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César Birotteau ou l’art de valoriser une simple huile de noisettes !

> 20 octobre 2018

César Birotteau ou l’art de valoriser une simple huile de noisettes !

L’histoire de César Birotteau, un « marchand parfumeur établi près de la place Vendôme », est une histoire ciselée par Honoré de Balzac tout spécialement pour amateurs de cosmétiques.1 On y découvre les premiers pas dans le métier d’un jeune provincial qui ne connaît pas un « iota d’histoire naturelle ni de chimie » ; on suit son ascension ; on assiste à sa chute, une chute inéluctable, mais prévisible si l’on est attentif aux pieds de César, enfermés qu’ils sont dans « des souliers à rubans dont les nœuds se défaisaient souvent » !

César Birotteau, un commis qui ne manque pas de talent

César Birotteau est le successeur de Ragon, à l’enseigne de « La Reine des Roses ». Il est né à Tours et est monté à Paris à l’âge de 14 ans, dans un but précis : faire fortune. Recommandé par un apothicaire, le jeune garçon devient « garçon parfumeur » chez le couple de marchands. L’apprentissage est rude ; tout n’est pas rose à « La Reine des Roses » (finalement si mal nommée !), en cette année 1792. Pourtant, le jeune garçon séduit le couple de parfumeurs. Il est efficace et ne rechigne jamais face à la besogne. Les Ragon lui font confiance et n’hésitent pas s’ouvrir à lui de leur admiration pour la famille royale, une famille en pleine tourmente révolutionnaire. Les Ragon haïssent cette Révolution qui met « tout le monde à la Titus », qui supprime la poudre et met à mal leur commerce florissant. En 1800, César épouse Constance Pillerault, une marchande de nouveautés au Petit-Matelot et achète le fonds de commerce. A peine à la tête de l’entreprise, il décide de chambouler les habitudes. Il comprend très rapidement qu’il est facile d’augmenter son bénéfice si l’on est fabricant et non plus simple revendeur. Si sa maison fournit au Roi « la seule poudre dont il veuille faire usage », une poudre dont la formule est inchangée depuis le décès de la reine Marie-Antoinette, la « pauvre chère auguste victime », César ne compte pas en rester là. Pour ce faire, il loue « une baraque dans le faubourg du Temple » ; il y cloue une pancarte « Fabrique de César Birotteau » et débauche « de Grasse un ouvrier » qui lui livre ses secrets en matière de formulation de savons, d’essences et d’eau de Cologne. L’affaire est boiteuse ; les pertes s’accumulent. La « tête lui bouillait comme une marmite » ! Pour pouvoir sortir la tête de l’eau, il fallait trouver une idée. En se promenant le long des boulevards l’œil de César est attiré par un ouvrage au titre curieux « Abdeker ou l’art de conserver la beauté ». L’art de conserver la beauté est un art qu’il souhaite connaître dans les moindres détails. L’ouvrage acheté est dévoré par le parfumeur qui s’est formé sur le tas, mais manque de connaissances fondamentales. César y apprend la physiologie cutanée. Il découvre la complexité de la peau qui, selon le cas, doit être « tonifiée » ou bien « relâchée ». Mais tout cela est bien complexe pour un homme qui n’a pas fait d’études. Entre alors en scène un scientifique, Monsieur Vauquelin. César le charge de mettre au point un cosmétique sur-mesure qui s’adaptera à chaque type de peau. Cette demande naïve étant impossible à satisfaire, Vauquelin botte en touche et développe non pas un produit, mais deux - ceux-ci se déclinant par ailleurs en deux versions. Il s’agit d’un produit éclaircissant pour les mains, baptisé « Double pâte des Sultanes » et un produit éclaircissant visage, baptisé « Eau carminative ». Afin de s’adapter au tempérament de chacun, un colorant « rose », pour les sujets de « constitution lymphatique » ou un colorant blanc pour les sujets « sanguins » est ajouté. Le travail de formulation étant achevé, il ne reste plus à César qu’à faire son travail de « bon vendeur ». Des affiches colorées en rouge - pas moins de deux mille - sont alors placardées sur tous les murs de Paris. En commerçant avisé, César décide de réaliser une faible marge, mais de se rattraper sur la quantité. Tous les parfumeurs de France doivent connaître son nom !

