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Champagne, poudre de riz et p’tites pépées, c’est Gatsby qui régale !

> 15 mai 2022

Champagne, poudre de riz et p’tites pépées, c’est Gatsby qui régale !

Avec Gatsby, le double effet Kiss Cool est garanti.1 Au premier abord, on est séduit par un sourire magnifique, magique, Ultra-Brite, un sourire unique qui ne parle qu’à vous... Au deuxième abord, on se pose des questions sur l’origine de la fortune de cet homme élégant qui semble s’être comporté en héros pendant la Grande Guerre et qui, depuis, se la coule douce, au bord d’une piscine de rêve, à deux doigts d’une plage privée paradisiaque, entre des jeunes femmes éblouissantes et pétillantes comme du champagne et un voisin qui trouve que l’herbe de la pelouse de son drôle de riverain est bien plus verte que celle de son modeste jardin. Le voisin, un tantinet concupiscent, n’est autre que Nick Carraway, un agent de change de bonne famille, un peu désargenté, issu d’une dynastie de ferronniers et qui a été élevé selon le principe de la tolérance et de la miséricorde. Lorsque Nick prend la plume pour rendre hommage à Gatsby le magnifique, la première phrase qui lui vient à l’esprit est celle avec laquelle il a été élevé. « Chaque fois que tu te prépares à critiquer quelqu’un, m’a-t-il dit (il : c’est son père), souviens-toi qu’en venant sur terre tout le monde n’a pas eu droit aux mêmes avantages que toi. » Pas de soucis. On a compris... On retient les critiques qui pourraient nous venir à l’esprit !

Pour le moment, on s’intéressera à Gatsby et à ses amours. Il est bien pratique d’avoir pour voisin le cousin germain de la femme que l’on a aimé il y a quelques années et que l’on est bien décidé à reconquérir. Nick est donc prié de jouer les entremetteurs, afin de permettre à Gatsby de renouer avec sa bien-aimée. Un simple petit thé et la machine à souvenirs se met en marche ! Dommage, elle risque bien de se gripper en cours de route !

Nick Carraway, la bienveillance personnifiée

Nick Carraway est un homme bienveillant, élevé en grande complicité par un père, lui-même bienveillant. Tant de bienveillance ne pouvait que conduire à quelques désagréments dans une vie, par ailleurs, toute de félicités ! « Quelques raseurs aguerris » prirent ainsi pour cible, Carraway père et fils ! Lorsque Fitzgerald prête sa plume à Nick, nous découvrons ce jeune trentenaire dans le quartier de West Egg de Long Island. En face de lui, East Egg, le quartier riche, qui concentre les villas appartenant à des familles huppées, installées de longue date dans un confort financier absolu. Dans l’une de ces villas, sa cousine germaine, Daisy et son mari Tom Buchanan.

Pour Daisy, Nick est une « rose » ! Mais comme « elle disait ce qui lui passait par la tête », comme un petit oiseau de printemps, il est difficile de savoir ce que cela pouvait bien recouvrir... Peut-être, toutefois, Daisy fait-elle référence à la capacité de Nick à s’empourprer pour un oui ou pour un non. Une phrase dérangeante et voilà Nick « aussi congestionné que sous le soleil des tropiques », aussi rouge que la rose fixée à sa boutonnière.

Une rose qui aborde ses 30 ans en juillet 1922 et qui se lamente : « Trente ans - promesse de dix années de solitude, d’une liste d’amis célibataires qui n’ira qu’en s’amincissant, d’une réserve d’énergie qui n’ira qu’en s’appauvrissant, de cheveux qui n’iront qu’en s’éclaircissant. » Joli programme !

Gatsby, la magnificence personnifiée

Chez Jay Gatsby, tout est magnifique. Les fêtes somptueuses s’enchaînent les unes après les autres. Le champagne coule à flots, en une véritable « débauche » (« On servait le champagne dans des coupes plus grandes que des rince - doigts »), sur Jay qui laisse les femmes l’arroser, comme à l’arrivée d’un grand prix, lors de soirées endiablées (par parenthèse, Jay, qui connaît les dégâts occasionnés par l’alcool, préfère voir le champagne couler en dehors de sa coupe !). « Des centaines d’invités en effervescence » font sauter les bouchons de leur vie ordinaire, devenant, pour un soir, des vedettes de cinéma. Au bord de la piscine ou sur sa plage privée, les invités se rôtissent « au soleil sur le sable brûlant ». Toute une foule se presse, chaque jour, dans sa villa ou son jardin, attirée par « l’odeur d’argent frais », qui embaume « les environs ».

