Nos regards
Calvaire parfumé d’un écrivain à succès hyperosmique !

> 06 février 2022

Calvaire parfumé d’un écrivain à succès hyperosmique !

Entre Amélie Nothomb, l’écrivain qui répond, systématiquement, et avec beaucoup de gentillesse, à l’abondant courrier reçu chez son éditeur et Pierre Costals, l’écrivain, tout droit sorti de l’imagination d’Henry de Montherlant,1 qui attend des années avant de répondre à ses admiratrices, qui les raille, les trompe, les humilie, entretient leur espoir, puis le tue dans l’œuf... pas vraiment de points communs. Cent fois relu, pourtant, ce roman fait partie des incontournables nothombiens ! Pierre Costals, un bourreau avec une pierre à la place du cœur ou bien une victime harcelée par des jeunes filles laides complètement loufoques ? Difficile à dire. D’un courrier à un autre, le bourreau se fait victime et vice versa. Amoureux des mots, voilà la seule certitude concernant cet écrivain qui - c’est sûrement une erreur fatale de sa part - ne peut s’empêcher de prendre la plume pour titiller des demoiselles qui ne demandent que cela. Ces « jeunes filles comme des chiens abandonnés, que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu’ils croient que vous les appelez, que vous allez les recueillir, et sans qu’ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon ».

Thérèse Pantevin, comme une odeur d’encens

Thérèse est une jeune fille d’Avranches, complètement mystique, qui s’accroche à Pierre Costals, pour la simple et bonne (à voir !) raison qu’il lui semble accomplir la volonté de Dieu en se donnant à celui qu’elle a choisi. Un éclairage divin qui clignote et qui risque bien d’entrainer Thérèse à sa perte. Thérèse possède un défaut rédhibitoire aux yeux de Pierre... elle est laide, fort laide ! Pierre tentera de détourner la vocation de Thérèse vers un autre sacrement... sans succès.

Andrée Hacquebaut, comme une odeur de bain moussant

Andrée est une jeune fille qui vit dans un petit village du Loiret, Saint-Léonard, une jeune fille dont le cœur chavire à « l’odeur de bonbon et d’orange d’une languissante branche d’acacia ». Intelligente, cultivée, Andrée a passé des années à décrypter l’œuvre de celui qu’elle adule. Capable de citer de mémoire des paragraphes entiers rédigés de la main de celui dont elle se veut la servante, la gardienne du temple construit à la gloire de Pierre se prélasse entre les mots de celui dont elle aspire à devenir la femme, comme dans l’eau moussante d’un bain parfumé. «  [...] vous êtes moins un homme qu’un élément dans lequel ma vie baigne, comme on baigne dans de l’air ou de l’eau. Personne ne vous « sent » comme je le fais. » La lectrice fidèle... en veut plus... Lectrice à part cherche place particulière dans le cœur de Pierre ! Malheureusement, cette pierre-là ne repose pas sur un terrain constructible. Sable mouvant ! Andrée est laide... elle ne fera pas l’affaire. Ah, à propos de bain... ce serait pas mal d’en prendre de temps en temps, ma chère Andrée. D’après Pierre, vos bras sont sales d’une « teinte grisâtre », qui n’est absolument pas naturelle. Sympathique, ce cher Pierre...

Andrée Hacquebaut, comme une odeur de lettre parfumée

Andrée est, depuis toute petite, atteinte de « lettrite », une pathologie se traduisant par le besoin irrépressible de rédiger des lettres ; les lettres envoyées à Pierre constituent de véritables manuscrits comportant de nombreux feuillets dont le format - différent des autres courriers - crée un malaise esthétique pour l’écrivain soucieux du bon ordre de sa correspondance. Ces lettres dépassent de partout, dégoulinent sur le bureau, se répandent dans l’atmosphère et ce d’autant plus qu’elles ont fait l’objet d’un parfumage généreux. « Quelquefois elle parfumait ses lettres d’un parfum si violent qu’il était obligé de leur faire passer la nuit dehors, suspendues à des pinces à linge, et encore cela ne suffisait-il pas : durant 8 jours elles empestaient le tiroir de son bureau. » Et puis, il y a aussi toutes sortes de petits cadeaux, «de l’eau de Cologne, des sachets de lavande », qui s’accumulent dans la boîte aux lettres et qui finissent par être distribués, à droite et à gauche, aux maîtresses de rencontre.