César Birotteau ou comment valoriser une simple huile de noisettes

L’inventeur de la « Double pâte des Sultanes » et de « l’Eau Carminative » qui a débuté son commerce avec cinq à six mille francs en poche est bien décidé à trouver LE cosmétique du siècle. Il a « découvert une essence pour faire pousser les cheveux, une huile Comagène ! » Il jubile : « Livingston m’a posé là-bas une presse hydraulique pour fabriquer mon huile avec des noisettes qui, sous cette forte pression, rendront toute leur huile ». C’est Madame Madou, la reine de la noisette, qui lui fournira les précieux fruits. « Dans un an, suivant mes probabilités, j’aurais gagné cent mille francs, au moins. Je médite une affiche qui commencera par : A bas les perruques ! dont l’effet sera prodigieux. » Cette huile devrait voler la vedette à l’huile de Macassar, une huile de composition mystérieuse qui fait alors fureur en Angleterre et en France.2 C’est le hasard qui a mené César à cette belle découverte. En observant une gravure représentant le couple mythologique formé par Héro et Léandre, il s’est rendu compte que la femme versait de l’huile sur les cheveux de son amant. Il sait également que les femmes « n’aiment pas les chauves. » Par ailleurs, un élève en médecine, « le petit Bianchon », lui a révélé que ses camarades utilisaient de l’huile de noisettes pour « activer la croissance de leurs moustaches et favoris ». Dans le cerveau de César Birotteau, l’huile de noisettes, convertie en lotion anti-chute, est la porte d’entrée vers une fortune assurée. Pour mettre en confiance la clientèle, César Birotteau cherche à obtenir la caution scientifique de l’Académie des Sciences et retourne voir le bon Monsieur Vauquelin. Celui-ci est l’homme de la situation, puisque sa thématique de recherche concerne « l’analyse des cheveux ». Pour booster ses ventes, César Birotteau imagine déjà « une demoiselle de comptoir » possédant « des cheveux à tomber jusqu’à terre. » Un mot par ci par là glissé à la clientèle et tout le monde sera persuadé que ce beau capillaire doit toute sa tonicité et sa croissance à une application quotidienne, voire biquotidienne de produit-miracle.

César Birotteau, un parfumeur qui maîtrise parfaitement l’art de la communication

Les publicités de César Birotteau sont remarquables. Comparaison est faite avec un produit très connu, l’eau de Cologne. Les cosmétiques en question sont beaucoup plus efficaces que ce produit très populaire. Ils sont le fruit de « longues veilles » et d’une étude approfondie de la structure cutanée. Ils ne rident pas la peau, contrairement à d’autres drogues « employées inconsidérément ». Ils sont adaptés au tempérament de chacun ; on se repérera pour son choix à la couleur adaptée. Ces produits ont un « doux parfum ». Ils exercent plusieurs types d’action. Les allégations sont les suivantes : « blanchit la peau », « dissipe les sueurs de la main », « enlève les boutons », « dissipe les cuissons occasionnées par le feu du rasoir », « préserve les lèvres des gerçures et les maintient rouges », « prévient les affections cutanées en ne gênant pas la transpiration des tissus », donne à la peau un superbe « velouté »... César Birotteau a inventé le 7 en 1, un produit multi-usage. Une mention « attention aux contrefaçons » vient mettre en garde le consommateur qui apprend ainsi qu’il existe des copies de l’original. César Birotteau sait bien que pour vendre un produit, il faut raconter une histoire ; il sait aussi que l’on peut tricher un peu sur la provenance des produits pour les rendre plus attractifs. Une huile essentielle de rose de Constantinople se vendra beaucoup mieux qu’une huile essentielle distillée dans les faubourgs de Paris. « Ces noms de lieux » qui font rêver sont « des bourdes inventées pour plaire aux Français qui ne peuvent supporter les choses de leur pays. Un marchand français devait dire sa découverte anglaise, afin de lui donner de la vogue, comme en Angleterre un droguiste attribue la sienne à la France. »

