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Black coffee, histoire d’un café empoisonné et de lèvres passées au Rouge Baiser !

> 27 mars 2021

Black coffee, histoire d’un café empoisonné et de lèvres passées au Rouge Baiser !

Dans le roman Black coffee d’Agatha Christie,1 tout commence par un délicieux petit-déjeuner (brioche et chocolat chaud) dans le luxueux appartement d’Hercule Poirot, au mois de mai 1934. Un message téléphonique a été laissé à Georges, le fidèle valet de chambre. M. Hercule Poirot est mandé auprès de Sir Claud Amory, à Market Cleve, une localité voisine de Londres. A Abbot’s Cleve, Sir Claud Amory, un chercheur atomiste de 55 ans, aux « cheveux grisonnants » et aux « yeux perçants d’un bleu froid », qui consacre sa vie à la recherche, vit entouré de sa famille. Un fils, Richard (l’Anglais-type aux « cheveux blond roux »), une belle-fille Lucia (charmante jeune femme de 35 ans, à la « luxuriante chevelure brune »), une nièce, Barbara (jolie blonde de 21 ans), une sœur, Caroline, un fidèle secrétaire Raynor, un valet de chambre stylé, Tredwell. Voilà l’entourage immédiat du chercheur, un tantinet tyrannique. Ajoutons le Dr Carelli, un médecin italien qui se dit l’ami de Lucia et semble pourtant bien être plutôt un maître-chanteur. Tout ce beau monde est réuni au salon, lorsque le drame survient. Sir Claud, qui a fait appel à Hercule Poirot, au sujet de la disparition d’une formule ultra-secrète, tombe raide mort, après avoir bu sa tasse de café... une tasse de café, qui contient une forte dose de bromhydrate de scopolamine, comme on l’apprendra plus tard. Hercule Poirot étant déjà sur place avec son fidèle Hastings... il ne lui reste plus qu’à traquer l’assassin qui a eu l’outrecuidance de prendre le célèbre détective de vitesse.

Hercule Poirot, un détective aux moustaches luxuriantes

Hercule Poirot affiche la « soixantaine bien sonnée » et des cheveux « d’un noir qui ne peuvent manquer d’éveiller la suspicion ». Son amour du chocolat chaud en particulier et de la bonne chair en général lui ont laissé une « plaisante » « bedaine », portée avec une certaine décontraction. Sa tête, en forme d’œuf (« œuf à la coque ») et des « moustaches superlatives qui se relèvent dans un élan de pétulance contrôlée » sont célèbres dans le monde entier ! Ces moustaches « luxuriantes » font l’objet d’un soin attentif par leur propriétaire. « Artistement cosmétiquée » avec une cire fixatrice, ces moustaches possèdent une « rigidité impressionnante ». Elles sont tortillées à propos dès qu’Hercule se met à réfléchir.

Les goûts d’Hercule Poirot en matière de bronzage relèvent du siècle passé. « Guère partisan de tout hâle excessif », Hercule ne fait que passer au soleil... Il s’y chauffe à ses rayons quelques minutes, puis rentre bien vite se mettre à l’abri. Son teint en reste forcément des plus clairs.

Caroline Amory, une vieille dame peu encline aux cosmétiques

Lorsque Lucia se trouve mal, la tante Caroline parle d’aller chercher de « merveilleux sels, exquisément roses dans le plus charmant des flacons ». Les sels en question ne sont, bien sûr, pas des sels de bain, mais du sel d’ammoniaque, capable de réveiller des morts. Dans la salle de bain de Caroline, pas de profusion de cosmétiques. Juste le minimum vital.

Barbara Amory, une jeune femme délurée, aux rouges à lèvres « Rouge baiser »

Barbara est une jeune femme délurée qui aime les cosmétiques, les boissons fortes et les séances de bronzage au soleil (rien de mieux que de se « dorer » au soleil). La maison de Sir Claud est bien sinistre à ses yeux. On n’y trouve aucun cocktail. Personne n’est capable d’y confectionner sa boisson préférée, un « Moustaches de Satan », composé de « deux doigts de brandy », de deux doigts « de crème de menthe » et d’une « tombée de piment ». Pour passer le temps, Barbara joue de la houppette et du bâton de rouge à lèvres, au grand dam de sa tante Caroline, peu habituée à de telles manières. Barbara s’applique son rouge à lèvres, « avec vigueur ». Caroline n’aime guère cela. « J’apprécierais que tu n’étales pas autant de ce produit écarlate sur tes lèvres. C’est tellement voyant, cette couleur. » Le rouge à lèvres en question est le célèbre rouge à lèvres Rouge Baiser, un rouge à lèvres coûteux (7 shillings et 6 pence l’unité), considéré, par Caroline, comme un véritable gaspillage. Barbara n’est pas de cet avis. Ce rouge à lèvres à la mode est extrêmement précieux, car il s’agit de l’un des premiers intransférables capable de résister au baiser. « Il ne bave pas, il ne dégouline pas, il ne déteint pas sur la joue du voisin. » Entre la tante et la nièce... un océan cosmétique. Pour Caroline, un peu de « lanoline » sur les lèvres pour éviter les gerçures dues au vent ou au froid et c’est tout ! Pas besoin d’en faire plus. Pour Barbara, au contraire, le maquillage des lèvres est une véritable nécessité. La séduction, à ses yeux, passe par les lèvres. « Une fille ne met jamais trop de rouge à lèvres. Pour la bonne raison qu’elle ne sait pas quelle quantité elle va en perdre dans le taxi qui la ramène chez elle. » La bonne et prude Caroline ne comprend rien à cette notion, pourquoi et comment irait-on perdre du rouge à lèvres en taxi ?

Et une boîte à pharmacie bien remplie

Au moment du café, une boîte à pharmacie bien remplie passe de main en main. On y trouve des produits anodins (teinture d’iode, baume du benjoin, huile de ricin), des produits mystérieux (une préparation énigmatique « teint. Card. Co ») et des produits dangereux (atropine, morphine, strychnine, scopolamine).

Black coffee, en bref

Si le chocolat d’Hercule Poirot est sucré à souhait, celui de Sir Claud est scopolaminé à l’excès. Un chercheur atomiste qui s’est fait voler une formule d’explosif ultra-puissant, une fille d’espionne à la solde de l’étranger, un maître chanteur qui passait par là, comme par hasard... tous les éléments sont réunis pour permettre au lecteur de passer une bonne soirée et à Hercule Poirot de tortiller ses moustaches, autant que possible. En matière de rouge à lèvres, les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Pour Agatha Christie, pas de doute, le meilleur rouge à lèvres du monde se nomme « Rouge baiser » !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cet hymne au rouge à lèvres Rouge baiser !

Bibliographie

1 Christie A. Black coffee, France Loisirs, 1999, 221 pages

 

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