Nos regards
Comme une odeur de clou de girofle... c’est l’odeur du travail et de l’amour pour Georges Duhamel !

> 08 octobre 2022

Comme une odeur de clou de girofle... c’est l’odeur du travail et de l’amour pour Georges Duhamel !

Nous sommes en 1905 chez Hélène et Joseph Pasquier. L’aîné de la fratrie a acquis une jolie aisance ; il multiplie les biens immobiliers (un petit château nommé avec emphase « la Pâquellerie » fait sa plus grande fierté) et vit dans la hantise de manquer. Pourtant, sa table est toujours bien garnie et « les vapeurs du kirsch et du moka » réalisent une « chimie capiteuse » qui n’est pas pour déplaire à Laurent Pasquier, désormais collaborateur du biologiste Renaud Censier. La chimie œnologique de l’un, la recherche dans le domaine biologique de l’autre... Joseph et Laurent sont décidément bien différents. Une odeur de clou de girofle, une jeune fille qui hésite entre deux hommes, un pain de savon et une odeur de poudre de riz... voilà en quelques mots le résumé de La nuit de la Saint-Jean !1

Joseph, une moustache rognée et une bonne odeur d’argent frais

Joseph porte maintenant la « moustache rognée ». Ses sourcils sont « trop touffus » et ses cheveux châtains sont taillés en brosse. Ses « yeux bleu-véronique » signent son appartenance au clan des Pasquier. Un chapeau « melon » pour faire assis dans la vie et vogue la galère ! Dans l’esprit de Joseph, tout doit rapporter. Une invitation à la maison doit engendrer des contrats, des contacts, des placements... « [...] chaque flûte de champagne, chaque rondelle de foie gras doit rapporter, en définitive, au moins 15 % ». Dans ses yeux, c’est le jackpot permanent !

Urbain Lévêque, une moustache roulée et une odeur de renfermi

Soudoyé par Joseph à coup de billets de mille, Urbain, un homme politique corruptible à souhait, porte, quant à lui, la « moustache lourde et roulée ». Cet homme habitué aux antichambres et aux cabinets ministériels sent « la poussière » et une curieuse odeur de « renfermi ».

Renaud Censier, un chercheur barbu et une odeur de clou de girofle

Le premier « patron » de Laurent est un homme au « visage maigre, bronzé ». Sa « chevelure d’un gris brillant et une fine barbe d’uléma » lui confèrent un air docte. Cet homme, qui a consacré sa vie à la science, est pris, aux alentours de la cinquantaine, par le démon de midi. La tête lui tourne un peu dans l’odeur forte qui règne dans son laboratoire. « L’essence de girofle », « la benzine » et « l’alcool pur » semblent irriter les nerfs de celui qui, jusqu’à présent n’a écouté que sa raison. Son élève Laure Desgroux lui a tourné la tête ! Face à cette toute jeune fille, Renaud se voit comme un vieux croûton, un vieux croûton qui a passé sa vie sans jamais s’occuper de lui, sans jamais écouter les battements de son cœur. Depuis que Laure est là, à ses côtés, Renaud n’a plus le même âge. La jeunesse de Laure vient peser de tout son poids sur l’âge avancé du chercheur amoureux. Désormais, en contemplant ses mains, Renaud compte les « taches noires », les « taches de vieillesse » qui sont apparues depuis 2 à 3 ans. Laure a décillé les yeux de Renaud !

Blomberg, un chercheur à cheveux gras et une odeur d’échec retentissant

Cet homme à « longs cheveux » gras a consacré sa vie à la recherche. Arrivé à un âge avancé, il commence à désespérer de laisser son nom dans l’histoire des sciences. Aucun organite, aucun corpuscule inconnu n’est venu se laisser surprendre sous la lentille de son microscope. Les noms de « blombergias » et de « corpuscules de Blomberg » sonnent bien... mais sonnent creux. Blomberg n’a rien à mettre dedans ! L’échec dans toute sa splendeur !

Justin, un ami roux et une belle odeur de fraternité

L’ami de toujours possède comme de coutume sa célèbre tignasse « braisoyante » !

Raymond Pasquier, un paternel moustachu à la belle odeur de séduction

A 55 ans, Ram porte toujours beau. Ses moustaches restent de leur couleur d’origine (il ne « teint pas encore ses moustaches »), une belle teinte « safranée ».

Le nouveau dada de Ram s’appelle La « Goutte de lait », cette association créée en 1894 et chargée de s’occuper de la santé des mères et des nourrissons. Peut-être pas très prudent de soumettre Ram à la tentation permanente. Que de jeunes femmes au rendez-vous !

Créteil, c’est fini. Après la maison en banlieue parisienne, le petit appartement au centre de Paris. Peu de place, mais tout de même un petit laboratoire pour mettre au point toutes sortes d’inventions. Les cosmétiques et les médicaments faits-maison laissent un peu la place aux objets utilitaires du quotidien remaniés avec talent. Et voilà Ram qui se met à pondre des brevets au kilomètre. Et le voilà qui perd, comme de coutume, ses maigres économies.

Ram est toujours aussi coléreux. Laurent désigne ces colères mémorables sous le nom de « pasquiérade » ou de « crise de pâquerite ».

Suzanne, la petite dernière, une beauté à la violente odeur de vanité

La petite dernière de la fratrie Pasquier est désormais la seule à vivre encore chez ses parents. Belle mais vaniteuse, Suzanne s’admire dans tous les miroirs qui lui tombent entre les mains. « Elle se regarde même dans le couvercle des casseroles, dans le fond de sa cuiller. » C’est dire !

