> 20 mars 2022
Le rôle de l’aidant auprès d’un proche malade, son épuisement psychologique, le mal-être qui en découle, telle pourrait être l’analyse chirurgicale réalisée en 2022 à la lecture de cet ouvrage de Fitzgerald, au titre éminemment poétique, paru en 1934,1 Tendre est la nuit... Pas si tendre que cela, tout de même, si l’on en croit les penchants des protagonistes pour les crises de nerf au bord d’une baignoire, pour les beuveries se terminant au poste avec un œil au beurre noir, pour les mesquineries entre amis et anciens amis (qu’est-ce que c’est que cette idée d’aller reprocher à Mary d’avoir utilisé l’eau du bain de son fils pour nettoyer le fils de ceux qu’elle considère alors comme un couple d’amis...). De la Rivieria française à Zurich, en passant par Paris ou Rome, Fitzgerald sème les petits cailloux qui nous permettent, au fur et à mesure des pages lues, de reconstituer la terrible histoire de Nicole Warren, une jeune fille qui sombre dans la schizophrénie suite à une situation incestueuse vécue durant son enfance et de Dick Diver, un jeune médecin tombé sous son charme. Deux époux qui ressemblent à « de charmants danseurs de ballet », qui vont nous faire valser à en perdre la tête. Avec Fitzgerald, « noir c’est noir »... « il n’y a plus d’espoir » ! Avec Fitzgerald, on suit le rythme des saisons, en observant le visage des cantonniers qui passe du « rose en mai », au « brun en juillet », au « noir en septembre », avant de redevenir « blanc au printemps ». Une ode au soleil, à ses rayons, aux plages ensoleillées, aux fragments de bonheur mêlés aux grains de sable !
Entre Marseille et la frontière italienne, les Diver ont dégotté un petit hôtel de luxe dont ils se sont empressés de faire la publicité. Tous les étés désormais, les amis se réunissent autour du couple-star, afin de bronzer en bonne compagnie. La plage privée se transforme alors en « tapis de prière au hâle éblouissant ». « Nus et luisants de monoï, en plein soleil », les adultes se laissent cuire à petit feu. Il faut distinguer deux groupes qui ne se mélangent pas. D’un côté, les touristes à peau blanche (les « non-bronzés ») s’abritent, précautionneusement, sous de « petites ombrelles », de l’autre, les touristes à peau hâlée qui forment une joyeuse colonie, abritée sous des parasols, savamment disposés. Lorsque Rosemary Hoyt, une vedette de cinéma américaine, débarque sur le sable brûlant, par un bel après-midi d’été, « consciente de la pâleur écrue de son propre corps », elle commence par se placer, diplomatiquement, « à égale distance des bronzés et des blancs ». Etalant son peignoir sur le sable, Rosemary se met en position d’observation... et zyeute, entre ses longs cils « une jeune femme à la beauté éblouissante - il s’agit de Nicole - qui a « baissé les bretelles de son maillot de bain », afin d’éviter les marques indésirables. Le clan des blancs semblant hermétiquement fermé, c’est vers le clan des bronzés que Rosemary va de plus en plus se rapprocher. Ce clan a l’air uni et n’hésite pas à lui prodiguer des conseils, afin de lui éviter de prendre des coups de soleil, dès le premier jour. « Votre peau a une importance capitale »... Voilà le style de phrase qui accueille la nouvelle arrivante. Plutôt sympathique... Dans le groupe, tout le monde n’est pas aussi prudent. Il y a un certain McKisco, dont le nom ressemble à un « ersatz de gasoil ou de beurre », qui n’a visiblement pas la bonne technique. Son visage est bardé de coups de soleil, ce qui lui confère une teinte « rouge terreuse ». Malgré les conseils, Rosemary s’allonge, sans précautions, sous les rayons obliques, et s’endort... C’est Dick Diver qui prend le soin de la réveiller alors qu’il est en train de ranger tous les parasols de la tribu. « J’allais vous réveiller avant de partir. Ce n’est pas bon de prendre trop de coups de soleil au début. » Trop tard... Les jambes de Rosemary sont cramoisies. Désormais, chaque jour, Dick veillera, avec obligeance et délicatesse, à déplacer dès qu’il le faudra, le « parasol pour protéger du soleil quelques centimètres carrés de l’épaule de Rosemary » ! Il lui offrira également « un chapeau », pour se « protéger du soleil, sur la plage ».
Avant de refermer la page « première rencontre », n’oublions pas de parler de Tommy Barban, le sarcastique de service, amoureux transi de la belle Nicole, ni de Abe North, l’époux timide, au bronzage « couleur brique » et plein d’humour de Mary, une jeune femme « très bronzée ».
