Nos regards
Comme une boîte de chocolats fourrés !

> 11 décembre 2021

Comme une boîte de chocolats fourrés !

Les romans d’Amélie Nothomb sont comme une boîte de chocolats fourrés ; on ne sait jamais trop à quoi s’attendre. On commence avec une pâte d’amande pleine de douceur, on fond de plaisir dans une ganache à fortes notes cacaotées, on grimace sur des notes terriblement citronnées ; le piment avalé en dernier réalise un électrochoc pour des papilles habituées à la suavité. Avec Les aérostats, Amélie nous fait découvrir des personnages plus bizarres les uns que les autres.1 Il n’y en a pas un pour racheter l’autre. Donate (22 ans, étudiante en biochimie) et Ange (19 ans étudiante en philologie) sont en colocation pour le meilleur (l’avantage de l’appartement par rapport à la Cité U consiste en un calme, en un silence, propices aux études, à la lecture, à la méditation) et pour le pire (Donate est une stakhanoviste de l’ordre, de l’hygiène... multi-allergique, fanatique de la diététique et arborant, toujours aux lèvres, une remarque désobligeante). Au contact de Donate, Ange se sent pousser des ailes dans le dos. Comme tout paraît simple lorsque l’on n’est pas obnubilé par les choses du quotidien. Lire, étudier... il ne lui en faut pas plus pour être heureuse. Surentraînée à la patience, grâce à une Donate qui joue involontairement les coachs, Ange va pouvoir se lancer dans la pratique des cours particuliers. Une petite annonce et le premier client pointe déjà son nez, un jeune dyslexique âgé de 16 ans.

Histoire d’un flacon de shampooing non rebouché

Pas facile de vivre avec Donate. A la sortie de la salle de bains, toujours la même rengaine : « On ne laisse pas une salle de bains dans un tel état ». Stupeur et tremblements d’Ange qui a épongé soigneusement le sol et nettoyé la bonde avec minutie. Soupir de Donate qui a décelé deux erreurs commises par sa colocataire : un rideau de douche laissé en accordéon (comment pourra-t-il sécher ?) et un flacon (Donate a la curieuse habitude de remplacer le terme « flacon » par celui, impropre, de « berlingot ») de shampooing, laissé débouché. Bonjour les risques de contamination, se dit la phobique des bactéries et des virus coalisés.

Histoire d’un père de famille mal embouché

Grégoire Roussaire, le père de Pie, l’élève d’Ange, est odieux. « Cet homme est affreusement riche et il pue ». Et aucun déodorant au monde n’est susceptible venir à bout de la malodorance qui lui colle à la peau/à l’âme. Entre Grégoire et Pie, une incompatibilité épidermique... la simple évocation du prénom Grégoire déclenchant chez Pie des crises géantes d’urticaire.

Histoire d’une mère de famille complètement bouchée

Rien à attendre du côté de Carole Roussaire, une femme insignifiante, vide, creuse, « stupide », tout juste bonne à collectionner de manière fictive toutes sortes d’objets en porcelaine.

Histoire d’une famille parfaitement équilibrée

Biberonnée aux Contes de Perrault, petite fille modèle courant à perdre haleine dans le château de Mme de Fleurville, avec Camille et Madeleine, saltimbanque amusant les foules aux côtés de Capi, Zerbino et Dolce, jeune fille à la recherche du rayon vert, Ange a vécu une enfance heureuse protégée, par des remparts de livres. Un père, chef de gare, qui a assouvi ses rêves de gosse, une mère pédicure, qui connaît sur le bout des pieds « tous les habitants du coin » et qui joue les psychanalystes, tout en traitant les cors, œils-de-perdrix et autres troubles de la kératinisation, outils en main, sourire aux lèvres (« Elle enlève les cors et lime la corne en les interrogeant sur leurs enfants et leurs vaches. »). Ange, une jeune fille équilibrée (ou presque...) dans une famille normale (ou presque...).

Les aérostats, en bref

De colocataire bizarre en élève bizarre (« C’est la cantine qui se moque du réfectoire »), Ange va son petit bonhomme de chemin. En quelques jours, elle a réussi sa mission, guérir Pie de sa dyslexie, lui donner la passion de la lecture. Pie est désormais armé pour affronter la vie. En refermant Les aérostats, on n’oubliera pas de se savonner « les doigts recouverts de chocolats » et on pourra, si le cœur, nous en dit dévorer un plein « bol d’olives vertes ». Mme Nothomb nous a fait planer le temps d’une lecture, nous faisant croiser au détour d’une page Stendhal, Homère, Radiguet, Kafka, Mme de la Fayette... Reste à affronter la réalité une fois de retour sur le plancher des vaches.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour une illustration qui nous fait planer !

Bibliographie

1 Nothomb A., Les aérostats, Albin Michel Ed., 2020

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