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De l’importance du bain…

> 25 décembre 2022

De l’importance du bain…

Au IIe siècle de notre ère, sous le règne d’Hadrien, Apulée, un citoyen d’origine berbère, au savoir encyclopédique et à la langue bien pendue, était, nous dit-on, capable de discourir de n’importe quel sujet avec le même brio. Au concours d’éloquence, Apulée est le premier, toutes catégories, puisqu’il se sent aussi à l’aise pour parler philosophie, médecine, sciences naturelles ou encore… magie. Autre corde à son arc… un talent indéniable pour les langues, un talent mis à profit dans la rédaction de différents ouvrages en latin, s’il vous plait. L’un de ses best-sellers, nommé Les métamorphoses (et oui, comme celles du cher Ovide) nous parle d’individus transformés en animaux.1 Dans cet ouvrage, Apulée nous raconte, également, en termes choisis, l’histoire d’une jeune fille trop curieuse (il s’agit de Psyché), amoureuse d’un dieu à la mère un peu trop jalouse (il s’agit de Cupidon, fils de Vénus)…

Une histoire toute simple

Un roi et une reine, fort aimables, avaient trois filles. La cadette, une vraie beauté, ne manquait pas de faire jaser tant son physique était avantageux. Plus belle que la déesse elle-même, Vénus. Voilà ce qui était dit de Psyché, la jeune fille en question. Une « perfection » « rare » ! De quoi faire virer au vert le teint charmant de la divine Vénus. Quoi, qui, qu’est-ce ? Qu’entends-je ? Une beauté supérieure à… môa ! Le sang de Vénus ne fait qu’un tour… Convoquant son fils chéri, Cupidon (autrement dit Amour), Vénus demande à celui-ci de darder ses flèches vers le cœur de la belle. Qu’il choisisse l’homme le plus méprisable de la région et qu’il ensorcelle Psyché, afin qu’elle devienne sa femme. Une belle vengeance en perspective pour Vénus !

Oui… mais. Car il y a un… mais. Tel est pris qui croyait prendre. Et notre brave Cupidon se retrouve littéralement envoûtée par celle qui devait être sa victime.

Et voilà nos deux amoureux comme mari et femme, installés dans un merveilleux palais.

Une histoire de baignoires qui se remplissent et se vident

Au palais de Psyché, tout est fait pour le plaisir des sens. Des serviteurs zélés veillent à ce qu’elle ne manque de rien. Un simple geste de sa part et des domestiques invisibles se mettent à préparer son bain (« Aussi, va dans ta chambre, repose-toi de ta fatigue et, quand tu le voudras, demande un bain. Nous sommes attachés à ton service. Nous exécuterons tes ordres et, lorsque tu auras fait ta toilette, un repas royal te sera servi. »). Un bain qui délasse, un bain qui permet de « dissiper la fatigue » !

Au palais de Psyché, tous les désirs sont exaucés. Tous ? Non, pas vraiment, puisque la belle a pour consigne de ne pas chercher à voir son époux. Il lui faut donc vivre isolée de sa famille et se voiler la face, chaque nuit, afin de ne pas poser son regard sur son amant.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Tant se remplissent et se vident les baignoires qu’à la fin elles fuient ! Un beau jour, lassée de ces problèmes de tuyauteries, la belle Psyché décide de dire non à tout ! « Bain, nourriture, réconfort, elle rejeta tout, et se retira pour se mettre au lit en pleurant. »

Implorant son époux, Psyché émet le souhait de recevoir la visite de ses deux sœurs. A peine formulé, le vœu est exaucé. Les deux sœurs sont accueillies avec faste. « Un bain splendide » (« des bains chauds », « pour les délasser ») et un repas non moins splendide leur sont préparés.

Une histoire de maris chauves et décatis

Si la belle Psyché est comblée par un époux invisible, ses deux sœurs, en revanche, sont loin d’être comblées. Leurs époux bien visibles ne brillent pas par leur beauté. L’un est « plus chauve qu’une citrouille » et d’une radinerie sans nom, l’autre perclus de rhumatismes. Ce dernier oblige sa femme à jouer les garde-malades, en frictionnant à longueur de journées ses articulations douloureuses. « […] j’abîme mes mains délicates avec des compresses puantes, des linges dégoûtants, des cataplasmes fétides […] » ! Les pauvres filles, mal loties, crevant de jalousie devant leur sœur épanouie, décident donc de pousser leur sœur à braver l’interdit. Pourquoi ne pas jeter un œil discret à l’époux mystérieux ?

