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Dans le village de Jean Cau, on évitera soigneusement le coiffeur Marcel !

> 28 avril 2019

Dans le village de Jean Cau, on évitera soigneusement le coiffeur Marcel !

Lorsque Jean Cau enfile ses culottes courtes,1 il nous entraîne dans un univers où les pères communistes envoient leur fils au catéchisme, afin de pouvoir se préparer à leur première communion, où les jeunes femmes, coiffées d’une indéfrisable, ne prennent plus la peine de se chapeauter, où des vieux, un peu fous, creusent des galeries dans leur jardin, au cas où...

Dans le village de Jean Cau, les enfants chahutent un peu, les bouchers ne sont pas d’une grande fidélité, les barons et les baronnes non plus, les instituteurs ne sont pas incorruptibles, les coiffeurs sont lubriques et les petites filles rêvent de devenir les coiffeuses les plus célèbres au monde.

La sœur de Pichette va se marier, car elle attend un enfant ; l’école ne bruisse que de cette nouvelle. Le fiancé, Louis, a une moto « magnifique » et un tatouage non moins magnifique sur le bras. « Son aigle », « il le gardera toujours », « ça ne s’enlève pas », déplore la future belle-mère. Louis déshonore peut-être les filles, mais il connaît un coureur cycliste célèbre, Gimenez… de quoi clouer le bec à tous ceux qui embête Pichette au sujet de sa sœur. Louis sera certainement un papa formidable et un beau-frère plein d’attentions.

Le café du village a de nouveaux propriétaires, deux bordelais, à « l’accent parisien », Henri et Julie. Julie est une « beauté ». Elle est superbe, avec sa « poitrine qui s’avance sous le nez des clients » et ses « fesses qui s’en vont en remuant ». Elle se maquille, se fait friser les cheveux et arbore des « ongles peints en rouge ». Il y a, désormais, grande affluence au café. Les hommes n’ont jamais tant joué aux cartes, le soir, après le travail. Ils se pomponnent avant d’aller boire leur petit verre au comptoir. Le coiffeur fait son beurre ! Plus aucun homme ne se néglige. Les femmes sont évidemment complètement jalouses et le mot « traînée » est le qualificatif qui rime le mieux, dorénavant, avec Julie. Le parfum de la belle se répand dans tout le village, se glisse sous les portes et titille les narines des uns et des autres. Lorsqu’elle entre chez le boucher Lamour, celui-ci frise sa moustache blonde et profite des courses en campagne pour retrouver la belle Julie. Désormais, lorsqu’il va acheter ses bêtes aux agriculteurs de la région il se fait propre, « il se rase de près, se peigne » et revêt une belle chemise blanche, afin de ne pas décevoir sa belle voisine. Il ne serait pas étonnant que, de ces petites escapades, naisse, bientôt, un bel enfant de Lamour !

Lorsque Josette, la fille Rochette, est prise au château comme servante, elle « devient très propre » et ne sent plus la vache. Elle finit, tout naturellement, dans le lit du baron. Lorsque Pierrot, le fils Magoulier, est pris au château comme jardinier, il apprend très vite à se brosser « les dents chaque soir » et il atterrit, tout aussi logiquement, dans le lit de la baronne. Josette et Pierrot, une fois leur apprentissage de la vie terminé, vont pouvoir vivre, paisiblement, avec leurs enfants, dans une jolie ferme, acquise grâce à la générosité de leurs bienfaiteurs.

Ramon Cristobal, le fils du marchand forain, doit impérativement décrocher son certificat d’étude. Son père et son grand-père n’hésitent pas à menacer de mort, Monsieur Rigobert, l’instituteur, afin de s’assurer son concours. Deux mois avant l’examen, on lui livre un Ramon « cheveux gominés » et nez au vent. Ce joyeux cancre apprend avec difficulté, mais réussit, par miracle, à obtenir le précieux diplôme.

Marcel, le coiffeur de la rue Jules Michalon, ancien maire, n’est pas vraiment recommandable. Il est « très propre » sur lui et semble irréprochable. Pourtant, il vaut mieux ne pas le laisser seul avec un petit garçon, si l’on ne veut pas troubler l’innocence de ce dernier. Nanou a horreur d’être envoyé chez Marcel et ce pour plusieurs raisons ; nous n’évoquerons, par discrétion, que l’aspect cosmétique de son problème. Nanou ressort de chez Marcel avec « deux énormes oreilles », bien visibles. Ses cheveux sont collés par une « gomina rose » que Marcel lui a écrasée sur la tête. Une fois bien collés les uns aux autres, les cheveux obéissent à Marcel, au doigt et à l’œil. Marcel passe le peigne sur le dessus de la tête et forme une « vague luisante », appelée « cran ». Du fait de la gomina, le cran durcit. Dernière étape du toilettage... le parfumage. Celui-ci se fait à l’aide d’un « vaporisateur bleu ». Lorsque l’on ressort de chez Marcel, il ne reste plus qu’à prier de ne croiser personne de connaissance et à bien s’agiter la nuit sur son oreiller, afin d’envisager, le lendemain, une journée d’école en toute sérénité.

Lorsque l’instituteur demande à ses élèves de faire le portrait de son meilleur ami, Julot décide de décrire sa sœur. Celle-ci rêve de devenir coiffeuse, la meilleure coiffeuse du monde, celle qui ira en Amérique, pour faire fortune. Elle vendra des « parfums, des peignes et de la poudre ».

Lorsque Jean Cau fouille dans la malle aux souvenirs, il en extrait des anecdotes savoureuses, mettant en scène des garnements, des parents pas toujours très responsables, des communistes qui respectent la religion... On s’attend presque à voir surgir Don Camillo à chaque page. C’est sûr, il n’est pas loin. Il n’attend qu’un signe pour venir apaiser les familles qui s’agitent lorsque des filles, un peu trop naïves, se laissent séduire par des garçons un peu trop galants.

Merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette ballade, en image, dans le jardin de Jean Cau.

Bibliographie

1 Cau J. Les culottes courtes, Le livre de Poche, Paris, 1988, 191 pages

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