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Colette ou la méfiance à l’égard des cosmétiques !

> 14 décembre 2019

Colette ou la méfiance à l’égard des cosmétiques !

Dans les histoires de Colette,1 on croise des filles à cheveux « courts, oxygénés » qui sentent la lavande et les armoires bien rangées, des femmes du monde à « l’éclat minéral » et aux cheveux « habilement décolorés jusqu’au jaune très clair », des cinquantenaires désabusées, à cheveux blancs, qui regrettent leurs vingt ans, des septuagénaires à la chevelure incandescente qui ne risquent pourtant pas de mettre le feu au tapis. Il y en a pour tous les goûts, pour tous les styles ; les coiffeurs sont à la fête, les manucures aussi, les esthéticiennes également. Il faut pourtant se méfier car les changements de couleur, les poses de vernis, les actes de chirurgie esthétique ne sont pas toujours réussis.

Se méfier des rouges à lèvres

Lorsque l’on se déguise en Pierrot et que l’on va au bal dans le dos de son mari qui, soit dit en passant fait la même chose, on court le risque d’être reconnue par lui, surtout si, en fouillant dans son sac, on extrait un « bâton de rouge » caractéristique et une « tabatière ancienne, ornée d’un miroir intérieur » qui en dit long à celui qui l’a offert (La femme cachée) !

Se méfier des changements d'ordre esthétique

Lorsqu’une femme de quarante-cinq ans se fait brutalement teindre en blonde et change de couleur de fond de teint (« un teint comme une fleur artificielle »), il y a anguille sous roche. Le compagnon de 20 ans de vie commune se retrouve, brutalement, un beau matin, seul dans son lit. Les objets se jouent de lui... Il est la risée du quartier ! « Enfin, ces faux-cols, quoi, on ne les a pas mangés ! Et ne me dites pas que je n’ai plus de savon en bâton pour la barbe, il y en avait deux tubes, là, dans la petite armoire de la salle de bains. » (L’aube)

Se méfier des hommes aux ongles vernis

Quand une jeune mariée découvre la main de son époux au petit matin sur le drap, celle-ci semble presque hostile. Les ongles « enduits de vernis rosé », la main poilue, « monstrueuse », a l’air d’être une ennemie (La main).

Se méfier des femmes qui n’ont que les cosmétiques en tête

Il existe des amours qui mènent à des impasses (L’impasse) ; ce sont celles qui mettent en scène des personnes n’ayant absolument aucun point commun. Que peut-on bien raconter à une jeune maîtresse, blonde, qui passe le plus clair de son temps à réaliser des « soins de beauté » ?

Se méfier des coiffeurs « à la page »

Le cas de Madame Hournerie, la cinquantaine triomphante, est un cas d’école. Après avoir passé une demi-journée chez le coiffeur et la modiste, la tête coiffée et chapeautée a de quoi vous tourner ! Mme Hournerie ne va pas chez le coiffeur de Madame-tout-le-monde ; Madame Hournerie se rend chez Anthelme, un coiffeur qui se dit « à la page ». Ce visagiste a fait des pieds et des mains pour faire lâcher à sa cliente (sa patiente pourrait-on presque dire) son chignon mode 1910. Les cheveux de couleur acajou qui formaient des vagues, des boucles, des mousses sur le front et les oreilles ont été impitoyablement domestiqués, cosmétiqués, lustrés, brillantinés, afin de pouvoir être « tirés à la chinoise ». La petite queue de cheval qui se promène dans le dos de Madame Hournerie n’a plus rien à voir avec le somptueux chignon habituel. Cette coiffure, qui durcit les traits, fait ressortir, traitreusement, tous les défauts. En se mirant dans la glace, les doutes commencent à poindre. Pour masquer un front trop grand et des oreilles bien présentes, Madame Hournerie sort le grand jeu cosmétique. Du « rouge à ses oreilles nues, à ses tempes et sous l’arcade sourcilière », un « ton de poudre rosée rarement employé » pour recouvrir l’ensemble du visage ! Le résultat n’est guère brillant. Pourtant, personne ne pipe mot. La vérité se fait jour dans les yeux intelligents d’un fidèle valet de pied. Les yeux de Marien sont éloquents. Ce front est « scandaleux », ce « crâne dépouillé de feuillage » ferait enrhumer les plus solides... Il ne reste plus qu’à prendre rendez-vous bien vite avec Anthelme, afin de faire marche arrière et de retrouver une estime de soi bien entamée (Le juge).

Se méfier des cambrioleurs, se méfier des cambriolées

Avec Colette, on ne sait pas toujours sur quel pied danser. Avec la courte histoire intitulée « Le cambrioleur », on ne sait pas trop qui plaindre. Il y a, d’une part, une septuagénaire pas très bien conservée, une « tête de mort fardée, bosselée de pelotes de paraffine descendues sous la peau des joue, au-dessus d’un cou serré dans du tulle à baleines... », le teint « rose comme un fruit de cire craquelé », une chevelure « teinte en rouge feu », le visage « maquillé comme pour un drame » et, de l’autre, un gentleman-cambrioleur bien fait de sa personne et très étonné de ne pas trouver la villa vide. Alors que la vieille femme s’apprête à se coucher et lâche les « fanons sinistres » de son cou, notre voleur malhabile révèle sa présence... La vieille femme interloquée s’imagine alors que ce gentleman est très amoureux ! Une seule issue pour notre cambrioleur : la fuite !

Dans les histoires de Colette, les cosmétiques ne sont jamais très loin, même les animaux se fardent et l’on n’est pas étonné de découvrir une poule se poudrer « d’une poussière jaune comme du pollen » !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette Colette... lunaire !

Bibliographie

1 Colette, La femme cachée, Folio, Gallimard, 2013, 189 pages

 

 

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