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Conseils cosmétiques ovidiens !

> 23 septembre 2017

Conseils cosmétiques ovidiens ! Les amours (Ovide, Les amours traduction de M. Mangeard et Héguin de Guerle, Garnier frères, Paris, 1883, 282 pages) constituent un recueil de poèmes dont le thème n’apparait que trop clairement dans le titre. Alors qu’Ovide s’apprête à chanter combats sanglants et héros en armes, Cupidon « se prit à rire » et, avec grande malice, « en retrancha un pied ». Emmêlé dans ses vers comme dans le filet du rétiaire, le poète trébuche et tombe... ce n’est plus à la guerre que ce recueil, est consacré mais à l’amour !

Les cosmétiques sont des alliés nécessaires à la beauté ; Ovide ne se fait pas prier pour livrer à ses lectrices des recettes pour améliorer la qualité de leur teint. Un teint pâle, « un cou de neige », une peau sans défaut, aussi lisse qu’un miroir sont possibles à obtenir, à condition toutefois que vous disposez des ingrédients requis. Une « Vénus sous un teint basané », des cheveux sombres ou clairs... « Toutes les belles que l’on admire à Rome » ont leur chance auprès du poète-séducteur. Celui-ci enseigne la vigilance aux élèves qui veulent bien écouter ses conseils. S’il existe des formules recommandables (celles fournies par le poète, cela va sans dire), il en est d’autres qui produisent des effets catastrophiques. « [...] c’est à ta propre main que tu dois la perte qui te désole, c’est toi-même qui répandais le poison sur ta tête. »

Corinne, la femme mariée que convoite Ovide, est dépeinte comme une véritable Vénus : « les cheveux flottants de chaque côté sur sa gorge si blanche. Quand elle est dévêtue, Ovide admire la beauté de son teint. « [...] pas une tache n’apparut sur son corps. » Corinne est remarquable sous tous rapports. Sa « peau douce et unie », sa « cuisse ferme et potelée », tout est parfait ! Elle n’aura pas manqué d’user de cosmétiques pour atteindre à cette perfection. Peut-être a-t-elle utilisé l’une des recettes proposées par le poète dans son recueil de cosmétiques. De l’orge mondé de Lybie (deux livres), de l’ers (deux livres), une dizaine d’œufs... le tout broyé sous la meule. Ajoutez-y de la corne de cerf (la sixième partie d’une livre), douze oignons de narcisse, deux onces de gomme et d’épeautre de Toscane, et neuf fois autant de miel... Le résultat : un cosmétique-miracle… pas moins ! « Toute femme qui enduira son visage de ce cosmétique le rendra plus uni, plus brillant que son miroir. » Et ce n’est pas fini... Reprenez ce même cosmétique qui vient de lisser le teint à merveille, ajoutez-y de la céruse, de l’écume de nitre rouge et de l’iris additionnée de « la matière dont l’alcyon plaintif cimente son nid » (autrement dit de nid d’hirondelle), vous aurez alors formulé un « excellent remède pour faire disparaître les taches du visage. »

Napé est l’une des nombreuses servantes chargées de magnifier la chevelure de sa maîtresse, Corinne. Elle est « habile à réunir et à disposer avec art les cheveux » de sa maitresse ; elle est également douée pour l’intrigue, puisqu’elle se charge de billets doux... Ceux-ci sont alors assez peu maniables ; ils se présentent sous la forme de tablettes en bois enduites de cire dans laquelle on peut graver des caractères. Lorsque le billet-tablette ne trouve pas échos dans le cœur de sa destinataire, le poète se met en colère. Le bois de la tablette est de « l’arbre même qui ne servit qu’à pendre quelque malheureux. » ; la cire, quant à elle, est tout juste bonne à recevoir les colonnes de chiffres d’un vieil avare !

Corinne, qui a cherché à avorter, est l’objet de ses foudres. Pour conserver sa beauté, Corinne a voulu mettre un terme à sa grossesse, mettant, par là-même, sa vie en danger. « Quoi ! Pour épargner à ton ventre quelques rides, il faudra ravager le triste champ où le combat fut livré. »

Corinne est orgueilleuse et volage. Ce qu’elle a accordé à Ovide, elle l’accorde à d’autres... Ovide s’étonne que la trahison faite ne laisse aucune trace sur son visage. « Elle a trahi la foi jurée, et sa beauté est la même qu’auparavant ! » Une chevelure aussi longue qu’avant, un teint « où brille l’éclat des roses », tout comme avant, un petit pied encore plus mignon que par le passé... Les mensonges que Corinne distille aussi bien à son mari qu’à son amant, ne laissent aucune trace visible sur sa peau ou ses cheveux ! Mais si Corinne est tant convoitée n’est-ce pas la faute d’Ovide qui a si bien su chanter ses grâces ?

Si Corinne est le centre de son univers, s’il la chante dans la plupart des élégies, Ovide ne manque pas non plus de donner quelques conseils aux jeunes filles et tout spécialement à celles en quête de coiffures excentriques. Abstenez-vous leur dit-il. « Quoique ses cheveux fussent aussi flexibles que le duvet, combien de fois, hélas, ils furent mis à la torture ! Combien de fois ils subirent patiemment le fer et le feu, pour se plier en tresses arrondies. C’est un crime m’écriais-je, oui, c’est un crime de brûler ces cheveux [...]. » Les mauvais traitements (chaleur, teinture...) vont faire des ravages sur toutes ces jolies têtes. « Je te le disais bien : Cesse de teindre tes cheveux. Tu n’as plus aujourd’hui de chevelure à teindre. » Il faut dire que cette jeune fille n’était ni brune ni blonde. Ses cheveux (ébène et or mélangé) lui donnaient du fil à retordre ! Devenue chauve, la pauvre jeune fille qui a martyrisé ses cheveux à coups de frisures, de teintures, de tresses plus serrées qu’il ne faut, n’a plus que ses yeux pour pleurer. Ovide ironise en lui proposant des perruques d’importation (« Maintenant la Germanie t’enverra des cheveux d’esclaves [...] »).

Ovide est un adepte du mensonge. Il ne veut pas savoir... comment et pour qui sa belle le trompe (« Je ne te défends point, belle comme tu l’es, d’avoir quelques faiblesses ; ce que je ne veux pas, c’est la douleur et la nécessité pour moi de le savoir. »). Ovide aime le mystère. Il ne veut pas savoir comment et pourquoi les femmes sont belles. Usez de cosmétiques si vous voulez mais sachez les cacher et ne pas en faire étalage !

Merci (encore et encore !) à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du Regard de ce jour !

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