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Crème de la mer, radiographie d’une crème mythique qui nous promet la lune

> 22 février 2022

Crème de la mer, radiographie d’une crème mythique qui nous promet la lune

La crème de la mer est une crème de luxe qui attise le mystère depuis des dizaines d’années. Secret de stars (Jennifer Lopez, Vanessa Paradis, Jennifer Aniston),1 traquant la première ride avec angoisse, la crème n’est disponible en France que depuis 2006. Auréolée de gloire, cette crème rajeunissante est présentée comme renfermant un mystérieux actif, puisé dans le grand réservoir marin. Côté marketing, un véritable sans faute, avec une histoire qui nous est répétée, de saison en saison, par divers journaux féminins, qui savent entretenir, avec soin, la légende iodée de celle que certains ont baptisé « la Rolls-Royce des crèmes  », « le caviar des anti-âge », « mon assurance bonne mine »...2

A l’origine du phénomène, un physicien de la NASA, Max Huber, qui, dans les années 1950, se fait brûler le visage à force de concocter en laboratoire des mélanges détonants, préparés dans le but de faire décoller de la terre des engins à destination de la lune. Notre physicien, qui a les pieds bien ancrés sur terre et la tête dans les étoiles, cherche alors pour se refaire une beauté la crème-miracle qui lui permettra de cicatriser les plaies de son visage. Comme il n’existe rien dans le commerce susceptible de lui restituer ses traits d’antan (ben voyons, rien de rien, il n’y a vraiment aucun produit permettant de traiter les brûlures aux Etats-Unis dans les années 1950 ?), notre chercheur, amoureux des embruns salés et des promenades cheveux au vent, décide de se retrousser les manches et de se concocter, dans un petit laboratoire de fortune, une crème réparatrice susceptible de cicatriser son épiderme et de cautériser des comptes en banque ayant tendance à fuir... Après de multiples essais (6000 au total ; nous disent les Marseillais qui ont tendance, comme on le sait parfaitement, à grossir les situations), la formule magique est trouvée, testée, approuvée par des médecins qui, dans les hôpitaux voisins, ont eu vent de ce produit qui, bien avant la Biafine (celle-ci est née dans les années 1970, en France, pour venir en aide à une jeune mannequin brûlée par son fer à repasser la veille d’un défilé de mode),3 restaure la peau en un temps record. Max Huber décide alors de continuer l’aventure de la petite crème qui monte, qui monte, en restant sur le pied de l’artisanat et en délivrant à ses concitoyens un nombre réduit d’unités par an. Rareté, mystère, prix exorbitant, les débuts de cette « crème qui guérit » sont bien évidemment prometteurs.

Des débuts prometteurs... qui attisent les convoitises de la société Estée Lauder qui décide, dans les années 1990, de s’offrir ce petit bijou de communication. Le stade artisanal voulu par Max Huber est dépassé ; la formule-magique, perdue au gré des déménagements, doit être retrouvée par les chimistes de la maison qui vont laisser des algues fermenter jusqu’à ce que le... miracle se produise.4 Le « bouillon miraculeux » (Miracle broth) est retrouvé !

Reste à se tourner vers la liste des ingrédients qui composent la crème mythique. Le premier ingrédient, très mystérieux, ne livre aucun de ses secrets. Si l’on se réfère à l’inventaire européen, on constate que le nom INCI « Algae extract » correspond à un extrait de diverses algues (jusque là on n’est pas surpris) et qu’il s’agit désormais d’un nom obsolète, puisqu’il faut, à l’heure actuelle, préciser les noms de genre et d’espèces des algues incorporées dans la formule.5 Le reste de la formule, nettement moins sibyllin, est beaucoup plus confortable à analyser, la transparence étant restaurée.

Un mystérieux extrait d’algues est donc incorporé dans un excipient qui fait la part belle aux dérivés de pétrole.

