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Cazenave contre Cazenave, une simple histoire de rapports aux cosmétiques différents !

> 19 novembre 2022

Cazenave contre Cazenave, une simple histoire de rapports aux cosmétiques différents !

Jusqu’où peut aller une mère par amour ? Jusqu’où peut aller un fils par caprice ? C’est à ces deux questions fort simples que François Mauriac s’applique à répondre dans un roman paru en 1923, Génitrix.1 Mathilde Cazenave se meurt dans une aile isolée de la grande maison qu’elle partage avec son époux et sa belle-mère. Après une fausse-couche, elle est laissée seule, sans secours, jusqu’à ce que mort s’ensuive…

Dans la chambre de Mathilde, une odeur de seringa

Cette chambre, comme d’ailleurs tout le reste de la bâtisse, est régulièrement secouée par les trépidations d’un train qui semble prêt à chaque instant à foncer dans la maison. Il y règne une « odeur de seringa et de fumée de charbon ».

Mathilde, une jeune fille moqueuse, d’une propreté sourcilleuse

Qui est cette Mathilde ? Une jeune institutrice, placée chez de vagues cousins, voisins de Fernand, les Lachassaigne.

Mathilde, un cœur sec… Depuis sa petite enfance, elle n’a cessé de se moquer de son père avec la complicité de son frère Jean, le frère adoré, le frère adulé.

A l’âge adulte, elle décide de s’émanciper et de trouver au plus vite un mari qu’elle pourra manœuvrer aisément.

Manœuvrer aisément Fernand et sa mère… tu n’y penses pas, ma pauvre Mathilde. Tu t’y casseras les dents. Et le ton est donné, dès le voyage de noces, écourté afin de revenir au plus vite dans le giron maternel. Il faut dire que Mathilde n’a pas été très psychologue sur ce coup-là. Cette moqueuse s’est tout de suite mise à brocarder les habitudes familiales. « […] elle critique toutes les habitudes de notre famille, déclare qu’il est dégoûtant de ne pas se laver le soir - comme si c’était la peine, puisqu’il faut recommencer le lendemain matin. » Mathilde, la soigneuse, Mathilde l’hygiéniste, se heurte à une fin de non-recevoir cosmétique ! Dans ces conditions, le capricieux Fernand retourne dormir dans sa chambre d’enfant, dans son petit lit qui jouxte celui de sa mère laissant Mathilde, seule et désemparée, à l’autre bout de la maison. Pour l’occasion, Marie de Lados a remis des draps propres dans le lit d’enfant, des draps qui ont « l’odeur de la menthe et de l’eau vive ».

Le père de Mathilde, un homme de devoir, à l’allure soignée

Le père, un « normalien dont la barbe était peignée, soignée […] » ; un homme humilié, qui, malgré de solides connaissances, en est réduit à enseigner dans une institution pour jeunes filles, afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille.

Jean, le jeune dévoyé qui pue le musc

Jean, le frère de Mathilde est un mauvais sujet. Tout jeune, protégé par sa sœur, il court les filles, en cachette de son père. Une figure d’ange, à peine ternie de « menus boutons » ! Lorsque Jean revient de ses virées nocturnes, il ramène au domicile paternel une odeur de vice, de péché (« Il sentait le tabac, le musc, il sentait le lit. »).

Mme Félicité Cazenave, une tête de Méduse, qui use de la teinture capillaire

Félicité Cazenave est une vieille femme, qui connaît peu les cosmétiques. Juste un peu de teinture capillaire… c’est vous dire. Pour la décrire, François Mauriac se contente de nous parler d’« un peu de crâne blanc », qui « paraissait entre les mèches teintes » et d’une « tête de Méduse » !

Fernand, un quinquagénaire d’une propreté douteuse

L’époux de Mathilde, Fernand, est un homme tombé en déliquescence, par la faute d’une mère toujours aux petits soins. Cet ancien élève de « Centrale » n’a jamais su/pu quitter les robes de sa mère, ce qui a engendré, comme on peut l’imaginer, un certain nombre de lésions cérébrales irréversibles. Repliés sur eux-mêmes, la mère et le fils (celui-ci a maintenant 50 ans !) observent l’univers d’une seule et unique paire d’yeux !

Lors du décès de Mathilde, Fernand rentrera en guerre contre sa mère, l’accusant d’avoir précipité la mort de sa femme en ignorant la gravité de son état. Celui qui est resté « un enfant » veut faire souffrir sa mère, pour dégager sa conscience de tout remord. Maintenant que Mathilde n’est plus, Fernand la pare de toutes qualités et regrette le temps perdu. L’enfant capricieux, qui voulait manger des fraises en décembre, voudrait bien qu’on lui répare sa poupée désormais cassée.

Marie de Lados, une vieille domestique fidèle, qui sent la savonnette

La bonne à tout faire, Marie de Lados, est totalement dévouée aux Cazenave. C’est elle qui s’occupera de la toilette mortuaire de Mathilde et qui l’enveloppera dans des « draps de chanvre rugueux » (« […] elle achevait de natter les cheveux encore vivants. ») Des cheveux vivants, certes non, puisque ces structures kératinisées constituent, bel et bien, des éléments franchement morts, totalement dénués de vie !

Après la mort de Félicité Cazenave, c’est Marie de Lados qui prend les rênes, remplaçant au mieux la vieille madame. Toutefois, sous l’emprise de sa fille et de son gendre, Marie se laisse aller… Son petit-fils a été introduit dans la maison et c’est désormais lui le roi ! Attention, quand même, à la colère de Fernand qui se réveille, un beau jour, et chasse toute la smala qui pensait bien pouvoir vivre à ses crochets !

Et un parfum de tilleul

Et comme toujours chez Mauriac, « les tilleuls odorants du jardin » remplissent l’air de leur senteur suave !

Et un quinquagénaire qui se blottit dans une soupente

Au départ de Marie de Lados, Fernand monte dans la soupente de la domestique. Il y retrouve l’odeur de Marie, une odeur de « savonnette » et de vêtements usés.

Génitrix, en bref

Une mère, par amour, est capable de tout et même du pire, nous révèle François Mauriac, dans ce roman terrifiant. Un fils, par caprice, est capable de tout et même du pire surenchérit l’écrivain… Ce couple infernal mis en présence fait, en effet, de la casse !

La petite Mathilde, toute fraîche, toute propre, toute cosmétiquée, n’avait vraiment rien à faire avec ce grand dadais de Fernand, tout confit dans sa crasse morale et physique.

Quand on vous dit que les cosmétiques sont loin d’être des produits superficiels !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cet hommage croisé à François Mauriac et à Eugène Schueller !

Bibliographie

1 Mauriac F., Génitrix, Grasset, 1966, 160 pages

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