Beaucoup de futilités, de sans-gêne ; on oublie de saluer le maître de maison, on croise des femmes à deux jours d’intervalle, sans les reconnaître, tant la teinture capillaire dont elles ont usé est capable de modifier leur aspect.

Chez Jay Gatsby, le sourire est magnifique. Ce sourire est « singulier », rare, rassurant. Un « sourire de complicité rayonnante », qui n’est qu’à lui et qui crée avec son interlocuteur un climat de confiance absolue.

Chez Jay Gatsby, l’allure est magnifique. Son « corps vigoureux » est « brûlé de soleil ». « Sa peau, hâlée par le soleil, épousait son visage à la perfection et sa coupe de cheveux laissait penser que son coiffeur venait le voir chaque matin. » Pas de bajoues, pas de valises sous les yeux, pas de rides pour fendiller l’épiderme... Tout est lisse comme de l’eau qui dort, sur la surface corporelle du séducteur de ses dames.

Magnifique, mais aussi un tout petit peu clinquant, comme cette voiture « d’un jaune crème intense, scintillant », qu’il conduit sûrement à vive allure.

Magnifique, mais tout de même un peu mystérieux. Des bruits courent sur son compte. A-t-il bien fait ses études à Oxford ? Est-il bien l’orphelin qui a hérité de la jolie fortune familiale au décès de ses parents ? Non, pas du tout... Nick, qui attire les confidences, reçoit les révélations de celui qui devient son ami. A 18 ans, Jay Gatz (Gatz est son vrai nom !) et son « toupet Pompadour » (soit dit dans un style plus moderne, la banane chère aux rockeurs type Elvis Presley) ont fait la conquête d’un yachtman fortuné, Dan Cody. Le fils de fermiers besogneux se transforme, par la magie d’un sourire ravageur, en protégé de multimillionnaire. Cody tombe sous le charme du jeune homme pauvre et le prend sous son aile. Durant 5 ans, Jay joue les hommes à tout faire, les hommes de confiance, capables de veiller sur un vieil alcoolique. Puis, Cody décède et Jay prend son envol. Et les affaires malhonnêtes s’enchaînent avec, en particulier, la mise en place de « toute une chaîne de pharmacies », où l’on vend plus d’alcool « sous le comptoir » que de pastilles pour la gorge dessus. Tom, jaloux de Jay, ne manquera pas d’ailleurs d’ironiser sur les pharmacies tenues par Jay. « Si j’en manque - Tom parle ici d’essence - je m’arrêterai dans une pharmacie. On trouve tout ce qu’on veut aujourd’hui dans les pharmacies. »

Et puis, à l’automne 1922, lorsque les feuilles commencent à tomber dans la piscine de Jay, la vie du magnifique « se brise comme du verre ». L’histoire d’amour avec Daisy ne repartira pas... Un « monstrueux malentendu » a laissé croire l’impossible à Jay. La « jeune fille comme il faut » est, en réalité, une « orgueilleuse » qui ne réagit qu’à « l’éclat du pur argent ». Rien à espérer donc...

Tom, la brutalité personnifiée

Tom Buchanan est un trentenaire d’une élégance extrême ; les vêtements qui tombent sur lui sans un pli cachent, avec soin, un corps d’athlète. Extrêmement musculeux, Tom masque, dans des costumes taillés sur mesure, un « corps de brute », plus fait pour la lutte que pour les dîners mondains. Une auréole de cheveux « blond paille » donne un curieux air séraphique à un type qui ne se gêne, par ailleurs, pas pour tromper, outrageusement, son épouse Daisy. L’objet de sa passion du moment n’est autre que la femme de son garagiste, Myrtle Wilson.