Dick Diver est « très beau ». Des yeux bleus, « d’un bleu éclatant et profond » et des cheveux roux (difficile de bronzer avec ce phototype !). Une très grande gentillesse et beaucoup de charme. Dès la première rencontre, Dick se soucie de la santé cutanée de Rosemary. Subjugué par la toute jeune fille de 17 ans, Dick devient poétique. « Une fleur en train de s’ouvrir » voilà l’expression qui lui vient à l’esprit !
Cet homme n’est pourtant pas un littéraire, mais bien plutôt un scientifique. Médecin, psychiatre, Dick patauge dans la rédaction de l’œuvre de sa vie, un « traité scientifique », dédié aux pathologies mentales, un ouvrage qui devrait être publié en 1920, selon ses vœux les plus chers. Ses études de médecine, il les a faites à Zurich, puis à Oxford. D’un milieu modeste, Dick a été, parfois, obligé de sacrifier sa bibliothèque pour se chauffer (Dick « brûla pour se chauffer presque une centaine de manuels qu’il avait accumulés ») ; seule consolation : Dick connaît parfaitement le contenu de ces ouvrages sacrifiés, du fait d’une mémoire exceptionnelle. Sa rencontre avec Nicole dégage des odeurs de clinique. C’est, en effet, dans la clinique Dohmler que Franz Gregorovius lui a confié une jeune correspondante très névrosée. 50 lettres en 8 mois... Nicole Warren préfère allonger ses peines sur le papier, plutôt que subir les bains thérapeutiques forcés, alors pratiqués. La jeune schizophrène séduit le jeune médecin. Franz ne voit pas d’un bon œil ce rapprochement peu déontologique. Si Dick a observé en tout premier lieu des réserves, se gardant bien de séduire sa patiente « « Eh bien, Dieu me garde ! Bon je serai doux et repoussant... Je mâcherai une gousse d’ail chaque fois que j’irai la voir et je ne me raserai pas pendant plusieurs jours. Je la ferai fuir. », ces bonnes résolutions seront un feu de paille pour celui qui a décidé de « devenir un bon psychiatre » et pourquoi pas un bon époux ?
Nicole et Dick... Le mariage et 2 enfants, Lanier et Topsy. Une vie qui s’écoule sans effort, au rythme des saisons et des crises de Nicole. Des sentiments puissants. De la jalousie. Nicole craint les jeunes filles, comme la peste. Son mari, quant à lui, les apprécie franchement, tout en s’en défendant. « Je n’aime pas les fifilles. Elles sentent le savon de Marseille et les pastilles à la menthe. Quand je danse avec elles, j’ai l’impression de promener un landau. »
Lorsqu’il a un peu trop bu, Dick voit trouble… Dick sent trouble. Son odeur à lui devient celle du « capuchon en caoutchouc » de son stylo à plume. Le parfum de Rosemary, en revanche, reste « chaud et à peine perceptible ». Il est pourtant bien présent au niveau du cou et des épaules de la star en devenir. Et Rosemary se met à obséder Dick. « Ses épaules mordues par les coups de soleil » hantent son esprit. Ses études en matière de botanique remontent à la surface, lorsque Rosemary croise son chemin. « [...] elle était la belladone qui aveugle, la caféine qui transforme l’énergie physique en nervosité, la mandragore qui impose l’harmonie. » Et oui, une drôle de tisane pas tout à fait apaisante !
Nicole est une jeune femme aux « yeux verts », aux longs cils qui s’emmêlent durant son sommeil et aux « cheveux épais, d’un or sombre comme le pelage d’un chow-chow » et parfumés, des cheveux d’un « blond presque blanc » aveuglant, des cheveux longs, épais, touffus comme une forêt, qui achète son monoï en pharmacie. Son bronzage impeccable est magnifié par un splendide collier de perles blanches, qui tranche sur le hâle parfaitement homogène de sa peau. A 24 ans, Nicole est l’incarnation de la grâce et de la beauté parfaite. Une sorte de statue de marbre, un « modèle de Léonard de Vinci ». Un grain de peau éblouissant ! L’été, la peau de Nicole est un beau fruit doré ; en automne et en hiver, elle revêt une teinte « d’ivoire doré », puis une « pâleur subtile », jusqu’à ce que les beaux jours pointent à nouveau le bout de leur nez. Et puis, un jour, en lisant le magazine Vanity Fair, Nicole tombe en admiration devant un « carré à la Irene Castle ». Les cheveux « soyeux » sont alors sacrifiés sur l’autel de la mode. La jolie Nicole est passée dans le camp des excentriques !
