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Cosmétique de la vieillesse

> 25 janvier 2020

Cosmétique de la vieillesse

« Les fous m’attirent [...] », c’est ainsi que commence l’une des nouvelles de Guy de Maupassant.1 Madame Hermet, une femme, qui fut « très belle, très coquette, très aimée et très heureuse de vivre », vit désormais dans un asile.

Toute sa jeunesse a été centrée sur son corps. « C’était une de ces femmes qui n’ont au monde que leur beauté et leur désir de plaire pour les soutenir, les gouverner ou les consoler dans l’existence. Le souci constant de sa fraîcheur, les soins de son visage, de ses mains, de ses dents, de toutes les parcelles de son corps qu’elle pouvait montrer prenaient toutes ses heures et toute son attention. » Mme Hermet ne vit que pour sa beauté, entourée de cosmétiques. Sa table de toilette croule sous les produits de toilette, les baumes pour les mains, les soins hydratants, les parfums...

Mme Hermet sait bien, pourtant, que cette fraîcheur n’est que temporaire. Elle sait que le jour est proche où le petit miroir d’argent où elle aime à contempler son visage va lui tenir un langage qui ne lui plaira guère. Ce petit miroir se plait à dramatiser la situation. Il grossit, avec application, « le progrès léger du mal que personne encore ne semble voir ». « Les longues rides du front, ces minces serpents que rien n’arrête », les pattes d’oies qui cancanent au coin des yeux, l’affaissement des chairs, jadis pleine de tonicité… autant de témoins de « l’odieux et tranquille ravage de la vieillesse qui s’approche »…

C’est à 35 ans, que la vie de Mme Hermet bascule dans la folie. Son fils, Georges, âgé de 15 ans, atteint de petite vérole, constitue alors pour elle une terrible menace. Sa beauté ne résistera pas aux assauts de cette terrible maladie. Il ne lui reste plus qu’à se terrer dans sa chambre, au milieu des « petits brasiers », « répandant de fortes odeurs ». La mère est morte à l’instant où s’est déclarée la maladie du fils. Non, elle ne sacrifiera pas sa beauté, non elle ne se tiendra pas au chevet de l’enfant qui l’implore.

Depuis la mort de Georges, Mme Hermet vit dans un asile, tourmentée par des « trous » de petite vérole qui n’existent que dans son pauvre cerveau. Afin de la soulager, un médecin, plein de compassion, se charge de les cautériser chaque jour. Effet placébo non garanti. Chaque jour, la terreur des traces de petite vérole tourmente à nouveau la pauvre femme.

Le remord constitue, pour Mme Hermet, un mal bien plus difficile à combattre que la vieillesse. Que n’a-t-elle fait confiance aux crèmes anti-âge, aux fonds de teint couvrants, aux poudres unifiantes pour le teint ? Que n’a-t-elle assisté son fils durant ses derniers instants ?

Guy de Maupassant réalise ici un beau plaidoyer en faveur des cosmétiques. Approvisionnons Mme Hermet en crèmes en tous genres et supplions-la de se porter au chevet de son fils mourant. Si l’on peut s’accommoder des signes de la vieillesse - masquons-les au mieux à l’aide de cosmétiques divers et variés - on ne se remet jamais d’un remord tenace !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du Regard de ce jour !

Bibliographie                                                                                                                                             

1 de Maupassant G. Madame Hermet in Misti, Albin Michel, Paris, 1967, 254 pages

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