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Dans le sillage des médecins qui se sont intéressés à l’acné vulgaire…

> 20 février 2018

Dans le sillage des médecins qui se sont intéressés à l’acné vulgaire… L’acné vulgaire est une pathologie inhérente à l’Homme ; des textes anciens en décrivent la physiopathologie, une physiopathologie parfois balbutiante… Les médecins, philosophes, écrivains ont, chacun à leur tour, apporté leur pierre à l’édifice en décrivant avec des mots plus ou moins justes, basés sur des théories plus ou moins conformes à la réalité scientifique, une pathologie extrêmement fréquente. Tel le petit Poucet, nous allons suivre les petits cailloux qu’ils ont laissés sur leur passage, afin de retracer, le plus fidèlement possible, l’histoire complexe d’une pathologie qui ne l’est pas moins.

Le papyrus Ebers, ce document médical rédigé au XVIe siècle avant notre ère décrit différentes pathologies cutanées dont certaines se traduisent par des lésions à type de « furoncles, de plaies, de pustules »…

C’est avec le mot grec « ionthoi » (qui signifie « début de croissance de la barbe ») qu’Hippocrate (460 av J.C – 370 av J.C) et Aristote (384 av J.C – 322 av J.C.) décrivent l’acné. L’âge de la puberté est donc clairement évoqué pour caractériser une pathologie qui touche, effectivement, majoritairement les jeunes. Même si Hippocrate n’a pas dit la phrase qu’on lui attribue trop souvent : « Que ton aliment soit ton médicament, que ton alimentation soit ta première médecine », il a toutefois posé les bases de la diététique, en adaptant le régime alimentaire à l’état de son patient, à son âge, à son type d’activité… (Diana Cardenas, Let not thy food be confused with thy medicine: The Hippocratic misquotation, e-SPEN Journal, 8, 6, 2013, Pages e260-e262). Le débat concernant le rôle de l’alimentation dans la survenue de l’acné peut commencer !

Le terme « akmé » (qui signifie « la force de l’âge », chez Xénophon) est également employé par le médecin Galien qui y voit la maladie de la croissance. Il distingue différents types de lésions, selon la sensation qui peut être ressentie au toucher. Certains lésions sont molles, d’autres indurées. Selon l’aspect, le traitement sera différent… miel ou préparation à base de savon seront prescrites dans l’un ou l’autre des cas.

Jullius Pollux, auteur grec de l’Onomasticon (« que l’on peut nommer »*), un dictionnaire en plusieurs volumes, relie, lui aussi, l’âge de la puberté avec le développement d’une pathologie bien spécifique.

De « akmé » à « acné », il n’y a qu’un pas… que franchira le médecin grec Aetius dans son ouvrage, « De re medica ». Si certains auteurs voient dans ce médecin un étourdi qui se mélange les pieds dans les lettres de l’alphabet, d’autres auteurs penchent plutôt pour une erreur de transcription ultérieure par des copistes peu appliqués. En 1951, Grant tranchera finalement en faveur d’un acte volontaire de la part d’Aetius (Grant R.N., The history of acne, Proc R Soc Med., 1951, 44, 8, 647-652).

Pourquoi tant de discussions en ce qui concerne le remplacement d’une lettre par une autre nous direz-vous ? Ce point de détail n’en est pas vraiment un si l’on précise que ces deux termes possèdent des significations différentes. En 1564, Gorraeus dans « Definitionum medicarum » ne met pas longtemps à choisir entre « akmé » et « acné ». L’acné est une pathologie caractérisée par des lésions qui ne démangent pas. On utilise donc le « a » privatif devant le terme grec « knesis » qui signifie « démangeaison »,* pour former le mot acné. Par ailleurs, le mot grec « acne » existe, par lui-même en grec ; il désigne une « efflorescence à la surface d’un corps ».* Il pourrait bien s’agir de la véritable origine étymologique du nom de pathologie qui nous intéresse ici !

Les médecins romains et les écrivains ou philosophes qui retranscrivent leurs propos dans leurs ouvrages – on pensera à Pline et à Celse - parlent, quant à eux, de “varus”, terme qui désigne un élément du corps humain « tourné en dedans ».
Encore un mot pour préciser que l’on ne doit pas confondre « rosacée » et « acné ». Théocrite décrit la rosacée comme « des boutons qui apparaissent sur le nez lorsque l’on dit un mensonge » (« pseudos » qui signifie mensonge, fausseté,* en grec).

Dans son dictionnaire médical, appelé poétiquement « Le château de santé » (1534), Thomas Elyot met en scène un nouveau type de lésions. Il définit une pathologie liée à une mélancolie du sang, à une adiposité de la partie supérieure du corps et qui se traduit par la présence de « points noirs » (Grant R.N., The history of acne, Proc R Soc Med., 1951, 44, 8, 647-652).

