> 22 janvier 2022
Feuilletoniste à succès, M. Ponson du Terrail (1829-1871) irrite ses collègues par ses facéties rocambolesques. Les disparitions constituent son fond de commerce. Paris semble être transformé par sa magie en un véritable gruyère dont les trous sont autant de trappes que de passages secrets, permettant d’escamoter ici, l’enfant innocent, là, la jeune fille en fleur ou bien le bon bourgeois assis dans la vie. Dans Le Figaro du 20 février 1867, Emile Zola se propose de démystifier ces disparitions,1 en donnant quelques exemples d’évanouissements temporaires, orchestrés par l’un ou l’autre de ses amis.
Pierre est un beau garçon, à « grands yeux noirs », à « fine moustache », sûr de son pouvoir de séduction. La modestie ne l’étouffe guère ! Avide d’aventures épicées, il a fait paraître une annonce dans le journal, afin de rompre avec la monotonie de ses longues journées oisives. « Un jeune homme de bonne mine désire disparaître dans le plus bref délai ; s’adresser chaque nuit, entre minuit et une heure, au rond-point des Champs-Elysées ». Pour Pierre, aucun doute n’est permis, qui dit « disparition », dit « transports amoureux » et « aventure galante ». En matière d’aventure galante, notre beau jeune homme ne sera pas déçu.
Comme prévu, et après quelques essais infructueux, Pierre se voit enlevé par une mystérieuse « femme voilée », à la douce voix, pleine de charme. Poussé avec tendresse dans un fiacre, Pierre se fait bander les yeux... le fiacre quant, à lui, se met à rouler, rouler, rouler... pendant des heures, jusqu’à ce qu’une voix lui intime l’ordre de s’arrêter. Guidé par une main ferme, Pierre est alors introduit dans un salon où semble régner luxe et harmonie. « [...] une table somptueuse était servie, les lustres jetaient une lumière claire sur les cristaux, le parfum des mets se mêlait à des senteurs douces de violette et de jasmin. » Une fois libéré de son bandeau, Pierre ne peut qu’admirer la beauté des quatre jeunes femmes qui l’attendent, dans ce lieu de délice. Blancheur des épaules, des mains, douceur de la peau, raffinement de la voix, succulence des parfums... les jeunes femmes réunies ici sont visiblement « des dames du plus grand monde ». Les plats qui sont servis, les boissons qui coulent dans les verres, tout n’est qu’abondance et excellence. La tête alourdie par la succession des plats, le cerveau embrumé par les vins capiteux consommés sans modération, Pierre s’endort...
Pour s’éveiller, on fait mieux qu’un garçon de restaurant qui vous secoue comme un vulgaire prunier ! « Eh ! monsieur, il s’agit de payer l’addition et de décamper au plus vite ». Nos baronne, marquise et comtesse d’un soir n’étaient, en réalité, que des filles des rues affamées. « Clara, Pomponnette, Louise et Pomaré... Les pauvres filles crevaient de faim sans doute, et elles ont inventé un moyen original de se faire payer à dîner. »
Les disparitions mystérieuses ne le sont, bien souvent, pas tant que cela. Celles narrées par Emile Zola ont toujours des causes extrêmement rationnelles. Trompé par sa vue (confondre une salle de restaurant avec le salon d’une baronne !), trompé par ses sens (confondre le parfum d’une baronne avec celui d’une fille des rues)... Pierre, un jeune homme qui ne doute de rien, va recevoir la plus belle leçon de sa vie. La petite plaisanterie lui coûtera très exactement cinq cent trente-deux francs, ce qui ne manquera pas de lui mettre du plomb dans la cervelle et de le faire réfléchir à deux fois avant de souhaiter percer le mystère d’énigmatiques volatilisations !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.
1 Zola E., Les disparitions mystérieuses in Contes et nouvelles I (1864 - 1874), GF Flammarion, Paris, 2008, 264 pages