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Chez Donna Leon, la cantatrice n’est pas chauve !

> 31 mars 2018

Chez Donna Leon, la cantatrice n’est pas chauve !

Lire un "Brunetti" est aussi plaisant que de s’offrir un verre d’Apérol Spritz, à la terrasse d’un café, au pied du pont de l’Académie à Venise.1

Les personnages y sont pourtant stéréotypés, politiquement corrects ; les lieux communs abondent... l’intrigue est si mince qu’on voit au travers...

Les cantatrices y sont telles qu’on les rêve, c’est-à-dire maquillées à outrance. Il leur faut une bonne dose de cosmétique démaquillant pour venir à bout de leur maquillage de scène, même si celui-ci a tendance à s’écailler au fil du temps, du fait des frottements et de la transpiration. A la ville, elles ne dédaignent pas non plus souligner leur regard à l’aide d’une application de mascara. Produit anticernes et rouge à lèvres les accompagnent également dans leurs tournées à travers le monde. « Elle regarda fixement son reflet dans le miroir, saisit une poignée de mouchoirs en papier et s’essuya le visage jusqu’à ce que le gros du maquillage fut parti. Se souvenant qu’il y avait des gens qui l’attendaient à la sortie, elle souligna son regard avec du mascara et estompa les signes de fatigue sous les yeux. Elle prit un rouge à lèvres et se l’appliqua soigneusement. » Même menacées, ces divas restent coquettes. « Brunetti rendit grâce au fait de vivre dans un pays où une femme qui venait juste de dire qu’elle craignait pour sa vie se mettait de l’eye-liner et du rouge à lèvres pour marcher dix minutes dans une ville déserte après minuit. »

Les fans des cantatrices y sont tels qu’on les imagine, c’est-à-dire parfaitement rasoirs... « La fan suivante était une jeune femme au visage doux et aux cheveux bruns, qui avait mal choisi son rouge à lèvres. En fait, Flavia la soupçonna de l’avoir mis juste pour cette rencontre, tellement il contrastait avec la pâleur de son teint ». Tout comme l’écrivain Colette,2 la cantatrice Flavia a plusieurs cordes à son arc... Elle chante à merveille et se maquille à la perfection ! On aurait presque envie de lui demander des conseils ! La fan en question - Francesca Santello - est, elle-même étudiante en art lyrique. Si les notes qu’elle émet sont « riches d’une fragrance musquée », elle a beaucoup à apprendre du point de vue cosmétique. C’est « sans la moindre trace de maquillage » et sans son « vilain rouge à lèvres » qu’elle est la plus jolie.

Les touristes y sont tels qu’on les connait, bêtes à manger du foin ou stupides au point de rôtir au soleil. On les trouve attablés devant les cafés du Campo Santa Marina, le visage rivé vers l’astre divin. « A cette vue, Brunetti se souvint d’avoir entendu un touriste américain parler un jour d’ « écrans solaires pour chochottes ». Cet appétit de bronzage ne concerne, toutefois, pas que les étrangers. Les Vénitiens eux-mêmes, sur leurs petites terrasses accrochées entre ciel et terre, s’adonnent aux joies du bronzage, dès qu’ils ont un instant de libre. « Comme il l’avait subodoré, il trouva sa famille alignée en rang d’oignons sur le balcon, comme les clients du café [...] ».

Les flics y sont tels que dans l’imaginaire collectif, c’est-à-dire mal rasés. « Brunetti posa sa main droite sur son visage et se frotta les petits poils qui avaient poussé sous sa lèvre inférieure depuis le matin. Il les gratta doucement, en se disant qu’il pourrait vraiment les entendre poindre sous ses ongles. »

Les services des urgences y sont tels que Brunetti veut bien nous les décrire. « Au bout d’un moment, Brunetti se rendit compte que le jeune homme près de lui sentait cette odeur âcre et acide typique du mélange de peur et d’alcool, une odeur que le commissaire avait sentie plus souvent qu’il ne l’aurait souhaitée. »

Heureusement, l’ambiance vénitienne est bien là... Brunetti y déguste des « involtini avec les premières asperges de la saison », finit ses repas avec une grappa, sirote son Prosecco, installé confortablement dans un canapé profond, dans le palazzo de ses beaux-parents, celui-là même qui donne sur le Grand Canal, contemple sa famille en train de lire, de bronzer ou d’écouter de la musique sur la terrasse de son appartement ; son fils Raffi déguste un gâteau au potiron et aux raisins secs, la main sur le cœur ; les déplacements se font à coups de vaporetto... la douceur de vivre est bien au rendez-vous !

Alors, malgré ses défauts, on achète quand mêle le dernier Brunetti... Après tout, cela coûte toujours moins cher que de prendre un billet d’avion pour Venise !

Bibliographie

1 Donna Leon, Brunetti en trois actes, 2016

https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/stage-de-relooking-avec-colette-412/

 

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