> 17 septembre 2021
Dans les années 1950 (on est à la veille de la mode yéyé), Josette Lyon est une journaliste - beauté qui souhaite à tout prix améliorer la vie des adultes qui, pour l’heure, sont des enfants.1 L’idée de rédiger un ouvrage de conseils destinés au jeune public La beauté se forge avant 18 ans naît alors... non dans une salle de bains... mais bien plutôt dans une salle à manger, alors que la journaliste se retrouve au cœur d’un débat concernant le lien entre réussite sociale et aspect extérieur. Tel invité vient se plaindre dans son giron en lui disant que les quelques centimètres qui lui ont manqué ont pesé sur une carrière restée obscure, telle autre se lamentera sur une peau couturée de cicatrices d’acné. « Si mes parents m’avaient appris à soigner ma peau »... voilà la phrase qui teinte aux oreilles de Josette Lyon, durant toute la soirée et qui va faire germer une idée d’ouvrage dans son cerveau, entre la poire et le fromage. Au café, l’idée se concrétise. Le lendemain, très certainement, la journaliste se retrouve devant sa machine à écrire, bien décidée à changer le monde à sa mesure. Puisque « les mères de bonne volonté » ne savent pas comment soigner la peau dans leur enfant, et bien c’est Josette qui va jouer la bonne mère !
Dresser à l’hygiène, voilà l’objectif éducatif de la bonne mère ! Le « dressage » doit se faire avec habileté, afin de rendre la toilette la plus agréable possible. Il serait dommage de tout gâcher avec « un peu de savon » qui pique les yeux ! Chaque enfant devra donc disposer de son « petit coin personnel dans la salle d’eau ». « Chacun aura aussi sa savonnette, dont vous lui ferez choisir le parfum et la couleur. Ajoutez à cela un verre à dents coloré, une petite brosse à sa taille et un tube de dentifrices pour enfants ». Chacun sera responsable de son matériel et veillera à la bonne tenue de l’ensemble. On approuve !
Au sujet du bain... laisse les gondoles à Venise !
A la rubrique « Quelques bonnes habitudes », le bain est présenté comme un acte scientifique répondant à deux exigences : une durée optimale (moins de 15 minutes), une température optimale (37 à 38°C). « La baignoire n’est pas une gondole où s’abandonner pour songer à ses danseurs » est la phrase-clé qui doit être assénée à la jeune fille rêveuse, qui reste à mariner dans son bain pendant des heures ! Le gant de crin (surtout pas de gant en éponge beaucoup trop moelleux !) pour exfolier la peau à la sortie du bain lui remettra par ailleurs les idées en place. On approuve (sauf le gant de crin !) !
Très au fait des découvertes scientifiques concernant le rôle du fluor en matière d’hygiène bucco-dentaire, Josette inclut cet actif dans la routine « dents saines », des enfants bien soignés, et ce dans un paragraphe au titre savoureux : « Donnez-leur leur fluor quotidien ». Un badigeonnage à l’aide d’une solution fluorée ou un brossage avec une pâte dentifrice contenant un sel fluoré sont recommandés. On approuve !
En matière d’hygiène capillaire, en revanche, Josette semble être d’un autre âge tant l’eau est présentée comme l’ennemie héréditaire du cheveu, car susceptible de l’altérer. « Il est mauvais de mouiller trop fréquemment les cheveux. » Selon la nature de ceux-ci, les produits recommandés seront un shampooing à l’huile pour les jeunes filles à cheveux secs ou un shampooing au goudron pour les jeunes gens à cheveux secs (on précisera que le goudron de houille ou coaltar est désormais interdit dans les cosmétiques et ce depuis plusieurs dizaines d’années). En cas de cheveux gras, le soufre, l’essence de cèdre ou le bois de Panama seront les actifs-phares des formules recommandables. Si l’on veut stimuler la production de sébum on pourra employer des lotions à base de « pétroles, de moelle de bœuf » ou bien du glycérolé d’amidon simple ou salicylé. Si l’on veut traiter au contraire les cheveux gras on privilégiera les préparations à base de « tétrachlorure de carbone ou de goudrons de bois » (tout comme le goudron, le tétrachlorure de carbone fait désormais partie de la liste des substances interdites). Dans ce cas-là ces préparations seront appliquées le soir ; une vaporisation d’eau de Cologne, au petit matin, permettra de lutter contre les miasmes occasionnés. On désapprouve ! De réels progrès ont été réalisés en matière de formulations des shampooings. On ne craindra pas de se laver les cheveux.
Après le shampooing réalisé par lui-même (l’enfant étant responsable de son shampooing, il ne pourra pas se plaindre de son exécution !), l’enfant pourra avoir recours à un « fixatif inoffensif », « à base de corps gras » ! Surtout pas d’eau ! On désapprouve cette crainte obsessionnelle de l’eau !