Une histoire d’époux invisible au capillaire parfumé

Si Psyché est dans l’impossibilité de voir son époux, elle peut, en revanche, compter sur ses autres sens. C’est ainsi que le bel inconnu, à la peau douce et tendre, se révèle être savamment parfumé. « Les boucles flottantes et parfumées » de ses cheveux ravissent la belle Psyché. Si une larme coule sur sa peau, elle peut être sûre qu’Amour l’essuiera « de ses propres cheveux ».

Une histoire de lampe à huile qui coule

Et les deux sœurs qui, visiblement, sont dans le secret des dieux arrivent à leur fin. Psyché craque… Une nuit, munie d’une lampe à huile, là voilà qui scrute le visage de l’amour. Et bien sûr, elle en est ravie. Amour est d’une beauté renversante… et la lampe à huile renversée laisse couler une larme brûlante sur la peau du jeune dieu. Psyché a juste le temps de distinguer une « noble chevelure parfumée », un « cou blanc comme du lait », des ailes « blanches comme le lis », avant que l’époux ne s’évapore !

Une histoire de jalousie et de coupe de cheveux

Et notre petit Cupidon, Eros, Amour de retourner chez maman, histoire de se faire chouchouter, de se faire soigner (il a quand même été brûlé par de l’huile bouillante !). Une maman Vénus pas très contente qui, une fois sortie de l’onde (« Vénus, comme à son habitude, se baigne dans les flots »), se vengerait bien de sa progéniture en lui faisant raser la tête ! (« Je ne me considérerai vengée que lorsqu’elle lui aura rasé les cheveux, ces cheveux dont j’ai si souvent, de mes mains, caressé les flots d’or et lorsqu’elle aura rogné ces ailes que j’ai, sur mes genoux, inondées de mon lait. » (Elle, c’est la Sobriété).

Une vengeance de belle-mère acariâtre

Et le temps passe. Et Psyché tombe entre les mains de son odieuse belle-mère. Une belle-mère qui rentre saoule le soir et qui dégage une forte odeur de parfum à notes florales (la rose y tient une place de choix). Une belle-mère qui s’acharne sur sa belle-fille et lui lance des défis terribles (séparer toutes sortes de graines, méchamment mélangées ensemble, ramener des Enfers dans une boîte bien hermétique un peu de la beauté de Proserpine).

Une victoire de la bonté sur la beauté

La belle et bonne Psyché va triompher de sa vilaine belle-mère. Elle réussira à ramener des Enfers un élixir parfumé à effet embellisseur immédiat. L’impatiente Vénus lui avait dit : « Ne perds pas de temps pour revenir : il faut que je m’en parfume avant de me rendre à une représentation théâtrale chez les dieux. » Bon, alors, évidemment, il y a un hic… le « flacon de cristal poli » ne renferme pas un produit de beauté, mais plutôt un gaz mortifère. Et le hic, c’est que notre trop curieuse Psyché va y plonger le nez. D’où une léthargie inquiétante. Amour qui voletait de-ci de-là… pose son aile bienveillante sur l’indiscrète jeune fille et la ramène dans le monde des vivants.

Une histoire qui finit bien

Une histoire qui finit par un banquet de noces, avec tout le tralala… De la musique, des fleurs en abondance, des parfums à outrance (« les Grâces répandaient des parfums »).

Amour et Psyché, en bref

Une histoire éminemment cosmétique, mettant en scène des dieux plus humains que nature et des humains… divins au possible. Les humains, tout comme les dieux, apprécient les plaisirs du bain, qui revêt ici un caractère ludique et non hygiènique. Le bain qui chasse le chagrin, qui délasse, qui repose, est préparé par des serviteurs zélés, qui veillent à ce que l’eau soit à bonne température. Les déesses rêvent comme les humaines de recettes-cosmétiques qui rendent belles. Les parfums coulent à flots sur les cheveux, sur les épaules des amants.

Amour et Vénus se marièrent et vécurent heureux longtemps. Ils eurent une fille prénommée Volupté et continuèrent longtemps à brûler leurs ailes au feu de leur amour !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour... et Joyeux Noël !

Bibliographie

1 Apulée, Amour et Psyché, Etonnants classiques, texte intégral, Flammarion, 2016, 82 pages

 

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