Nos regards
Chez Salinger, les gars ça chlingue même quand ça rêve d’être biautifoul !

> 22 décembre 2019

Chez Salinger, les gars ça chlingue même quand ça rêve d’être biautifoul !

C’est l’histoire d’un petit mec, « casquette rouge, avec la visière à l’arrière » vissée sur la tête, Holden Caulfield, qu’aurait bien besoin de filer un rancard à un conseiller d’orientation pour se déboucher les quinquets et y voir clair dans son avenir.1 Viré du collège Pencey pour mauvaise conduite, voilà ce qui arrive au petit caïd ! Holden, flanqué à la porte de son collège, s’offre une triste virée de 3 jours à New-York.

Ce petit mec qui a 16 ou 17 piges, selon l’humeur de Salinger, a l’âge mental d’un enfant de 12-13 ans, malgré son mètre quatre-vingt six ; ses cheveux, coupés en brosse, pour ne pas avoir à les peigner, sont blancs du côté droit du crâne. Cela le vieillit... au point qu’il avoue parfois 42, parfois même 86 ans. Dans sa salle de bain, on trouve le tonique capillaire Vitalis, un produit Bristol-Myers, qui permet de fixer la chevelure sans la graisser, ainsi que de stimuler le cuir chevelu. La composition en est très simple (alcool éthylique 36,5 %, alcool isopropylique 37,2 %, huile de ricin, teinture de benjoin, benzoate de benzyle).

Holden « fume comme un dingue », boit comme un trou, parle comme un charretier. Pour lui, toutes les filles sont des salopes. Toutes sauf les mères et les petites sœurs. Quand même !

Ses voisins de chambre sont de « pauvres cons ». Robert Ackley, une grande gigue de 2 mètres de haut, arbore de magnifiques « dents pourries » ; il ne se les brosse d’ailleurs jamais. Ces dents sont donc très logiquement « toujours jaunâtres, dégueulasses ». L’ensemble de son visage est « couvert de boutons », ce qui nécessite l’application d’un « produit blanc », toutes les nuits. Ses « oreilles pleines de crasse » ne connaissent ni le savon, ni le syndet, ni le gel douche. Curieusement, il passe son temps à se curer les ongles et ce au beau milieu du dortoir. Il laisse parfois tomber ses « saletés de rognures d’ongles » dans le box de Holden. L’inimitié qui règne entre Ackley et Stradlater date du jour où ce dernier lui à intimer l’ordre de se laver les dents, de temps en temps, « bicause » l’haleine ! Stradlater est un beau gars qui se promène partout torse nu, tant il est fier de son corps. Si Ackley est franchement « dégueulasse » (ça se voit, ça se sent !), Stradlater semble, quant à lui, à peu près propre. Mais il ne faut pas trop gratter... Il est « dégueu en douce » et est donc, « kif-kif » ! Ses « affaires de toilette » sont « dégoûtantes », « crasseuses ». Son rasoir est « toujours rouillé et plein de mousse séchée et de poils et de merde » ; ce rasoir sert effectivement souvent. Stradlater se rase « toujours deux fois pour être vraiment biautifoul ».

Le petit mec qui nous raconte son histoire dans L’attrape-coeurs est issu d’un milieu bourgeois. Ses tantes sont « très bien sapées avec du rouge à lèvres et autres cochonneries ». Il a commencé une psychanalyse à 13 ans. Son petit frère Allie est mort d’une leucémie, le 18 juillet 1946. Ce petit frère avait deux ans de moins que lui et était cinquante fois plus intelligent que lui. Et puis il y a un grand frère, écrivain à Hollywood et une bath de petite sœur de 10 ans, nommée Phoebé. Holden s’est installé dans la peau du vilain petit canard et ne fait rien pour en sortir. Il est, selon lui, « le seul idiot de la famille ». Sa maison, il l’aime, c’est sûr. Pourtant, une fois viré, il ne sait plus trop quoi inventer pour ne pas rentrer tout de suite. L’odeur de sa maison, « une drôle d’odeur qu’on trouve nulle part ailleurs. C’est pas du chou-fleur, c’est pas du parfum », elle lui manque tout de même un peu.

Lorsqu’on lit ce livre on a vraiment envie « d’astiquer la langue » de Holden « au savon noir » pour améliorer son vocabulaire ; on a vraiment envie de plonger la tête de Holden dans un lavabo d’eau froide pour le laver de toutes les souillures de la nuit. L’abus d’alcool engendre vomissements et diarrhées... Un chouette tableau ! Mais surtout, surtout… on a envie de le prendre maternellement dans nos bras et de le serrer très fort !

Bien sûr, Holden se frotte au milieu de la nuit ; il discute en tout bien tout honneur avec une prostituée, retrouve un ancien professeur un tantinet pervers... Holden semble, pourtant, avoir un bon fond. La petite Phoebé, avec sa candeur et ses cheveux roux, aura raison de ce grand frère déboussolé.

Si Holden avait rencontré un conseiller d’orientation, celui-ci n’aurait pas manqué de sonder le jeune homme. « Si un cœur attrape un cœur qui vient à travers les seigles »... ce poème trafiqué de Robert Burns qui revient sans arrêt à sa mémoire a sûrement un sens caché ; il semble lui être destiné. Et pourquoi Holden ne serait-il pas un attrape-cœurs, un protecteur des enfants, une sorte de filet de protection qui les retient au bord de la falaise ?

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

Bibliographie

1 Salinger J.D. L’attrape-cœurs, Robert Laffont, 1986, 253 pages

 

 

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