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De la poudre de riz pour cacher le rouge de la honte !

> 11 mars 2023

De la poudre de riz pour cacher le rouge de la honte !

Isabelle d’André Gide est un roman qui nous plonge immédiatement en plein XVIIIe siècle.1 L’ambiance est feutrée, les meubles de style, les domestiques stylés ! Lorsque Gérard Lacaze, un ami d’André Gide et de Francis Jammes débarque au domaine de la Quartfourche il est loin de se douter de ce qui l’attend. Gérard fait des recherches historiques et vient puiser dans les manuscrits de M. Floche des références bibliographiques introuvables par ailleurs. Accueilli par Melle Olympe Verdure - la gouvernante du lieu - dans un château qui ressemble à celui de la Belle au Bois Dormant, Gérard découvre un univers clos, composé de personnages sortant tout droit d’un conte de fées. Un conte de fées moderne où la princesse se transmue en sorcière d’un coup de baguette magique !

Le baron et la baronne de Saint-Auréol, un couple désargenté

M. Narcisse de Saint-Auréol est ruiné ; il ne lui reste plus comme seule solution que de vivre chichement sur sa propriété de la Quartfourche.

Les doigts chargés « d’énormes bagues », Mme de Saint-Auréol tente, encore, de faire bonne figure. Errant, dans les couloirs du château, il est possible de la croiser en grande tenue d’apparat « guindée, décolletée, fardée », « le chef surmonté d’une sorte de plumeau-marabout gigantesque », telle une ombre du passé se rendant à un bal princier.

M. et Mme Floche, un couple désillusionné

Mme Floche est la sœur de Mme de Saint-Auréol. C’est elle qui fait bouillir la marmite. Les uns offrent le gîte. Les autres assurent un train de vie restreint mais honorable. Depuis que leur fille Isabelle a eu un enfant hors mariage, les Floche cachent leur détresse loin, très loin de Paris.

Pendant que M. Floche vit le nez penché sur ses précieux manuscrits, Mme Floche continue à s’habiller comme au temps de l’Ancien régime. Son visage fané émerge d’un « flot de fausses dentelles ». La poudre de riz qu’elle utilise en abondance tache les brides de son couvre-chef, sans qu’elle n’en prenne garde (« sous le menton se nouaient deux brides de taffetas, blanchies par la poudre que le visage effroyablement fardé laissait choir. »). Sans doute, ne s’en aperçoit-elle pas !

Casimir, un adolescent délaissé

Le petit-fils des Saint-Auréol est un jeune garçon un peu simple, qui prend immédiatement Gérard en affection. Seul… Casimir vit solitaire au milieu des fantômes du passé.

Isabelle de Saint-Auréol, une jeune fille déjantée

Lorsque Casimir entraîne Gérard dans la chambre de sa tante (Mme Floche), celui-ci découvre, avec ravissement, au fond du tiroir d’un secrétaire une miniature représentant une « femme de la plus troublante, de la plus angélique beauté ».

Cette virginale jeune fille a voulu fuir, autrefois, avec le vicomte Blaise de Gonfreville, le fils du châtelain d’à côté ! Une fuite avortée, la jeune fille paniquée ayant avoué à Gratien le projet d’enlèvement prévu dans la nuit du 21 au 22 octobre !

Une jeune fille devenue jeune femme. Une jeune femme qui, délaissant son enfant (Casimir est visiblement le fils de Blaise et d’Isabelle), mène joyeuse vie à Paris et vient de temps à autre réclamer de l’argent à sa vieille tante.

Une femme qui n’en fait qu’à sa tête, au cœur dur comme pierre. Une princesse qui, un soir d’automne, s’est transformée en sorcière.

L’abbé Santal, une touche d’exotisme dans un patronyme

L’abbé Santal est l’abbé chargé de l’éducation de Casimir. Un érudit qui fait copier ses textes par un élève jugé simplet.

Gratien, une touche de rudesse dans l’attitude

Gratien, à la fois cocher et jardinier, est tout dévoué à ses maîtres. Sous une dure écorce, palpite un cœur d’or. Un cœur d’or pour ses maîtres mais une main implacable pour ceux considérés comme les ennemis de la famille. Une décharge de plomb dans la poitrine et le vicomte Blaise est mis hors d’état de nuire à Isabelle !

Et un pichet d’eau chaude pour la toilette

Au château, Gérard est reçu comme un roi. Ce jeune homme, qui vient secouer la torpeur des jours, est accueilli à bras ouverts. Chaque matin, une femme de chambre est chargée de lui apporter de l’eau chaude pour sa toilette matinale.

Isabelle, en bref

L’Isabelle de la miniature n’est pas l’Isabelle de la réalité. L’angélique jeune fille n’est, dans le fond, qu’une fille bien ingrate décidée à saigner aux quatre veines les parents qu’elle a déshonorés. D’un amant à un autre, elle gaspille sa jeunesse et son teint. Sous la poudre de riz, Mmes de Saint-Auréol et Floche cachent le rouge de la honte jusqu’à ce que la mort vienne sonner à la grille du château. Lorsque Gérard redécouvre la propriété quelques années plus tard, le parc est saccagé (Isabelle a vendu tous les arbres séculaires). Gratien a pris en charge Casimir.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Gide A., Isabelle, Gallimard, 190 pages

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