Pour ramollir le poil, Josette concocte des « compresses de guimauve » et des « pulvérisations boriquées ». En matière de mousse à raser, c’est le savon qui est roi, car il « mousse beaucoup ». On désapprouve formellement les pulvérisations boriquées et ce en particulier chez le jeune garçon. On rappelle au passage qu’acide borique et borate de sodium sont des ingrédients interdits actuellement pour un usage cosmétique.2
Pour la toilette du sujet acnéique, c’est un « savon acide » (liquide ou solide) qui est de mise. Si le terme syndet n’est pas employé, il coule de source, dès lors que les termes savons et acides sont accolés. Un savon étant naturellement alcalin, il ne peut s’agir ici que d’un syndet. Josette se plait à y introduire du soufre, qualifié de « grand teinturier de la peau ». Pas de tripotage des lésions ! Pour le maquillage, de la poudre de riz soufrée ! On approuve le syndet, on désapprouve le soufre !
L’eau de Cologne sera offerte aux petites filles à la première occasion. Elle ne devra cependant pas se substituer à une toilette exemplaire. Une compresse d’eau de Cologne pour nettoyer le cou... c’est un peu juste ! On approuve cette dernière assertion.
« Les mamans sont toujours hostiles au maquillage », déplore Josette, qui recommande une éducation souple, mais encadrée avec fermeté ! Donc pour le maquillage, c’est OUI… mais pas n’importe comment. Josette n’est absolument pas hostile au « nuage de poudre » et à la « pommade rosat appliquée » sur les lèvres. Elle insiste surtout sur la notion de nettoyage de la peau (avec un savon surgras ou de l’eau boratée), de démaquillage, à l’aide d’un « cold cream démaquillant » et de protection (« Protéger la peau, c’est la conserver dans son état de santé »). Une « crème-écran à base de cire d’abeilles » et les crèmes « cholestérinées » constituent, à son avis, les crèmes protectrices les plus adaptées.
Ptet bin qu’oui, ptet bin qu’non... Le Soleil, c’est complexe. Josette nous le présente comme un remède (« Profitez de ce médicament pour lequel nul remboursement de Sécurité Sociale n’est nécessaire mais ne laissez pas vos enfants jouer avec le feu (solaire »), à utiliser toutefois en respectant une posologie bien précise. Les bains de soleil avant l’âge de 6 mois, on oublie. Trop dangereux ! On pratiquera en revanche une exposition progressive et par morceaux (5 minutes pour les jambes, puis 10 minutes...). « Selon le docteur Sidi, le maximum de tolérance de la peau au soleil se situe vers 3 ou 4 ans (de même que pendant l’adolescence et à la cinquantaine), le maximum de sensibilité entre 5 et 8 ans (de même qu’entre 25 et 30 ans) ». Josette n’exclut pas la possibilité de faire des coups de soleil. Un « corps gras pharmaceutique » (« huile d’amandes douces, axonge, liniment oléocalcaire ») est alors recommandé. Pour éviter ces coups de soleil, on peut aussi se protéger à l’aide de « bons antisolaires » (qui « ne sont pas réservés qu’aux grandes personnes »). Josette Lyon n’en dira pas plus ; le lecteur sera frustré de ne pas apprendre à reconnaître un bon produit ! Les produits devront être appliqués « chez soi » « et non en arrivant sur la plage », car « le soleil tape déjà pendant les trajets ». On approuve cette notion d’éviction solaire des bébés, on approuve aussi l’usage d’un bon produit solaire. On s’étonne des données folkloriques du Dr Sidi. On désapprouve l’usage de liniment oléocalcaire (tout bêtement un savon) sur un coup de soleil.
Puisqu’Oscar Wilde a dit « que l’allure était beaucoup moins l’art de savoir porter la toilette que de savoir porter le menton », on habituera les filles à se déplacer noblement, la tête haute, un livre, « une corbeille, un paquet de linge » posé sur le sommet du crâne !
Un ouvrage savoureux, écrit avec talent par une journaliste, qui a pris ses renseignements sur les idées faisant office de lois dans les années 1950 en matière d’hygiène, de maquillage, d’exposition solaire. Un ton désuet qui ravira tous les amoureux de l’histoire de la beauté et des cosmétiques. Des idées reçues qui sont fausses (et oui, elles existaient déjà), des idées pleines de bon sens... un joyeux mélange qui répond à l’éternelle question « Comment améliorer son aspect physique au moyen des cosmétiques ? » Toutes les informations véhiculées dans cet ouvrage ne sont donc pas YES - YES ! A lire avec le recul nécessaire !
1 Lyon J., La beauté se forge avant 18 ans. Eds Denoël, Paris, 1956, 183 pages
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