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Chez Agatha, un mobile en béton, la création d’un institut de beauté !

> 24 octobre 2020

Chez Agatha, un mobile en béton, la création d’un institut de beauté !

Le décès de Richard Abernethie est le point de départ d’une série de réactions en chaîne.1 Alors que Mr Entwhisle s’apprête à lire le testament du vieil homme aux héritiers présumés, frère, belle-sœur, neveux et nièces, la petite voix de Cora Lansquenet se fait entendre : « Mais, il a bien été assassiné n’est-ce pas ? » Plutôt troublante cette petite phrase interrogative, dite avec l’air de candeur qui caractérise la vieille tante. Il faut dire que l’héritage tombe plutôt bien pour tous ces héritiers qui tirent le diable par la queue depuis des années.  Lorsque Cora est tuée d’un coup de hachette, le sort semble s’acharner… Ce sera ensuite le tour de sa dame de compagnie, Miss Gilchrist, d’échapper à un empoisonnement dû à un gâteau arseniqué. Helen, assommée avec un cale-porte, sera la victime suivante… Quelle hécatombe ! Heureusement, Mr Entwhisle est l’ami d’Hercule Poirot, le détective le plus brillant du monde. En deux temps trois mouvements, ce dernier résout l’énigme de Enderby Hall.

Hercule Poirot, un détective à la moustache d’exception

C’est lors d’un dîner comportant foie gras et toasts, qu’Hercule Poirot est mis au parfum de la situation par Mr Entwhisle. L’énigme du décès de Richard Abernethie mérite que l’on se penche dessus, quitte à malmener la célèbre paire de baccantes. « Ce disant, Poirot tortilla ses moustaches avec une farouche énergie ». Un petit voyage en Daimler et Hercule Poirot est à pied d’œuvre. Une valise vite faite dans laquelle on plie soigneusement une « exotique robe de soie dont le dessin comportait des triangles et des carrés » et notre petit belge est prêt à se rendre sur le lieu même du crime. Le médecin traitant de Richard est formel… il ne s’agit pas d’un empoisonnement. Le vieil homme est certes mort subitement, mais il souffrait d’une maladie incurable ; son décès n’est donc pas surprenant. Dans son armoire à pharmacie, on trouve des somnifères, de la morphine, des capsules vitaminées et une « mixture anti-dyspepsique ». Les capsules vitaminées à base d’adexoline possèdent une enveloppe gélatineuse qui pourrait avoir été trafiquée. On aurait pu, par exemple, y incorporer de la nicotine pure. « N’importe qui aurait pu enfoncer, dans une ou plusieurs de ces capsules, l’aiguille d’une seringue hypodermique [...] ».

Cora Lansquenet, une vieille dame aux cheveux teints

Cora est une vieille dame un peu étrange aux allures de petite fille, une petite fille avec une frange bien coupée sur le front… une frange de cheveux teints !

Rosamund Shane, une jeune femme à la bouche en cœur

Rosamund est une jeune femme assez jolie, qui aime à se dessiner une bouche en forme de cœur. (« Rosamund Shane, occupée à dessiner avec son tube de rouge l’arc en forme de cœur de sa bouche […] ») Pour apprécier le résultat final, Rosamund s’observe longuement dans son miroir.

Suzan Banks, une jeune femme au mobile cosmétique

Suzan Abernethie–Banks possède un mobile solide. En héritant de son oncle, elle a enfin la possibilité de se lancer dans un projet cosmétique d’envergure, projet qui lui permettra de donner à son mari, un préparateur en pharmacie dépressif, un but dans la vie. Suzan est bien décidé à monter un institut de beauté, au sein duquel elle pourra vendre des « préparations à base de plantes, des crèmes pour le visage » et toutes sortes de produits de beauté. Les cosmétiques naturels à base d’extraits végétaux, Suzan y croit dur comme fer. « Ça paie. Ça paie toujours. A condition d’avoir la personnalité. » Suzan constitue, à elle toute seule, une bien jolie enseigne, puisqu’elle possède une « bouche charnue », qui appelle le rouge à lèvres et un teint éclatant qui fera vendre des crèmes de jour illuminatrices à la pelle. Ce projet, Suzan le mûrit en secret depuis un an ! En observant les femmes de son entourage, elle s’est rendue compte que les « femmes s’occupent encore énormément de leur figure ». Son « sens aigu des affaires » lui fait comprendre qu’il y a une place à prendre sur le marché de la beauté. Pendant que Suzan travaillera à la vente dans un institut luxueux, véritable temple de la beauté, Greg laissera de côté pilules et poudres pharmaceutiques diverses, pour s’adonner à la formulation dans le « laboratoire de l’arrière-boutique ». Les formules fabriquées seront des « formules personnelles », qui seront très originales et bien différentes de ce que l’on trouve sur le marché. Pour arriver à son but, Suzan ne compte pas regarder à la dépense (« La dépense en vaut la peine »). En discutant avec Suzan, Hercule Poirot, aussi vieux jeu que Richard Abernethie, s’étonne de la volonté d’une jeune femme de monter un business cosmétique. Richard n’aurait jamais accepté d’apporter les fonds nécessaires à cette belle entreprise ; la mort de Richard peut donc être qualifiée de providentielle. Quant à Cora, elle fournira la table de malachite, surmontée de son bouquet de fleurs artificielles qui fera un ornement du meilleur effet pour un institut de beauté élégant.

Oui, vraiment Suzan semble être la femme qui possède le mobile le plus sérieux. Outre sa passion des cosmétiques, on doit tenir compte de l’amour fou qu’elle porte à son époux. Suzan veut que Greg se sente « quelqu’un ». Que faire d’un préparateur en pharmacie qui a tenté d’empoisonner une patiente un peu pénible ? Le mieux serait de lui offrir un terrain de jeu où il pourrait développer son esprit créatif ; « il aura son laboratoire à lui et il pourra travailler à ses propres formules. »

Et puis des religieuses à moustache

Dans ce roman, des religieuses moustachues sonnent aux portes et effraient la pauvre Miss Gilchrist !

Et puis une odeur de peinture à l’huile…

Les indiscrétions d’Hercule Poirot, en bref

Dans ce roman, on pourra découvrir un Hercule Poirot savourant du foie gras ou bien encore prenant son petit-déjeuner en robe de chambre exotiquement géométrique. Pour nous, la coupable indiquée est Suzan… Que ne ferait-on pas, en effet, pour récolter les fonds nécessaires à la création d’une entreprise cosmétique ?

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Les indiscrétions d’Hercule Poirot, Librairie des Champs-Elysées, 1983, 252 pages

 

 

 

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