Nos regards
Dans l’odeur suave d’un flamboyant... avec Marie NDiaye

> 13 janvier 2018

Dans l’odeur suave d’un flamboyant... avec Marie NDiaye Marie NDiaye (Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009, 333 pages) s’y connaît en matière de nid, de flamboyant et d’odeur de moisi... Son récit est baigné d’effluves qui n’ont rien de bien agréables... Le père absent est comparé à un oiseau (de mauvais augure) qui niche dans les branches d’un arbre... Cet oiseau là n’est pas le protecteur du nid, mais un prédateur qui détruit tout ce qu’il touche... Oui, mais c’est pourtant un père et il ferait bon nicher à côté de lui... là, tout à côté de lui, dans les branches odoriférantes du flamboyant !

Entre un père à « la douce senteur fétide », résultat de « la lente corruption des fleurs jaune orangé » qui n’a pas su aimer ses filles et un compagnon, Jakob, qui exhale « une saine odeur de lessive » et développe une trop grande complicité avec ses filles, Norah est prise au piège de ses sentiments. L’un est « trop », l’autre « pas assez » !

Lorsque Norah est appelée à l’aide par son père, elle ne se doute pas du changement profond qui est survenu chez cet homme possédant autrefois une belle prestance. En l’embrassant, « il lui sembla percevoir un relent de moisi ». Norah n’arrive pas à définir si cette odeur provient « de la floraison abondante, épuisée du gros flamboyant jaune qui poussait ses branches au-dessus du toit plat de la maison » ou bien « des vêtements de son père » ou bien encore « de sa peau de vieux, plissé, couleur de cendre ». Cet homme qui s’est parfumé longtemps « aux essences les plus chics » et « n’avait jamais voulu exhaler sa véritable odeur » est mis au pied du mur... L’âge venant, il se réconcilie avec sa nature, en acquérant une odeur végétale, « celle, doucereuse, des fleurs corrompues du grand arbre ». Le jeune vautour s’est mué en « un vieil oiseau épais, à la volée malhabile et aux fortes émanations. »

Celui qui cultivait une « conventionnelle élégance » et s’habillait en « blanc et beurre frais » conserve désormais une même chemise « froissée et tachée d’auréoles de sueur » ou « un pantalon verdi et lustré aux genoux ». « Le col malpropre de sa chemise » laisse supposer que celle-ci n’est pas changée très souvent. La cravate, toujours impeccablement nouée autour du cou, même pour prendre le frais sur le seuil de sa porte, n’est plus d’actualité. Les « souliers cirés, beiges ou blanc cassé » restent au placard ; « des tongs en plastique », beaucoup plus pratiques, les remplacent.

Cet homme « dont le physique et l’allure n’étaient alors jamais affectés par le moindre signe de faiblesse ou de sensibilité à la canicule », redevient, en vieillissant, un être humain capable de transpirer. L’intransigeance d’antan ne s’applique plus... Norah, qui aurait eu honte de se présenter devant son père « suante et fatiguée », non poudrée, ne cherche plus d’approbation dans le regard de ce père qui se néglige complètement. Elle en viendrait presque à regretter le temps où son père lui « imposait un devoir de séduction » et ne tolérait pas plus l’absence de rouge à lèvres qu’une « peau échauffée, humide » ou qu’une robe trop simple ou « froissée ».

Chez Marie NDiaye, les rapports humains ne sont pas simples. On sent, pourtant, qu’avec un peu de bonne volonté, on pourrait y arriver...

C’est dans le grand flamboyant que s’achève ce conte. Norah y a élu domicile, dans « l’odeur sure des petites feuilles »... à côté de son père. La réconciliation est à portée de branche !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour avoir « perché » Marie Ndiaye dans ce flamboyant... un peu spécial...

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