Daisy, la cupidité personnifiée

Daisy Fay est une jeune femme outrageusement trompée et qui s’est sans doute aussi beaucoup trompée, par le passé. A 18 ans, en 1917, Daisy, au « subtil parfum d’orchidée », est tombée sous le charme du lieutenant Jay Gatsby. Que s’est-il alors passé pour qu’elle épouse, sur un coup de tête, le richissime Tom Buchanan ? L’a-t-on renseignée sur le compte en banque de Jay, sur ses origines ? Nul ne le sait. Pas plus son cousin que les autres. En renouant avec Jay lors d’un thé, Daisy semble retrouver les sentiments d’autrefois. La splendeur de la villa de Jay monte à la tête de la jeune femme qui se laisse griser par les parfums environnants. Elle « admira le parfum entêtant des jonquilles, celui plus épicé des aubépines, celui des pruniers en fleur, et le parfum d’or pâle des pensées sauvages ». Le luxe qui règne dans le moindre recoin de la maison comble la vue de Daisy qui s’attarde dans la chambre de Jay, admirant un « nécessaire de toilette » en « or massif ». Daisy s’empare « de la brosse avec volupté » et se caresse « les cheveux », pour le plus grand bonheur de Jay.

Daisy est une jeune femme qui abuse de ses sentiments et qui use de poudre de riz. Lorsqu’elle joue avec sa petite fille Pammy, celle-ci en sort toute enfarinée. « Ta vilaine maman, qui met de la poudre sur tes pauvres cheveux blondasses ». Pas très maternelle, la remarque !

Daisy est une jeune femme superficielle qui ne vit que pour la fête et les conversations sans importance. Une petite virée à New-York et la voilà qui rêve de louer, dans un hôtel de luxe, des « salles de bains », afin d’offrir, à chacun de ses convives, un « bain froid ». La soirée se terminera plus simplement autour d’un « mint julep » !

Myrtle Wilson, la sensualité personnifiée

La sensuelle maîtresse de Tom, 35 ans au compteur, 12 ans de mariage et une carrosserie absolument irréprochable, n’est autre que la femme de Mr Wilson, un garagiste malchanceux. Myrtle possède des formes généreuses et une « belle énergie vitale », qui lui tient lieu de beauté. Une peau entretenue au « cold cream », un sillage parfumé vulgaire, provenant d’une référence achetée à bas prix, au « drugstore de la gare »... caractérisent cette pile électrique, dont les goûts cosmétiques sont, on ne peut plus, basiques. Généreuse, Myrtle l’est de forme et de fond. Ce bon petit cœur est, en effet, prêt à donner la robe qu’elle porte à la femme qui lui en fera compliment en fin de soirée.

Lorsque Myrtle dresse la liste de ses envies, on reste bouche bée devant tant de simplicité. « Je dois faire une liste de tout ce qu’il me faut. Un massage, une indéfrisable, un collier pour mon chien, un de ces cendriers adorables, vous savez, avec un ressort sur lequel on appuie [...] ».

Pauvre Myrtle, elle finira fauchée par la voiture de Gatsby, conduite par une Daisy, transformée en fou du volant par un drôle de Satanas...

Catherine, la sœur de Myrtle ou la beauté personnifiée

La sœur de Myrtle, Catherine, est une « vraie beauté », qui passe des heures à se cosmétiquer. « Les cheveux d’un roux agressif, coupés ras sur la nuque, un teint que la poudre rendait laiteux », voilà les deux éléments qui constituent sa signature visuelle. Les sourcils, soigneusement épilés et redessinés « sous un angle plus provocant », témoignent de sa volonté d’attirer le regard, de captiver, de séduire.

Mr et Mrs McKee, la vulgarité personnifiée

A New-York, Tom reçoit des invités dans son appartement, en compagnie de sa maîtresse, pendant que sa femme l’attend bien sagement dans sa propriété de West Egg. Un voisin de palier, photographe de son état, « incolore et efféminé », passe ainsi la soirée entre Nick, Tom et Myrtle. Tout juste sorti de sa salle de bain, à peine invité ! Venant « tout juste de se raser », Mr McKee est encore barbouillé d’une « pointe de savon à barbe », au niveau de la joue. Une tache qui, loin de décorer son épiderme, gêne Nick au plus haut point. Lorsque Mr McKee finit par s’endormir dans un fauteuil profond, Nick n’y tient plus, il sort son mouchoir « pour effacer la petite pointe de savon séché », qui l’obsède depuis le début de la soirée.