Une caution scientifique de poids, Monsieur Vauquelin

Celui-ci a beaucoup étudié les cheveux. « Les cheveux sont formés d’une quantité assez grande de mucus, d’une petite quantité d’huile blanche, de beaucoup d’huile noir-verdâtre, de fer, de quelques atomes d’oxyde de manganèse, de phosphate de chaux, d’une très petite quantité de carbonate de chaux, de silice et de beaucoup de soufre ». Vauquelin aime son métier de chercheur et s’applique à expliquer à César que le cheveu est un élément mort. Cette révélation qui met le commis de César en joie (le cheveu est donc « de la sueur en bâton » ou du « fumier sur la tête ») est une catastrophe pour le parfumeur qui ne sait pas comment faire croire au consommateur que son huile est capable de stimuler la croissance d’un élément « mort-né ». Vauquelin a la solution ; il suffit de changer de stratégie-marketing. L’huile Comagène peut être commercialisée comme un cosmétique qui « préserve la couleur d’origine ». En effet, Vauquelin est persuadé que la décoloration du cheveu est liée à une « interruption de la sécrétion des matières colorantes », sous l’effet du froid. Bien au chaud dans une gaine d’huile, le cheveu ne perdra plus ses couleurs ! Quant à obtenir la caution de l’Académie, il n’en est pas question. Vauquelin considère que « l’huile d’olive vaut l’huile de noisette », il ne peut donc pas favoriser l’une par rapport à l’autre !

Anselme Popinot, le digne héritier de César Birotteau

Ce neveu de Madame Ragon « était petit et pied-bot ». « Il avait ce teint éclatant et plein de taches de rousseur qui distingue les gens dont les cheveux sont rouges. » Il a autant de qualités que d’éphélides. Et la première est de plaire à Césarine, la fille de César et de Constance. Popinot est chargé de « couler l’huile de Macassar ». César laisse entière liberté à son commis pour supplanter la meilleure lotion anti-chute du marché. Popinot se met à rêver de gloire et de rues transformées en « ruisseaux d’huile ». Dans ses rêves les plus audacieux, ses cheveux poussent « follement » et des anges tiennent un phylactère où est inscrit : « Huile Césarienne ». Popinot doit effectivement s’attaquer en premier lieu au nom de baptême de l’huile en question. César a choisi le nom de « Comagène », en hommage au roi de Comagène, mis en scène par Racine, dans la pièce Bérénice. L’explication qu’il donne à ce choix est tirée par les cheveux (« Ce mot se trouve dans la tragédie de Bérénice, où Racine a mis un roi de Comagène, amant de cette belle reine si célèbre par sa chevelure, lequel amant, sans doute par flatterie, a donné ce nom à son royaume ! Comme ces grands génies ont de l’esprit ! Ils descendent aux plus petits détails. »). Pour Vauquelin, « Essence et Comagène sont deux mots qui hurlent ». Il faut donc changer d’idée au plus vite. Popinot, afin de flatter César, propose le nom d’Huile Césarienne. « Les Césars avaient le monde, ils devaient avoir de fameux cheveux. » pense Birotteau. Pas du tout, rétorque Popinot, qui a de l’instruction. « César était chauve ». C’est « parce qu’il ne s’est pas servi de notre huile, on le dira », tranche Birotteau, qui ne s’arrête pas un détail près. Celui qui aura le dernier mot, c’est Gaudissart, le représentant de commerce chargé d’écouler le stock de produit. Il n’est pas question de se mettre sur la tête de l’Huile Césarienne. « [...] tu ne connais pas les gens de province : il y a une opération chirurgicale qui porte ce nom-là, et ils sont si bêtes qu’ils croiraient ton huile propre à faciliter les accouchements [...] ». L’huile Céphalique, voilà le nom qu’il faut ! La deuxième étape consiste à chercher un conditionnement ; celui qui intriguera le plus le consommateur sera le bon. C’est donc un flacon en forme de citrouille qui est choisi. La troisième étape est laissée au littérateur, Andoche Finot, l’une des plumes les « plus distinguées de la littérature », qui se propose pour rédiger un mode d’emploi : « Il est tout à fait inutile d’oindre les cheveux ; ce n’est pas seulement un préjugé ridicule, mais encore une habitude gênante, en ce sens que le cosmétique laisse partout sa trace. Il suffit tous les matins de tremper une petite éponge fine dans l’huile, de se faire écarter les cheveux avec un peigne, d’imbiber les cheveux à leur racine de raie en raie, de manière à ce que la peau reçoive une légère couche, après avoir préalablement nettoyé la tête avec la brosse et le peigne. »