Nicole, c’est la bonne copine, celle qui vous entraîne pour faire les boutiques et vous offre tout ce qui vous fait envie, qui vous conseille dans le choix d’un parfum et connaît la dernière crème anti-rides à la mode. Nicole craint d’ailleurs terriblement de vieillir et possède une « conscience poignante que sa beauté » est un bien « périssable ». Boulimique d’achats, elle craque sur tous les objets à la mode. Généreuse, elle tient à offrir à la mère de Rosemary le sac du soir jaune que celle-ci a tant admiré. « Je trouve que les objets devraient appartenir aux gens qui les apprécient ». Et Nicole de glisser dans ce sac « toutes les babioles jaunes qu’elle pouvait trouver, un crayon, un tube de rouge à lèvres, un carnet », « parce qu’ils vont bien ensemble ». La société de consommation... un concept inventé pour/par Nicole. Cette femme, qui vit dans un luxe d’objets, de vêtements, de cosmétiques, semble être à elle-seule la raison d’être de toute une partie de l’industrie. C’est parce que Nicole prend grand soin de ses dents et de son haleine que des « hommes » mélangent « de la pâte dentifrice dans des cuves » et vident « des barriques en cuivre de bain de bouche ». C’est parce que Nicole consomme tout ce qu’on lui propose que des services R&D se mettent en place pour combler ses désirs et même pour lui en procurer de nouveaux.
Nicole, c’est aussi une fêlure qui date de l’enfance avec un père incestueux. Devereux Warren lui laisse à la mémoire des « yeux gris injectés de sang, à force de pratiquer l’aviron en plein soleil sur le lac de Genève » et des images encore bien plus troublantes et obsédantes. Nicole, ce sont des crises qui la laissent pantelante, hurlant au pied d’une baignoire remplie d’eau. Le secret de Nicole est caché dans la salle de bain. C’est là qu’elle vient se réfugier lorsqu’elle sent la crise monter.
Nicole et Dick... c’est une belle rencontre, d’abord épistolaire, puis maritale. « C’était la plus belle chose qui me soit jamais arrivée... », voilà comment Nicole résume sa relation avec Dick.
Et puis, les choses se gâtent. Nicole devient incontrôlable, provoque un accident de voiture, en s’accrochant au volant au mauvais moment. A peine la voiture dans le fossé, Nicole, comme si de rien n’était, se refait une beauté. « Puis elle sortit son poudrier, se regarda dans le miroir et lissa ses cheveux en arrière sur ses tempes. »
Et puis, Nicole dérape, revoit Tommy Barban, s’entiche de lui, craque pour sa beauté exotique et sa peau « tannée comme le cuir », pour ses cheveux « parfumés » et son odeur de propre. La « dépigmentation » qui touche sa peau de place en place est à mettre au compte de « soleils inconnus ». Avec Tommy, Nicole revit, se sent à nouveau belle et désirable ; elle ressort tout son attirail cosmétique. « Elle prit un bain, se mit de l’huile sur le corps, jusqu’à ses doigts de pieds qui reposaient en crissant sur une autre couche de poudre étalée sur une serviette de bain. » Quelques vergetures la plongent dans la consternation... le début de la fin de l’élasticité de sa peau. Encore combien de belles années pour son épiderme ? Six peut-être ? Guère plus... La fin de la routine-beauté se nomme parfumage. Nicole « se signa respectueusement en se vaporisant de Chanel N°19 ». Cette liaison avec Tommy revêt, à ses yeux, un caractère « thérapeutique ». Un médicament sans effet indésirable semble-t-il ! Nicole, sous sa cuirasse de poudre, ne résistera pas longtemps !
Le fils de Dick et de Nicole est un jeune garçon extrêmement curieux, qui vit avec un « pourquoi’ accroché au bord des lèvres. « Pourquoi, demanda Lanier, tu laisses toujours un peu de mousse sur le haut du crâne quand tu te rases ? » Papa Dick répond, « les lèvres pleines de savon » : « Je n’ai jamais réussi à comprendre pourquoi. Je me le suis souvent demandé. Je pense que c’est parce que j’ai du savon sur le pouce quand je passe le rasoir le long de mes pattes, mais comment j’arrive à m’en mettre sur le sommet de la tête, je n’en sais rien. »
Au moment où la famille Diver retrouve Mary North (elle est désormais divorcée d’Abe et s’est remariée avec un homme qui a fait fortune dans les mines de manganèse) sur la Rivieria, Lanier juge bon de créer la discorde au sujet d’une eau du bain savonneuse que l’on n’a pas pris la peine de changer. Quel drame ! Lanier aurait été baigné à la suite du fils de Mary, sans que l’on ait, au préalable, vidanger la baignoire. Une eau sale, une eau ayant servie à un enfant souffrant d’une maladie de peau. Nous voilà bien... Dick, énergique, saisit son fils, le plonge dans un bain où il a versé des « sels sulfurés » ; esclandre entre adultes ! « Cette histoire de baignoire - mythe ou réalité ? » on ne saura jamais si Lanier a menti ou non.