Parmi les actifs incorporés, on signalera de l’huile essentielle d’eucalyptus, à l’effet antiseptique connu depuis longtemps et à l’effet cicatrisant, démontré scientifiquement plus récemment.6,7

On trouve également une poudre obtenue à partir de graines de luzerne (Medica sativa) ; des graines possédant un profil phytochimique complexe expliquant leurs propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires.8 Une plante utilisée seule ou sous forme de cocktail, associée à d’autres plantes, afin d’exercer des effets raffermissants au niveau cutané.9 A noter la présence, dans ces graines, de génistéine, un phyto-œstrogène reconnu pour sa capacité à régénérer la peau lors du processus de cicatrisation.10

Du côté des vitamines du groupe B : de la niacine,11 une vitamine connue à l’inventaire européen comme un actif capillaire à la fois antistatique et lissant.12 Pas forcément utile ici. Du panthénol, un agent cicatrisant bien connu dans les années 1950 et depuis lors très largement utilisé tant dans le domaine du médicament (on pense tout spécialement à la pommade Bepanthen) que dans celui des cosmétiques, du fait de ses propriétés associés (effet hydratant, apaisant...).13 De la cyanocobalamine, une vitamine étiquetée « agent conditionneur », par l’inventaire européen14 et pour laquelle il est possible de trouver des travaux montrant son intérêt en matière de prise en charge de la dermatite atopique15-17 ou du psoriasis.18,19

En résumé, Max Huber a utilisé, pour réaliser sa préparation-miracle, un excipient bien connu des galénistes. Le mélange vaseline-alcool de lanoline a, en effet, constitué, pendant longtemps, un excipient très utile tant dans le domaine du soin que de la beauté.20 Il y a incorporé du panthénol, très étudié alors, aux Etats-Unis, pour son effet cicatrisant21 et des ingrédients végétaux telle l’huile essentielle d’eucalyptus, reconnue de tout temps pour son caractère antiseptique. La petite touche mystérieuse apportée par le bouillon d’algues a fait le reste.

Que penser de cette crème ? Qu’elle mériterait de jouer la transparence totale en nous livrant les noms de genres et d’espèces des algues incorporées dans la formule.

Que penser d’un ingrédient-miraculeux ? Qu’il ne vit visiblement pas en 2022, époque où l’on demande du dur, du solide, du prouvé pour pouvoir communiquer en matière de produits cosmétiques.

En conclusion, ce produit, par son marketing, nous promet la lune ; dans la réalité, il fait preuve d’une certaine opacité et risque bien de nous faire voir la lune en plein midi ! Pour plusieurs centaines d’euros, les 100 mL… quand même !

Bibliographie

1 http://www.luxe-magazine.com/fr/article/1977-creme_de_la_mer_un_miracle_marketing.html

2 https://madame.lefigaro.fr/beaute/creme-de-mer-leve-mystere-280313-376552

3 https://www.femina.fr/article/cicatrices-peaux-sensibles-brulures-voici-le-soin-du-visage-que-le-monde-envie-aux-francaises

4 https://www.lalibre.be/2001/03/14/le-charme-discret-des-produits-cultes-N3GKSNFRSVEZNMAWOGQUD5VV7A/

5 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=54290

6 Saporito F, Sandri G, Bonferoni MC, Rossi S, Boselli C, Icaro Cornaglia A, Mannucci B, Grisoli P, Vigani B, Ferrari F. Essential oil-loaded lipid nanoparticles for wound healing. Int J Nanomedicine. 2017 Dec 27;13:175-186

7 Esposito E, Nastruzzi C, Sguizzato M, Cortesi R. Nanomedicines to Treat Skin Pathologies with Natural Molecules. Curr Pharm Des. 2019;25(21):2323-2337

8 Zagórska-Dziok M, Ziemlewska A, Nizioł-Łukaszewska Z, Bujak T. Antioxidant Activity and Cytotoxicity of Medicago sativa L. Seeds and Herb Extract on Skin Cells. Biores Open Access. 2020 Oct 23;9(1):229-242

