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Chez Hemingway, même la lotion capillaire est alcoolisée !

> 27 avril 2019

Chez Hemingway, même la lotion capillaire est alcoolisée !

Pour être lecteur d’Ernest Hemingway, on doit avoir le foie solide.1 On y boit à longueur de chapitre. On y prend des « cuites » qui durent « quatre jours » ; le fait de boire du thé est présenté comme un véritable exploit. L’ivresse fait partie du paysage. On « utilise » des bistrots. On est ivre, soûl, dans un « état d’hypersensibilité mentale ». « Un litre de vin est un bon compagnon ». La liqueur basque Izarra est réalisée à partir des bonnes plantes des Pyrénées. Elle ressemble à s’y méprendre à une « lotion capillaire ». Pourtant, elle est susceptible de faire mal aux cheveux lorsqu’on en abuse. Château-Margaux, Martini, Rioja alta (compter 3 bouteilles pour une personne pour un repas ordinaire)... sont descendus à vitesse grand V.

Un voyage en train est l’occasion d’écluser un grand nombre de bouteilles, entre chaque gare. « Le garçon » qui sert le déjeuner sue « à grosses gouttes. Sa blouse blanche » en devient « violette sous les bras. » Deux hypothèses : soit il transpire du vin, soit il porte une « flanelle violette ». La première hypothèse est peut-être la plus logique vue l’ambiance du roman.

Les filles ramassées sur le trottoir se remaquillent de manière professionnelle. « Georgette ouvrit son sac à main, fit quelques passes sur sa figure, tout en se regardant dans une petite glace, rectifia ses lèvres avec du rouge et redressa son chapeau. »

L’héroïne du roman, celle qui fait chavirer les cœurs autour d’elle, lady Brett Ashley, n’est « faite que de courbes, comme la coque d’un yacht de course » et le jersey de laine qui l’habille n’est pas avare de détails. Le marin qui prend la mer avec elle, c’est Mike Campbell. Il est bronzé et à ce titre « respire la santé ». Brett n’a guère l’âme religieuse. Cela ne convient pas à son « genre de beauté ».

Le narrateur, un certain Jack Barnes, donne des pourboires de 200 francs aux uns et aux autres, pour bénéficier de leurs faveurs.

Les coiffeurs semblent tous en grève. On les cherche tout au long du roman... Robert Cohn, celui qui énerve tout le monde, réussit tout de même à se faire « raser et donner un shampooing. » On lui met un produit sur les cheveux afin de les discipliner.

Les hommes prennent des bains, les femmes rêvent de bains. Les hommes font leur toilette de façon virile. Bill Gorton se lave « la figure à l’eau froide », se passe « un peu d’alcool » et s’observe dans la glace avec dépit. « Quelle sale gueule ! » Jack Barnes plonge « la tête dans la cuvette » d’eau froide ! Il leur prend, toutefois, parfois, une envie de « bain chaud », un bain chaud où l’on s’allonge de tout son long, un bain chaud « en eau profonde ».

Le dindon de la farce de ce roman qui ressemble à une corrida permanente est bien le narrateur. Il n’hésite pas à se rendre auprès de Brett, à Madrid, après sa rupture avec un toréador. Il était pourtant bien, Jack, à Saint Sébastien entre les jeunes filles qui présentent leur dos hâlé au soleil.

Le monde d’Ernest Hemingway est un monde où l’on ne marche pas droit ; l’on se raccroche aux réverbères, lorsque l’on déambule en ville. L’alcool dans les verres ou dans les cosmétiques ne pose pas de souci à ces piliers de bar !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cet Hemingway en pleine action !

Bibliographie

1 Hemingway E. Le soleil se lève aussi, Gallimard, Paris, 1949, 244 pages

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