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Chez la comtesse, sortez vos ombrelles, après la pluie, le beau temps !

> 02 juillet 2020

Chez la comtesse, sortez vos ombrelles, après la pluie, le beau temps !

Avec la comtesse de Ségur, certaines vies commencent sous les nuages et s’achèvent en plein soleil.1 C’est le cas pour la pauvre Geneviève, une jeune orpheline élevée par son oncle et tuteur, Monsieur Dormère. Celui-ci n’a guère de cœur et met toute sa confiance et son amour en son fils Georges, un vaurien qui passe son temps à chercher des noises à sa cousine. Au château de « Plaisance », Geneviève n’a que fort peu de raisons de se plaire. Tout se retourne contre elle... Heureusement, il y a une charmante cousine, Melle Primerose, qui va voler à son secours. Point de bobos, dans ce petit roman, mais de grandes douleurs et de graves commotions.

Une demoiselle Primerose, couturée de petite vérole pour veiller sur Geneviève

Mademoiselle Primerose, voisine et parente de M. Dormère, est « une grosse petite dame d’environ 30 ans, laide, couturée de petite vérole ». Derrière ce physique ingrat, se cache une personne pleine de bon sens et de charité pour la pauvre Geneviève. Durant toute sa vie, elle accompagnera la petite fille, puis la jeune fille, la soustrayant à son tuteur, lorsque celui-ci s’avèrera vraiment trop sévère, l’emmenant l’été aux « bains de mer », la choyant, comme si elle était sa mère.

Du malaga et du muscat pour éviter de prendre froid

Melle Primerose a toujours d’excellentes idées. Ses notions médicales sont des plus sympathiques. Pour éviter le refroidissement qui pourrait survenir suite à une partie de cache-cache endiablée, « un ou deux petits verres de malaga ou de frontignan muscat avec des biscuits » sont prescrits à l’ensemble de l’aimable société.

Du savon pour effacer les bêtises

Georges est un méchant garçon. Son père est d’une telle faiblesse avec lui qu’il en a fait un monstre d’égoïsme et de méchanceté. Georges ne passe pas une journée sans tourmenter sa cousine Geneviève. Un jour, il se met ainsi à barbouiller le portrait que Melle Primerose a effectué du fidèle serviteur Ramoramor (ce serviteur noir a été ramené d’Amérique par les parents de Geneviève avant qu’ils ne meurent). Pour effacer toute trace de son forfait il se savonne les mains et se brosse les ongles consciencieusement. Il oublie, en revanche, de « vider la cuvette colorée de rouge et de noir », témoin de sa mauvaise action.

Une saignée et des sinapismes aux pieds pour traiter une commotion cérébrale

Lorsque Georges vole son père et fait accuser le fidèle Rame (c’est le surnom de Ramoramor), c’en est trop. Geneviève, qui ne veut pas accuser son cousin, par délicatesse, mais qui ne veut pas non plus laisser Rame se faire accuser à sa place, est prise comme dans un étau. Sa santé, fragilisée par des années de torture mentale, chavire. Une attaque nerveuse foudroie la jeune fille qui s’évanouit tout d’abord. Vite, on la déshabille, on apporte des bouteilles d’eau chaude pour la réchauffer, on bassine ses tempes et son front de vinaigre, on lui fait respirer de l’alcali ! Après une légère amélioration, la fièvre et le délire s’installent. Le Dr Bourdon est appelé en urgence et diagnostique une « maladie cérébrale ». La potion calmante administrée s’avère inefficace. Une « forte saignée », des sinapismes aux pieds, des linges humidifiés avec de l’eau fraîche au niveau du visage prennent le relais. La chambre de la malade est aérée. Durant 40 jours, Geneviève restera entre la vie et la mort ; elle sera veillée avec amour par sa bonne Pélagie. Plus question de rester à « Plaisance » dans ces conditions. L’énergique Melle Primerose se charge de soustraire Geneviève de l’ambiance délétère qui règne autour de Georges.

Le baume du Commandeur pour guérir d’une blessure

Une fois devenu adulte, Jacques, l’ami d’enfance de Geneviève refait surface. Il a de « jolies moustaches » et une « barbiche au menton ». C’est un jeune homme charmant, intelligent, généreux qui s’engage dans les zouaves pontificaux, afin de défendre le Saint-Siège. Il s’engage également au service de Geneviève, en devenant son époux (Melle Primerose jouera un rôle capital dans la lutte contre M. Dormère qui en tant que tuteur s’oppose à ce mariage, souhaitant réserver sa nièce à son vaurien de fils, héritage oblige). Lors de combats, Jacques est blessé. On retire la balle, puis on applique un pansement humecté de baume du Commandeur. Celui-ci possède un caractère « anti-inflammatoire » qui justifie, aux yeux de la comtesse, sa ré-application toutes les heures. « Calme, silence et repos » s’imposent. Un mot sur ce baume du Commandeur, mis au point au XVIIe siècle, par « Gaspard, fils de Louis, seigneur de Pernes, baron de Rochefort, gouverneur de Saintes et de Claude d’Espinac ». Reçu chevalier de Malte en 1650, il se met à la tête de différentes commanderies (Xugney, Libdeau) ce qui explique à la fois le nom de ce fabuleux baume, mais également son rayonnement, du fait de son envoi aux 4 coins du monde, par différentes sociétés de bienfaisance. Ce baume, appelé également baume de la Miséricorde, est multifonctions, puisqu’il permet de traiter aussi bien les blessures de guerre que la colique, les maux de dents ou les morsures d’animaux enragés.2 La formule originale renfermait, nous dit-on, du « baume du Pérou, de l’encens, du benjoin, de l’aloès cicotrin, de l’oliban, des racines d’angélique de Bohême, des fleurs de millepertuis et de l’esprit de vin ».3

Pour faire venir le soleil après la pluie, la comtesse dispose d’un arsenal médicamenteux étoffé. A chaque situation son verre de vin, son application de baume, sa potion apaisante, ses gouttes d’alcali. Et comme de bien entendu... tout est bien qui finit bien !

Bibliographie

1 Comtesse de Ségur, Après la pluie le beau temps, Hachette, Bibliothèque rose, 1981, 254 pages

2 https://www.persee.fr/doc/pharm_0995-838x_1929_num_17_63_10595_t1_0261_0000_3

3 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1998_num_86_320_4706

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