Andoche Finot ou l’art de se mettre les journalistes dans la poche

Finot se charge de la presse ; il hante les salles de rédaction et sait réclamer à ses amis journalistes le petit article qui va tout changer. Afin d’obtenir quelques lignes dans la presse, Finot - qui porte bien son nom - distribue « argent et dîners » avec générosité. Le but est de faire oublier l’Huile de Macassar, la Pâte de Regnault ou la mixture brésilienne. Ah, si les influenceuses beauté avaient existé, Finot n’aurait pas hésité à leur envoyer de jolis petits paquets bien remplis...

Un mot de Constance, l’épouse fidèle de César et de Césarine, leur fille

Constance est une femme qui a « le bonheur inquiet » et le teint parfait. Madame César possède, en effet, une peau d’une blancheur remarquable. Elle dispose, en effet, d’un « secret que la science ignore pour rester jeune et belle ». Elle constitue, à elle seule, la meilleure enseigne pour une boutique de cosmétiques. Sa fille Césarine est une jeune fille fraîche comme un pot de cosmétique ; des cosmétiques, Césarine n’en a pas besoin. Elle est « fraîche et rose ». « blonde et mince, les yeux bleus. » Elle possède « une élasticité » « qui fait rebondir les chairs ». Son teint est blanc et ses veines bleutées sont bien visibles. Ses cheveux sont bouclés avec soin, comme ceux de « toutes les demoiselles de magasin à qui le désir d’être remarquées a inspiré les minuties les plus anglaises en fait de toilette. »

César Birotteau apparaît dans ce roman comme un opportuniste qui sait tirer partie des qualités des uns et des autres. « Angélique Madou récolte, monsieur Vauquelin extrait », et César Birotteau vend... sans rien y connaître, avec seulement un flair infaillible en ce qui concerne les goûts du consommateur (suivez nos regards, ce genre de trio ne se retrouve-t-il pas encore en 2018 ?). A cela s’ajoute un vrai sens du commerce, car il ne faudrait pas croire que cette huile de noisettes soit pure... Afin de la rendre plus rentable, on lui mêle « des corps oléagineux moins chers »... et un peu de parfum tout de même ! Là où César n’est vraiment pas doué, c’est lorsqu’il s’agit de spéculer, de choisir un homme d’affaires honnête... Là, vraiment, il perd tout son talent et tout son argent. Il tombe alors aux mains de banquiers qui se renvoient le pauvre homme « comme un volant sur des raquettes ».

La lecture de ce roman constitue un grand moment de plaisir pour qui aime à se replonger dans l’atmosphère du début du XIXe siècle. On y apprend quelques ficelles du métier de fabricant de cosmétiques, grâce à un Balzac au sommet de son art.

 

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, très inspité par Honoré, César... et les noisettes.

Bibliographie

1 H. de Balzac. César Birotteau. Le livre de poche, 1966, 511 pages
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-mysterieuse-huile-de-macassar-329/

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