Andrée Hacquebaut, comme une odeur de flacon de parfum disparu

Pour s’occuper, par pitié, par amour des mots et des jolies phrases, Pierre craque parfois... et répond à ses admiratrices se mettant alors dans des situations improbables. De fil en aiguille, de mots hasardeux en expressions mal comprises, Andrée débarque ainsi à Paris... Elle ne tiendra pas un mois au poste de secrétaire que lui a trouvé Pierre. Dans sa petite chambre d’hôtel, Andrée pleure, Andrée se désespère, Andrée se gave de parfum consolateur... et finit par se faire détrousser. « A l’hôtel, elle s’aperçut qu’on lui avait volé dans sa chambre un flacon de parfum de 40 francs ; ce parfum, ces derniers jours avait été sa seule consolation ; elle le respirait quand elle était trop tourmentée. » A force de rebuffades, Andrée comprendra qu’il n’y a rien à attendre de Pierre. Le retour à Saint-Léonard s’impose. Tout le monde la trouve rajeunie, embellie. Un passage chez le coiffeur constitue l’antidépresseur dont Andrée avait besoin. « Pourquoi vais-je mieux ? J’ai l’impression que, dans mes dernières lettres, j’ai pas mal divagué, et qu’aujourd’hui je vois la situation avec plus de clairvoyance, telle qu’elle est réellement. D’abord parce que je suis allée chez le coiffeur, il y a deux jours, ce qui veut dire que je suis bien coiffée (il faut au moins ce délai !) et que, me regardant dans la glace, avec l’idée que ces horribles journées devaient m’avoir vieillie de 10 ans, je retrouve mon visage à peu près le même [...] ».

Solange Dandillot, comme des odeurs de petite fille et de caoutchouc mêlés

Rencontrée par hasard, Solange séduit Pierre par sa jeunesse, sa beauté (des « yeux bleuâtres sous des cheveux noirs ») et son sillage parfumé (« Elle croisa Costals et il huma l’odeur de son sillage, comme font les chiens au nez palpitant »). « Sa peau était tellement tendue qu’on aurait dit du marbre, et mate, mais son nez luisait un peu, comme les marbres sont polis à l’endroit où on les a baisés beaucoup. » Pour le reste, une intelligence et une culture très en dessous de la moyenne. Le fait de ne pas avoir fait d’étude constitue pourtant plutôt un avantage aux yeux de Pierre « Une petite qui aurait obtenu quelque diplôme, eût-elle par la suite oublié tout ce qu’elle a appris, il me semble qu’il resterait toujours en elle, comme dans un vase charmant qui contint un jour un liquide nauséabond, la mauvaise odeur de la demi-science qu’elle a ingurgitée. » Une baignoire réservée à l’opéra en guise d’approche... point de baiser échangé. « Bref, la douche dans la baignoire ». Et puis il y a un concert dans une atmosphère surchauffée et « l’odeur d’aisselles des femmes violonistes »... Horreur ! Solange, heureusement, sera, cette fois-ci, moins farouche. Des cheveux à « odeur de petite fille », un corps qui sent « l’odeur de caoutchouc de » la ceinture qui lui fait une taille de guêpe, Solange mêle qualités et défauts olfactifs, tout comme qualités et défauts esthétiques. En observant le « menton un peu lourd » et la peau grasse (« Vous avez le nez brillant, lui dit-il, poudrez-le. ») de la jeune fille, à peine conquise, Pierre commence, déjà, à argumenter, en pensée, en faveur d’une rupture.