Claire et Ferdinand, un couple fusionnel à la douce odeur de médicament

Ce couple inséparable (Ferdinand est appelé « ma choute » par Claire ; Claire est appelée « mon mignard » par Ferdinand), qui semble se partager un seul et unique esprit, souffre d’hypochondrie. Claire et Ferdinand vivent en une telle symbiose que Laurent ne les désigne plus que sous le nom de « Ferdiclaire ».

Ram leur prépare encore, de temps en temps, des médicaments fabriqués rien que pour eux. « Il a inventé, pour eux, une pilule spéciale, et ça leur réussit bien, surtout sur l’intestin. » Quelques séances d’électrothérapie, pratiquées d’une main sûre et paternelle, complètent l’action de ce médicament souverain. Souverain... n’allons peut-être pas si vite. Claire et Ferdinand font également confiance à leur pharmacien qui leur fournit une « foule de flacons, de tubes et de boîtes » qu’ils alignent méthodiquement à côté de leurs serviettes, à chaque repas.

Une fois mariée, la fluette Claire commence à enfler... Sa « chair jaune et grenue » devient comparable à « celle des oies de Noël ».

Et un prêtre aveugle...

qui sent « l’odeur du soleil » !

Et une pendaison de crémaillère mémorable

A la Pâquellerie, Joseph invite tous les membres de sa famille, mais aussi des chercheurs et des artistes afin de pendre dignement la crémaillère. Il s’agite, s’affaire, veillant à ce que chaque salle de bains soit dotée de « serviettes » et de « verres à dents ». Le peintre Arthur Delcambre est aussi de la partie. Il fera le portrait d’Hélène ! Espérons que son coup de pinceau soit meilleur que son coup de peigne (ses cheveux « divisés par une raie médiane » s’entendent, en effet, fort mal et ont l’air de « se chamailler d’une rive à l’autre ».). Le jardin où règne une « noire odeur de bois » est le lieu de rencontre des amoureux égarés (Renaud et Laure, par exemple, s’y déclarent leur flamme)...

Et un jardin dont les senteurs sont enivrantes

Dans le jardin (le parc pourrait-on plutôt dire) de la Pâquellerie, Laure et Renaud s’abandonnent à une douce rêverie, narines au vent. Laure cueille une herbe et la fait sentir à Renaud. « Respirez ! C’est l’origan. Que de souvenirs ! Que d’années ! Que d’été déjà ! » Le pauvre Renaud, obsédé par son âge, ne voit, dans ce brin d’origan, qu’un rappel des années passées. Et puis le dialogue olfactif des deux amoureux se poursuit. Les œillets blancs de la nuit exhalent un parfum qui n’est pas sans rappeler celui du laboratoire. Le parfum de l’œillet « parle fort. Il méprise les autres. Il est presque indiscret, presque insolent. Ne vous fait-il pas songer à l’essence de girofle qui restera, toujours, pour moi, l’odeur de notre travail, le sérieux parfum de mon élève Laure Desgroux, l’amère odeur d’un amour impossible ». Le parfum de l’œillet se mêle à celui des « genévriers ». Une note de chèvrefeuille « à l’agonie » relance la discussion entre le maître et l’élève. Laure hésite. Quelle est donc cette fragrance « caressante et sucrée » qui semble surnager au-dessus des autres, légère et subtile. C’est le tilleul... ou plutôt « l’haleine des tilleuls » !

Et un Laurent malheureux comme les pierres

Laurent est malheureux. Il ne sait à qui lier sa vie. Laure peut-être ? Peut-être. Encore faudrait-il ne pas avoir prêté sa chambre de bonne à son père avant... On s’explique. Après un passage au laboratoire (« L’odeur du laboratoire prit les jeunes gens à la gorge comme l’odeur même de leur jeunesse, de leur vie, de leur drame. ») Laurent entraîne Laure dans son petit logement. « Rage », « étonnement » en ouvrant la porte et en découvrant une chambre qui sent l’amour à plein nez. Les draps sont salis, le lit défait, une « cuvette d’eau savonneuse » a été laissée sous la table. « De longs cheveux de femme, roulés autour d’un bout de carton, nageaient dans le broc. Une odeur de poudre de riz et d’eau de toilette flânaient à travers la pièce. » Oh Ram... quelle désolation ! La rupture entre Laurent et Laure est consommée. Leur histoire d’amour n’aura pas lieu ! Ram et sa conquête d’un instant viennent de les séparer à tout jamais.

Lucie, pleine de compassion, offre à son fils malheureux une « petite boîte en carton » contenant « un cure-dents d’argent ». Curieux lot de consolation.

La nuit de la Saint-Jean, en bref

Georges Duhamel nous apprend dans cet opus que tous les Pasquier sont porteurs d’une « tache de naissance », nichée sur « l’épaule ou sur les reins ». Tous pareils, tous différents. Tous porteurs de cette odeur Pasquier qui leur colle à la peau. Renaud ne se résoudra pas à vivre avec son élève. Laurent ne réussira pas à vivre avec sa camarade. Ce quatrième roman de la série des Pasquier n’est décidément pas un roman fleurant bon l’optimisme !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Duhamel G., La nuit de la Saint-Jean, clan des Pasquier 1900 - 1913, romans, Flammarion, 2013, 616 pages

Retour aux regards