Rosemary est une jeune actrice américaine en vacances. Jolie comme une « quelconque gravure de mode ». Accompagnée de sa mère Elsie Speers - une femme qui a tout sacrifié pour sa fille, qui croit en elle à 100 % et est « sûre de la beauté » de son enfant - Rosemary découvre toute une société habituée à vivre dans le luxe et l’oisiveté. Dès le premier contact avec ce groupe de personnes à la peau bronzée, Rosemary se brûle la peau... Mauvais augure ! Il faut dire pour expliquer cela que Rosemary est la « pâleur incarnée » (« elle avait la blancheur d’un œillet abandonné à la fin d’un bal »).
Dès que Rosemary croise le regard de Dick, les dés sont joués. Opération séduction lancée. Echec au premier assaut. Pour se calmer les nerfs, « elle se mit à se brosser les cheveux en reniflant un peu. 150 coups de brosse, comme d’habitude, puis 150 de plus. Elle se brossa jusqu’à ce que son bras soit endolori, alors elle changea de main et continua à brosser... » Dick aime s’entourer d’une foule d’amis/d’amies. Rosemary ne fait pas exception... Une amie, rien de plus ! Rosemary peut toujours se brosser !
Pourtant, pourtant, lors des fêtes somptueuses organisées par Dick, Rosemary sent « sa beauté étinceler de tous ses feux. » et, un jour, Dick tombe dans ses filets.
Abe est un homme attaché au passé. Son goût pour les moustaches impeccablement cirées (« Nous n’aurions jamais dû renoncer à porter des moustaches et à les enduire de cire ») en atteste. Son goût pour l’alcool est également connu. A Nice, à Paris ou à Rome, Abe regarde passer sa vie, les « yeux injectés de sang sous l’action conjuguée du soleil et du vin ». Au fil du temps, l’ennui le gagne. Abe ne se rase plus... Il lui faut la griserie de l’alcool pour se décider à aller voir le barbier (« Au bout de 2 verres, il avait commencé à se sentir mieux - tellement mieux qu’il était remonté chez le barbier et s’était fait raser »). Parfois, cela ne suffit pas... Abe se laisse donc aller, sombre dans la saleté, en vient à mendier des parcelles d’amitié, en échange de promesse de toilette réalisée à fond : « Si je vais dans un hôtel, que je prends un bain de vapeur, que je m’étrille et que je dors un peu », aurais-je le droit de réintégrer la bande des Diver ?
Que dire de son épouse Mary ? On n’en sait pas grand chose. Elle se livre peu... Cette femme, aux « cheveux bruns et raides », « brossés en arrière », est une « femme courageuse et optimiste », prête à suivre « son mari où qu’il aille ». Mari et femme partagent le même goût pour la musique. Abe se rêve compositeur à succès ; Mary s’imagine chanteuse connue et reconnue. Pas sûr que ces rêves aboutissent un jour.
Albert McKisco est aussi un ami de la bande des Diver. Un écrivain, qui va réussir à percer et qui va se tailler une jolie réputation. Un pasticheur de génie, qui s’inspire « des meilleurs auteurs de son temps » pour mettre au point des formes digestes, adoucies, propres à séduire un public très large.
La femme de Franz, l’associé de Dick (tous deux ont monté une clinique psychiatrique grâce à l’argent apporté par Nicole) est une femme aigrie, économe, peu séduisante. Pas de cosmétique, peu de lessive à l’horizon. Son linge, qui n’est pas changé tous les jours, exhale un « soupçon de transpiration », qualifié, avec humour par Fitzgerald, de « vestige ammoniacal de siècles de labeur et de pauvreté ». Cette odeur de transpiration se surajoute à l’odeur « lourde et insistante » qui se dégage de ses cheveux qui ne sont pas lavés. On imagine assez bien le peu d’affinités entre la sensuelle et cosmétiquée Nicole et la sobre et malodorante Kaethe. Nicole, sensible aux parfums, depuis sa naissance (« Dès sa naissance, elle avait haï le parfum des doigts de la nurse qui l’habillait »), se détourne rapidement de cette désagréable voisine.