Pierre Costals, comme un besoin de bonnes rencontres... cosmétiques

Pierre Costals est un trentenaire séduisant (on imagine du moins), qui se définit comme « une vieille marmite à penser », et traîne derrière lui une myriade d’admiratrices, plus ou moins déchaînées. Multipliant les conquêtes (de préférence des jeunes filles ne dépassant guère 20 ans), il désespère de trouver la perle rare, la femme alliant beauté, intelligence et culture. Pour l’instant, Pierre classe les jeunes filles en deux catégories : les laides (souvent intelligentes) et les jolies (systématiquement stupides). La bonne rencontre... voilà ce qui peut remplir une vie. « Il y a le livre qui, à certaine heure, vous eût tonifié, et qu’on ignorait. Il y a le site qui eût encadré votre amour, le médicament qui vous eût sauvé, la combinaison qui vous eût fait gagner du temps »... et pourquoi pas aussi le cosmétique qui vous eût rendu beau et permis de prendre de l’assurance ? Pour l’instant, la bonne rencontre féminine n’a pas été faite !

Pierre Costals, comme un menteur invétéré hyperosmique

Pierre est surpris du départ d’Andrée. Il lui a, pourtant, refuser sa porte, hier. Mais aujourd’hui n’est pas hier. Aujourd’hui est le temps d’un courrier qui se veut humble. Pierre n’a pas ouvert sa porte à Andrée par respect humain... il n’était pas rasé ! C’est l’occasion pour notre homme de se pencher sur son passé et d’évoquer un souvenir d’enfance. A 14 ans, un matin, Pierre se voit refuser l’entrée de la chambre maternelle. « [...] sa poudre de riz était épuisée, et elle ne voulait pas me recevoir sans être poudrée. » Ce n’est que bien plus tard que Pierre saura la raison de cet acte (une porte de chambre fermée), jugé alors mystérieux et incompréhensible. Soyons clair, tout de même, Pierre ne désire pas Andrée. Correspondre, pourquoi pas ? Mais rien de plus. « Boire cette coupe jusqu’au lit, non, jamais ! »

Philippe Costals, comme un enfant rieur qui embaume

Philippe Costals, le fils de Pierre, vit alternativement à Cannes et à Marseille. Cet enfant, cadeau d’une femme mariée, appartient à son père 10 jours par mois. Le visage hâlé - on le surnomme « Brunet » - Philippe est un garçon enjoué, aux dents « menues et régulières comme les incisives des chats », qui vide ses poches sur le plancher de sa chambre. De la monnaie, un peigne, « un tube de parfum vide »... tout un petit bazar plus ou moins organisé.

Les jeunes filles, en bref

Histoire d’une correspondance mouvementée. Pierre se met « la cervelle à l’alambic » pour « refuser » Andrée et quelques autres, sans les meurtrir. C’est du moins ce qu’il pense. Dans la réalité, le monsieur semble moins délicat. Mais que voulez-vous, rien n’y fait. Même odieux, Pierre fait des ravages dans le cœur des demoiselles. Hyperosmique, il reçoit, en pleines narines, toutes les fragrances, sans distinction, des plus suaves, aux plus irritantes. « Qu’est-ce que le bonheur pour une femme ? » interroge Henry de Montherlant. « Vivre pour elle c’est sentir », sentir des parfums de prix, sentir une main amie, sentir qu’elle est aimée, admirée. Pour Pierre, vivre c’est écrire, bien sûr ; c’est aussi, entraîner ses conquêtes dans une chambre désignée sous le nom de « tombeau de la femme inconnue » ! Un vrai chasseur de têtes, de têtes féminines aux chevelures parfumées et à la peau aussi blanche et aussi douce que le marbre.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographique

1 Montherlant H., Les jeunes filles, in Romans de Henry de Montherlant, Club des libraires de France, 1943, 672 pages

Retour aux regards