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Conseil dermatologique un peu tardif !

> 15 juin 2019

Conseil dermatologique un peu tardif !

Chez Guy de Maupassant, les médecins sont bien plus que les garants de la santé de leurs patientes. Ils les accompagnent depuis leurs malaises les plus légers (des « malaises féminins qu’ont souvent les jolies femmes »), jusqu’à leur lit de mort, en passant par leurs escapades amoureuses. Il leur arrive aussi de faire disparaitre un cadavre encombrant, celui d’un jeune amant un peu trop fragile, par exemple.1

Afin de sauver l’honneur d’une jeune patiente un peu trop frivole, notre médecin de famille, qui connait les secrets les plus intimes, est même prêt à quitter son lit, dans son « premier sommeil si difficile à troubler ». C’est le cas du docteur Siméon qui peut être appelé à toute heure. Il vient ainsi en aide à Mme Lelièvre qui a profité d’une soirée où son mari était au cercle pour attirer son amant dans sa chambre. Celle-ci offre une odeur très particulière au Dr Siméon lorsqu’il en franchit le seuil. « Et une singulière odeur de vinaigre de cuisine, mêlée à des souffles de Lubin, écœurait, dès la porte. » Le vinaigre de table utilisé pour ranimer le jeune homme et le vinaigre de toilette employé par la jeune coquette créent, sans aucun doute, une atmosphère des plus piquantes !

Mme Lelièvre fait usage, vraisemblablement, pour sa toilette, d’un vinaigre appelé « Eau de Lubin ». Ce parfumeur qui a débuté son activité en 1798 a encore, un siècle plus tard, une belle renommée ; Lubin commercialise parfums et produits de toilette.2 On pense alors que les vinaigres cosmétiques permettent « d’entretenir la fermeté des tissus, de les tonifier, de corriger leur vascularité passive, leur disposition variqueuse » et qu’ils « nettoient parfaitement la peau et agissent comme astringents sur les muqueuses ».3 L’eau de Lubin est de composition fort simple. Il s’agit d’un mélange d’alcool à 85°, de benjoin, de vinaigre, de baume du Pérou, d’essence de Néroli et de beurre de muscade.4 Le mode d’emploi du vinaigre de toilette doit être respecté scrupuleusement dans la mesure où il s’agit d’un cosmétique à action « irritante, caustique, excitante, et antiseptique ». Sur un plan pratique, on l’utilisera dilué dans l’eau, à raison d’une cuillérée à café dans un litre d’eau.5

L’eau de Lubin, dont l’odeur titille les narines du Dr Siméon, nous renseigne sur le type de peau de Mme Lelièvre. Elle possède vraisemblablement une peau grasse et elle a tendance à développer des boutons d’acné. De ce fait, elle a logiquement recours au cosmétique-phare de l’époque à employer dans ce genre de situation. Avant de recevoir son amant, elle n’aura pas manqué de nettoyer sa peau à l’aide d’un vinaigre de toilette très en vogue.

Plus d’un siècle après la parution de cette nouvelle, nous nous permettons d’émettre des doutes quant aux connaissances dermatologiques du bon Dr Siméon. L’eau de Lubin, qui trône sur la toilette de Mme Lelièvre, ne nous semble pas le produit le mieux indiqué. Attention aux phénomènes d’irritation et aux réactions allergiques qui ne manqueront pas de survenir à la longue !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce... Maupassant-médecin !

Bibliographie

1 Maupassant G. La ruse in Mademoiselle Fifi, Albin Michel, 1960, 180 pages

2 https://lubin.eu/histoire/#top

3 Piesse S., Histoire des parfums, Baillière, Paris, 1890, 371 pages

4 Monin E., L’hygiène de la beauté, Doin, Paris, 366 pages

5 Gastou P., Formulaire cosmétique et esthétique, Baillière, Paris, 1939, 312 pages

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