, au point qu’elle se contentait de les rouler et de les retenir en un tas, sous les fortes dents d’un peigne de corne. » Ces cheveux, carrément impossibles à coiffer, lui donnent un aspect de sauvageonne qui détonne curieusement dans l’ambiance feutrée de l’antre de l’élégance. Les vendeuses chuchotent dans son dos, ricanent en évoquant la « crinière » de la nouvelle recrue, « la mal peignée ». Le travail au magasin est éprouvant, chaque vendeuse n’étant payée que sur le pourcentage des ventes effectuées. De beaux combats en perspective ! Et puis, il y a Octave Mouret qui s’en mêle et qui se moque lui aussi de cette masse de kératine indomptable ! « Une heure devant le miroir afin de pouvoir réduire le volume de ses cheveux » : voilà le quotidien de la pauvre jeune femme !

Dans la petite chambre mise à sa disposition - toute vendeuse est logée par le grand magasin dans le grand magasin - Denise s’affaire dans une grande propreté, nettoyant vêtement et visage avec le même morceau de savon. La promiscuité est grande sous les combles et beaucoup de filles préfèrent s’adonner aux « commérages d’eaux de toilette et de linges sales », plutôt qu’à une toilette approfondie. Un « débarbouillage rapide » est la norme. Pas chez Denise, qui veille à une hygiène irréprochable, hygiène cutanée et hygiène morale, cela va sans dire. Pas question pour elle de découcher, ni de ramener « l’odeur du dehors » dans ses jupes. Un amoureux transi, un vendeur dénommé Deloche, un gars de son pays aux « cheveux de chanvre », voilà tout ce que s’autorise la jeune fille qui a juré de garder intacte sa vertu.

Et puis, c’est le renvoi pour mauvaise conduite... De mauvaises langues ont dit d’elle qu’elle avait un amant, son frère Jean, en réalité. Un poste chez Robineau, un vendeur du Bonheur des Dames, qui vient de créer sa boutique, est vacant... Cela tombe à merveille. Les clients sont, toutefois, rares... L’avenir très incertain.

Et puis, c’est la réhabilitation avec tous les honneurs dus à une employée calomniée, qui commence à intriguer un Octave Mouret amateur de belles femmes. Plaidant la cause des ouvrières, Denise obtient l’amélioration des conditions de vie, au sein de l’entreprise. Les chambres sont désormais plus accueillantes, des « savons chers » et des « linges fins » sont fournis aux vendeuses qui, désormais, se doivent d’être les ambassadrices d’une maison avant-gardiste. Une infirmerie voit le jour. Le personnel y est chouchouté, dans une atmosphère douce, imbibée d’une « vague odeur de lavande ». Le patron est amoureux, la belle affaire... Denise ne craquera pas !

Octave Mouret, un patron pas comme les autres

Octave Mouret, « grand, la peau blanche, la barbe soignée », des « yeux couleur de vieil or », est le directeur du fameux grand magasin. Veuf de Mme Hédouin, Octave a fait fructifier l’affaire de celle-ci et lui a donné des proportions phénoménales. Pour l’aider dans cette tâche, il peut compter à 100 % sur sa maîtresse du moment, Mme Henriette Desforges, une belle femme qui connaît intimement un banquier (le baron Hartmann !) et reçoit, chaque semaine, une foule d’amies, prêtes à dépenser des fortunes en futilités. Dans le salon d’Henriette, Octave est le coq du poulailler ! « Et lui gardait son calme de conquérant, au milieu des odeurs troublantes qui montaient de leurs chevelures », des odeurs « âpres, où il y avait une pointe de fauve ». Un coq, un lion, un dompteur ? Un peu tout cela, intimement mêlé. Notre bel Octave va, pourtant, peu à peu, changer. Le petit laideron nouvellement embauché - on aura reconnu Denise – devient, au fil du temps, une belle jeune femme, pleine de douceur et au charme « d’une subtilité pénétrante de parfum ».

Henriette Desforges, une maîtresse pas complètement comme les autres

Henriette, une maîtresse, mais, également, une bonne cliente, qui réalise de véritables razzias dans le temple de la beauté créée par son amant. Les paires de gants... elle les achète par dizaines, avec une belle sensualité. « L’odeur des gants de Saxe, cette odeur de fauve comme sucrée de musc, la troublait d’habitude ; et elle en riait parfois, elle confessait son goût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie, tombée de la boîte à poudre de riz d’une fille ».

L’avantage d’Henriette, une belle plastique, mais, peut-être et surtout, une femme de réseaux, qui met en lien les hommes de sa vie avec les personnalités qui pèsent lourds dans la société du moment.

Henriette et Denise, une belle joute en perspective. Lorsqu’Henriette se rend compte de la place que prend désormais Denise dans le cœur de son amant, il ne lui reste plus qu’à sortir de son jeu la carte « humiliation ». Pas très difficile de jouer les clientes mécontentes et capricieuses vis-à-vis d’une vendeuse qui doit toujours garder son self-control. Peine perdue... Octave est franchement pincé. L’amour entre Henriette et Octave se meurt ; la chambre d’Henriette n’a plus la même force d’attraction qu’autrefois. « Un flacon de verveine, qu’on avait oublié de reboucher, exhalait une odeur vague et perdue de bouquet qui se fane » !

Jean, un frère pas vraiment comme les autres

Jean avait « la beauté d’une fille qu’il semblait avoir volée à sa sœur, la peau éclatante, les cheveux roux et frisés [...] ». Il est placé chez un ivoirier, mais le travail n’est pas son fort. Courir le guilledou en revanche, ça il sait faire. Et soutirer de l’argent à sa sœur... ça aussi !

Geneviève, une cousine vraiment pas comme les autres

Geneviève Baudu, la cousine de Denise, possède « la débilité et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre ». Son physique est assez ordinaire. Son capillaire, en revanche, est exceptionnel. Des « cheveux noirs magnifiques », des « cheveux superbes qui semblaient boire sa vie » ! La santé de Geneviève est précaire. Faut-il y voir un lien avec « l’odeur âpre de chimie », qui se dégage des tissus, soigneusement empilés sur les rayonnages ? C’est fort possible ! Fiancée à Colomban, l’employé du Vieil Elbeuf, Geneviève est trompée outrageusement. Le salarié, que l’on pensait modèle, est amoureux de Clara, une employée du Bonheur des Dames. Double trahison, en somme ! Anémie, chagrin... tout pousse Geneviève vers une mort prématurée.

Et puis, une belle inconnue

Et puis, il y a cette belle inconnue qui revient régulièrement au Bonheur des Dames. Une « jolie dame », blonde, dont on ne connaît ni le nom ni l’adresse. Mystère, mystère...

Au Bonheur des Dames, en bref

Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Le convoi mortuaire de Geneviève Baudu est également celui du petit commerce voué à une mort prochaine. Octave Mouret, au bras de Denise, est prêt à dévorer Paris et ses Parisiennes.

Le Bonheur des Dames fait le bonheur des amateurs de références cosmétiques. L’ambiance est au raffinement, aux crèmes de beauté, aux savons fins, aux huiles antiques, à destination des épidermes délicats, aux dentifrices qui font l’haleine fraîche. Les parfums du rayon parfumerie invitent à la rêverie, à la flânerie. N’hésitez pas à pousser la porte de ce grand magasin, à prendre l’ascenseur qui mène au septième ciel cosmétique... un liftier est là qui vous attend. Vite, vite, pressons, pressons...

Bibliographie

1 Zola E., Au Bonheur des Dames, Le livre de Poche, Fasquelle, 504 pages

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