A Rome, Dick pousse un peu loin le bouchon ; il boit trop, se bat dans un café et termine sa nuit au poste. Heureusement, Baby Warren (la sœur de Nicole) est là, au bon moment, au bon endroit. Pour faire libérer son beau-frère, Baby se met en quatre, court les ambassades et réveille le grand monde. A l’ambassade américaine, le jeune employé, réveillé en sursaut, apparaît sous les traits d’un personnage « étrange », dont le visage possède une teinte extraordinaire, un « rose monstrueux et artificiel », qui lui donne l’allure d’un « mort-vivant ». « Au-dessus de sa bouche », on voit quelque chose qui ressemble à un bâillon... Plus prosaïquement, le jeune homme, soucieux de la qualité de sa peau, s’est enduit le visage de cold cream. Ce « masque de beauté rose » a pour but d’hydrater sa peau et de retarder son vieillissement. Le « bandeau de lin » qui orne sa lèvre supérieure a pour but, quant à lui, de maintenir sa moustache en bon état. La vision d’horreur s’estompe... L’explication cosmétique est simple. Pour autant, Baby n’est pas aidée ! Il lui faudra encore remuer ciel et terre pour libérer son encombrant beau-frère des griffes de la police.
Nicole et Dick... c’est fini… du moins c’est ce que pense Nicole, qui souhaite se libérer des bras trop protecteurs de son médecin très personnel. La scène de rupture a lieu chez le coiffeur. Tommy déboule dans le salon où Nicole et Dick se rendent, depuis des années, main dans la main. « L’heure qu’elle s’apprêtait à passer chez le coiffeur lui parut n’être qu’une de ces parenthèses de temps perdu qui composaient sa vie, une petite prison supplémentaire. Avec sa blouse blanche, la coiffeuse, à l’odeur vaguement mêlée de sueur, de rouge à lèvres et d’eau de Cologne, lui rappela ses nombreuses infirmières. » Pendant que Dick somnole sous une épaisse couche de mousse à raser, Nicole se fait shampooiner... Et puis, il y a cet ouragan qui souffle dans le salon. Tommy débarque et emmène Nicole et Dick au Café des Alliés, pour une discussion entre gens intelligents. La rupture est consommée. Fin de l’histoire. Nicole et Dick retournent chez le coiffeur pour le meilleur (le rasage du visage de Dick) et pour le pire (le sacrifice des sublimes cheveux de Nicole)...
Et puis, Fitzgerald a l’art de croquer, en quelques mots, des portraits saisissants. On croise dans ce roman des femmes « maquillées à faire peur », des hommes qui caressent, « sans relâche », leur « joue rasée de frais », d’autres qui tripotent inlassablement leurs poils de barbe (tiens ça nous rappelle quelque chose, n’est-ce pas M. Raoult ?). On aurait envie de se plaindre d’Américains bruyants, dont les voix imitent « le rythme de l’eau coulant dans une grande et vieille baignoire ». On rit sous cape, en détaillant les « cheveux teints et les visages poudrés d’un gris-rosâtre » de vieilles Anglaises ou bien les « cheveux postiches d’un blanc neigeux » d’Américaines aux « lèvres cerise ».
Et le célèbre « And two... for tea », sur fond de désastre amoureux. Pas aussi drôle que dans la célèbre scène des bains turcs de La grande vadrouille !
Tendre est la nuit est l’histoire d’un choc, un choc entre deux mondes : celui de Nicole, qui jette l’argent par les fenêtres, qui méprise un argent qui lui coule entre les doigts et celui de Rosemary, une jeune fille d’un milieu modeste qui respecte l’argent et en prend soin. D’un côté « une vie de loisirs », de l’autre une vie de labeur. Une histoire d’amour passionnelle, qui commence par une fusion chimique (leurs « atomes se seraient associés sans qu’on ne pût jamais les séparer ») et finit par une lente décomposition. L’alliage obtenu ne fera pas long feu. On pense que Dick va tromper Nicole avec Rosemary (et d’ailleurs il le fait) et que cela restera sans conséquence pour le ménage et, en réalité, c’est Nicole qui s’évade de sa prison dorée et cela avec de nombreuses conséquences. Le brillant psychiatre s’écroule. La vie sans Nicole n’a pas vraiment de sens ! Comme quoi, on s’est sans doute trompé, l’aidant aimait aider ; l’aidant, sans sa Nicole à aider, n’est plus que l’ombre de lui-même. Le brillant psychiatre s’est transformé en un simple généraliste ; le meneur d’hommes, l’organisateur de soirées mémorables... tout cela est bien fini.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce couple très... "fitzgeraldien" !
1 Fitzgerald F.S., Tendre est la nuit, Flammarion, 2015, 427 pages
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