Ces points noirs seront considérés, pendant fort longtemps, par certains médecins, comme des vers ou des animalcules qui ressortent au niveau de la peau et qui se nourrissent aux dépens de l’organisme de leur hôte, au point de créer, chez celui-ci, des états cachectiques. L’origine du mot « comedo » (qui vient du latin : « mangeur ») fait référence à ces petits gloutons qui n’existent, bien sûr, que dans l’imagination de certains. Bateman, en 1813 et Hoefle, en 1846, font état de cette croyance au sein de la population. C’est à Thomas Bateman (1778 – 1821) que l’on attribue l’une des premières définitions du comédon, à savoir « un excès de sébum moulé dans le conduit de la glande sébacée ; l’extrémité noircissant au contact de l’air ». Dans les années 1950, on démontrera que le sébum maintenu à 37°C, pendant 6 semaines, à l’air libre, ne change pas de couleur, mettant ainsi à mal cette théorie. Par la suite, on considérera le comédon comme le signal d’alarme qui annonce le début de la puberté et certains auteurs évoqueront une « acné physiologique », pour désigner une peau riche en comédons d’apparence discrète.

Samuel Plumbe (1795 – 1837) identifie ce comédon à la lésion primitive de l’acné, celui-ci évoluant vers le tubercule (ou nodule), puis éventuellement en pustule.

La composante endocrinienne, suspectée au XVIIe siècle (l’acné est mise en lien avec les troubles de la menstruation, avec la notion de virilité, d’abstinence sexuelle – le mariage est présenté comme le remède suprême), est confirmée au XIXe siècle. Certains dermatologues établissent un lien entre masturbation et crise d’acné, ce à quoi le dermatologue Ferdinand von Hebra (1816 – 1880) répond que c’est une croyance largement répandue par les maîtres d’école, croyance qui pourtant n’est pas fondée. Le rôle des hormones sexuelles ne fait aucun doute dans l’esprit d’Hebra qui publie, en 1868, le témoignage du Professeur Rigler qui a passé 12 ans à Constantinople et qui a constaté que le taux d’acnéiques chez les eunuques est extrêmement faible ! Ne comptons pas sur Hebra pour rechercher le meilleur traitement possible ; celui-ci considère que le temps est le meilleur allié de l’acnéique, qu’il suffit d’un peu patience pour que les lésions s’effacent d’elles-mêmes.

Dans les années 1900, Georges Thibierge (1856-1926) met en avant la composante inflammatoire de l’acné. Il avance prudemment le rôle de bactéries susceptibles d’entraîner une modification de la qualité du sébum et, par là-même, de jouer un rôle dans le phénomène inflammatoire.

En 1907, Jean Darier (1856 – 1938) apporte, quant à lui, une précision d’importance. L’éruption acnéiforme repose sur un état particulier de la peau qu’il nomme « kérose ». Il faut entendre par ce terme la notion d’hyperkératose, qui se traduit par une tendance à la desquamation et par une augmentation de l’épaisseur cutanée, au niveau des orifices pilo-sébacés.

1920. Mac Leod décrit l’acné vulgaire de la femme adulte. Des nodules siégeant au niveau des joues et du menton peuvent être retrouvés chez des adultes de 25 à 40 ans, voire même plus âgés.

Durant des années, de nombreux chercheurs ont tenté, parfois en vain, d’établir des liens entre la survenue de l’acné et des facteurs divers et variés : rôle de l’acarien Demodex, lien avec l’état pelliculaire (Pytiriasis capitis), lien avec l’hypertrichose, lien avec la couleur des cheveux (le sujet roux ayant été jugé, un temps, plus disposé à l’état pelliculaire), lien avec la constipation… (R.M.B. Mackenna, Acne vulgaris, The Lancet, 269, 6961, 1957, 169-177).

Dans les années 1940, certains auteurs baissent carrément les bras en s’exclamant : « L’acné, une pathologie toujours inexpliquée !». Ceux-là mettent de côté les facteurs génétiques (certaines mères sont étonnées de voir leurs filles développer de l’acné alors qu’elles-mêmes n’ont jamais souffert de problèmes de peau), les facteurs alimentaires (il n’existe pas de différence significative entre les constipés et ceux qui ne le sont pas), les facteurs hygiéniques (on ne trouve pas de différence entre les adeptes du nettoyage à fond et ceux qui pratiquent une toilette de chat), les facteurs endocriniens (les traitements hormonaux sont sans valeur)… ils attendent une nouvelle voie pour venir à bout de cette pathologie parfois fort mal vécue (Anonyme, Acne still unexplained, The Lancet, 235, 6074, 1940, 179).

Rassurons ces chercheurs désabusés. En 2018, l’acné est toujours source d’intérêt pour les chercheurs du monde entier. Avec plus de 40 000 articles sur Sciencedirect, il reste encore beaucoup à dire et à écrire sur le sujet. A l’heure où la gestion du stress et l’amélioration de l’estime de soi sont des thématiques porteuses, ne doutons pas que toute pathologie qui impacte aussi bien l’une que l’autre intéressera le clinicien (S.M. Gallitano, D.S. Berson, How Acne Bumps Cause the Blues: The Influence of Acne Vulgaris on Self-Esteem, International Journal of Women's Dermatology, 4, 1, 2018, 12-17).

* Pour réaliser la traduction des mots en grec ancien, c’est le dictionnaire Bailly qui a été utilisé.

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