9 Benaiges A, Marcet P, Armengol R, Betes C, Gironés E. Study of the refirming effect of a plant complex. Int J Cosmet Sci. 1998 Aug;20(4):223-33

10 Ahn S, Ardoña HAM, Campbell PH, Gonzalez GM, Parker KK. Alfalfa Nanofibers for Dermal Wound Healing. ACS Appl Mater Interfaces. 2019 Sep 18;11(37):33535-3354

11 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-vitamine-b3-que-du-bonheur-cosmetique-1734/

12 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=35498

13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-panthenol-partout-est-son-nom-de-code-1693/

14 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=33091

15 Nistico SP, Del Duca E, Tamburi F, Pignataro E, De Carvalho N, Farnetani F, Pellacani G. Superiority of a vitamin B12-barrier cream compared with standard glycerol-petrolatum-based emollient cream in the treatment of atopic dermatitis: A randomized, left-to-right comparative trial. Dermatol Ther. 2017 Sep;30(5)

16 Stücker M, Pieck C, Stoerb C, Niedner R, Hartung J, Altmeyer P. Topical vitamin B12--a new therapeutic approach in atopic dermatitis-evaluation of efficacy and tolerability in a randomized placebo-controlled multicentre clinical trial. Br J Dermatol. 2004 May;150(5):977-83

17 Jung SH, Cho YS, Jun SS, Koo JS, Cheon HG, Shin BC. Topical application of liposomal cobalamin hydrogel for atopic dermatitis therapy. Pharmazie. 2011 Jun;66(6):430-5

18 Stücker M, Memmel U, Hoffmann M, Hartung J, Altmeyer P. Vitamin B(12) cream containing avocado oil in the therapy of plaque psoriasis. Dermatology. 2001;203(2):141-7

19 Del Duca E, Farnetani F, De Carvalho N, Bottoni U, Pellacani G, Nisticò SP. Superiority of a vitamin B12-containing emollient compared to a standard emollient in the maintenance treatment of mild-to-moderate plaque psoriasis. Int J Immunopathol Pharmacol. 2017 Dec;30(4):439-444

20 Zoe Diana D, Leon H. K, Darrell R. The Low Prevalence of Allergic Contact Dermatitis Using a Petrolatum Ointment Containing Lanolin Alcohol. J Drugs Dermatol. 2019 Oct 1;18(10):1002-1004

21 Combes FC, Zuckerman R. Panthenol: its topical use in cutaneous ulceration. J Invest Dermatol. 1951 Jun;16(6):379-81

Composition

Crème de la mer - La crème régénération intense : Algae (Seaweed) Extract, Mineral Oil\Paraffinum Liquidum\Huile Minerale, Petrolatum, Glycerin, Isohexadecane, Microcrystalline Wax\Cera Microcristallina\Cire Microcristalline, Lanolin Alcohol, Citrus Aurantifolia (Lime) Extract, Sesamum Indicum (Sesame) Seed Oil, Eucalyptus Globulus (Ecalyptus) Leaf Oil, Sesamum Indicum (Sesame) Seed Powder, Medicago Sativa (Alfalfa) Seed Powder, Helianthus Annuus (Sunflower) Seedcake, Prunus Amygdalus Dulcis (Sweet Almond) Seed Meal, Sodium Gluconate, Potassium Gluconate, Copper Gluconate, Calcium Gluconate, Magnesium Gluconate, Zinc Gluconate, Magnesium Sulfate, Paraffin, Tocopheryl Succinate, Niacin, Water\Aqua\EAU, Beta-Carotene, Decyl Oleate, Aluminum Distearate, Octyldodecanol, Citric Acid, Cyanocobalamin, Magnesium Stearate, Panthenol, Limonene, Geraniol, Linalool, Hydroxycitronellal, Citronellol, Benzyl Salicylate, Citral, Sodium Benzoate, Alcohol Denat., Fragrance (Parfum).

 

 

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