Mrs McKee n’est guère plus présentable. Lucille (c’est son prénom) est tout simplement vulgaire, à souhait.

Miss Baker, le bronzage personnifié

Jolie, « longue, mince », bronzée - la nuance de son bronzage parfaitement accordée à celle de ses gants aux doigts coupés, des cheveux « aux reflets d’automne », Jordan Baker coche toutes les cases en matière de canons de la beauté. On est en 1922, le bronzage est à peine à la mode que déjà Jordan se paye le luxe d’arborer un teint doucement épicé. Il faut dire tout de même que Jordan est une golfeuse professionnelle ce qui explique la qualité du hâle obtenu sur les greens. Cette joueuse de golf n’est, en fait, qu’une tricheuse - elle encourage souvent sa balle d’un petit coup de pied discret, mais bien placé - « incurablement malhonnête ». Ses « yeux gris, brûlés de soleil » ont tendance à fuir le regard de son interlocuteur. Nick, le courtier « foncièrement honnête », est tout simplement horrifié en apprenant le comportement de Jordan. Pas très sport tout cela !

Le soir, Jordan se poudre à blanc, afin de se fondre dans la masse des invitées poudrerizées. Chaque mouvement déplace alors un nuage où se mêle amidon de riz, talc et parfum. « Quand elle se mit à rire, d’un petit rire tendre et nerveux, un délicat nuage de poudre monta de sa poitrine ».

Et une chanteuse qui se fait pleurer

Lors des folles soirées organisées par Gatsby, il est, parfois, possible d’entendre une chanteuse qui vocalise entre deux gorgées de champagne. La « créature à cheveux roux » en question est d’une sensibilité hors norme. La boisson aidant, le chant se transforme en sanglots véritablement pathétiques. Le mascara non waterproof utilisé en profite pour se faire la malle, striant les joues de la fausse cantatrice ! « Les larmes coulaient le long de ses joues - mais avec une certaine difficulté, car en abordant la frange outrageusement fardée des cils elles prenaient une couleur d’encre, et continuaient leur chemin sous forme de lignes noirâtres. »

Gatsby le magnifique, en bref

Petit à petit, Nick nous donne toutes les pièces de ce puzzle géant, né de l’imagination de Fitzgerald. En 200 pages, l’écrivain résume 3 mois d’une vie (l’été 1922).

Il y a la façade d’une belle villa et à l’intérieur un tricheur... Jay Gatz ! Il y a des histoires d’amour contrariées, un mari peu scrupuleux (c’est Tom !) qui glisse à l’oreille de Mr Wilson le nom de l’assassin de sa femme (c’est faux, c’est Daisy qui était au volant et non Jay !). Il y a un mari fou de douleur qui se suicide après avoir tué Jay dans sa piscine d’un coup de révolver ! Il y a un vide qui se crée lorsque Jay décède. Plus personne à l’horizon, si ce n’est le fidèle voisin, Nick. Le père de Jay est retrouvé ; en guise d’oraison funèbre, il dépliera un petit papier correspondant « aux résolutions générales » d’un enfant de 9 ans... « Pas fumer ni chiquer » ; « Bain tous les 2 jours » ; « Etre plus gentil avec mes parents » !

Il coule tant de champagne qu’on en sort avec la gueule de bois et les cheveux qui tirent !

Nick multiplie les sentences : « Il n’y a jamais qu’un chasseur, un gibier, un qui s’obstine, un qui renonce. » et sait à merveille résumer, en quelques mots, la personnalité de celui qu’il se refuse à juger. Gatsby : « Il était fils de Dieu - expression qui dit très exactement ce qu’elle veut dire - et il se devait aux affaires de son Père, à l’avènement d’une immense, populaire et clinquante beauté ».

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration de ce roman incontournable de Fitzgerald !  

Bibliographie

1 Fitzgerald F., Gatsby le magnifique, le livre de Poche, 2021, 222 pages

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