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Bel-Ami, et un, et deux, et trois, et quatre, et cinq !

> 02 mai 2021

Bel-Ami, et un, et deux, et trois, et quatre, et cinq !

Bel-Ami... ce nom lui va très bien, si l’on s’arrête à Bel (car effectivement Georges Duroy est beau, d’une beauté élégante, d’une beauté qui fait tourner les têtes et qui vous sert d’ascenseur social plus sûrement que toutes les amitiés masculines cumulées entre elles) ; ce nom lui va très mal, si l’on continue avec Ami (car franchement on trouve mieux en matière d’amitié, un amant qui cocufie sans état d’âme son copain de régiment, son patron, qui prend, qui jette, qui use et abuse de son physique avantageux).1 Georges Duroy est franchement un homme à femmes, un homme qui ne résiste pas au parfum palpitant d’une inconnue croisée dans la rue. Une « senteur de verveine et d’iris envolée dans l’air » lui colle des ailes dans le dos ! Et ces ailes-là vont le faire monter… très haut !

Bel-Ami, un physique avantageux

Georges Duroy, surnommé Bel-Ami par Laurine, la fille de Mme de Marelle, est « bien fait » ; grand, blond, « d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre ». Arrivé à Paris sans un sou vaillant, Georges va devoir sa fortune à un copain de régiment (6e Hussards) croisé dans la rue. Charles Forestier est un journaliste connu, qui mène joyeuse vie, entre une épouse pleine de séduction et un métier qui le comble parfaitement. Pour Georges, qui végète dans un garni de troisième zone (les murs tachés de sa chambre « bêtes écrasées ou gouttes d’huile, bouts de doigts graissés de pommade ou écume de la cuvette projetée pendant les lavages » racontent l’histoire des destins qui se sont succédés en ce triste lieu), cette rencontre est tout bonnement providentielle. Un simple déclic et voilà Georges sur les rails pour une belle carrière qui le mènera sûrement aux portes du pouvoir. Avant d’en arriver là, un changement de domicile s’impose... « Il habitait maintenant rue de Constantinople, où il avait transporté sa malle, sa brosse, son rasoir et son savon, ce qui constituait son déménagement. »

Rachel des Folies-Bergères, première conquête parisienne

Pour fêter leur rencontre, un petit tour aux Folies-Bergères, dans une ambiance grisante surchauffée, s’impose. Georges y croise « trois marchandes de boissons et d’amour », « fardées et défraîchies », ainsi qu’un bel échantillonnage d’humanité, allant de la bourgeoise à la femme du peuple, en passant par la prostituée. L’air véhicule des parfums mêlés, « odeur d’humanité » et « parfums de drôlesses ». « Une grosse brune à la chair blanchie par la pâte, à l’œil noir, allongé, souligné par le crayon, encadré sous des sourcils énormes et factices », « les lèvres peintes, rouge comme une plaie », s’offre au premier venu... Georges en l’occurrence. Peut mieux faire !

Mme Clotilde de Marelle, deuxième conquête parisienne

Lors d’un premier dîner décisif chez les Forestier, Georges brille par son esprit ; M. Walter, le patron de Charles, décide de lui mettre le pied à l’étrier et lui commande une série d’articles sur la vie d’un soldat en Algérie. Georges marque des points... et ce tant au niveau professionnel qu’au niveau sentimental (ce qui pour lui est redondant tant ses amours sont professionnelles). Mme de Marelle, une jolie jeune femme, est, en effet, tombée sous le charme. Et hop, une garçonnière plus tard (c’est Clotilde qui paye le loyer, évidemment), on retrouve Georges et Clotilde partageant le même lit. Clotilde s’affaire, apporte « un savon, une bouteille d’eau de Lubin, une éponge, une boîte d’épingles à cheveux, un tire-bouchon et un petit fer à friser pour rajuster les mèches de son front », joue à la parfaite épouse et permet à son amant de s’insérer aisément dans le beau monde.

Mme Madeleine Forestier, troisième conquête

Malheureusement, le pauvre Georges, en verve lors d’un dîner mondain, sèche lamentablement devant la feuille blanche, qui le reste désespérément. Pas de souci, déclare le bon ami Charles, dont la femme Madeleine possède une plume acérée. En deux temps trois mouvements, la séduisante jeune femme, qui reçoit en peignoir, d’où s’exhale « un parfum léger », « le parfum frais de la toilette récente », a composé un article pétillant, qui a bien des chances de remporter un franc succès auprès du lecteur. Cette « blonde d’un blond tendre et chaud, faite pour les caresses » est, toutefois, pleine de réserve, n’offrant à Georges, dans un premier temps, qu’une honnête proposition d’amitié... Madeleine va donner un peu de fil à retordre à Bel-Ami ! Un Bel-Ami, plein de dévouement, qui accourt au chevet de Charles, qui a choisi de mourir sous le soleil cannois. Quelle barbe d’attendre l’issue fatale. L’épouse éplorée a demandé l’aide de Bel-Ami, pour accompagner son ami mourant. Un ami, qui se fait raser chaque matin par un barbier à domicile, un ami qui rase tout le monde, avec son entêtement à vivre. Enfin, la veillée funèbre est arrivée. « Alors, ayant regardé le cadavre, Duroy tressaillit et s’écria : « Oh ! Sa barbe ! Elle avait poussé cette barbe, en quelques heures, sur cette chair qui se décomposait, comme elle poussait en quelques jours sur la face d’un vivant. » L’occasion, n’est pas forcément bien choisie… tant pis, Georges se déclare à la toute jeune veuve ; après un temps de deuil raisonnable, le mariage est conclu. Georges, le fils de cabaretier rouennais, convole ainsi en justes noces avec une belle parisienne, habituée des hautes sphères. La belle Madeleine ne séduira pourtant pas sa belle-mère, qui voit en elle « une traînée », « avec ses falbalas et son musc. Car tous les parfums pour la vieille étaient du musc. »

Madeleine, que l’on croyait fidèle à ses maris, va faire un faux-pas décisif avec le ministre Laroche-Mathieu (« Une très petite moustache roulée redressait sur sa lèvre deux pointes pareilles à des queues de scorpions, et ses cheveux huilés de brillantine, séparés au milieu du front, arrondissaient sur ses tempes deux bandeaux de bellâtre provincial. »). Georges, prompt à se saisir de toute opportunité favorable, va faire d’une pierre deux coups en obtenant le divorce, d’une part et en fusillant la carrière de celui qui lui a livré, sur un plateau, une légion d’honneur, d’autre part.

Mme Virginie Walter, quatrième conquête

La femme du patron de journal, Mme Walter peut être qualifiée de beauté épanouie (ou « un peu trop grasse »). Cette bourgeoise, qui arrive « à l’âge dangereux où le déclin est proche », est encore au sommet de sa gloire. Ravissante en soirée, les cheveux délicatement poudrés, Virginie est encore pleine de charme. Cette femme qui doit tout aux cosmétiques (« Elle se maintenait à force de soins, de précautions, d’hygiène et de pâtes pour la peau ») est, jusqu’à ce qu’elle croise le regard ardent de Bel-Ami, une bonne épouse, une bonne mère de famille et une bonne chrétienne. Un simple coup d’œil et toute une vie de raison fond au soleil de l’amour-passion. Ni la religion, ni la raison ne permettront à Virginie d’éviter de sombrer ! Maupassant en profite, au passage, pour présenter la religion de certaines femmes, comme un en-tout-cas, laissé au vestiaire lorsqu’elle devient par trop encombrante. « S’il fait beau, c’est une canne, s’il fait soleil, c’est une ombrelle, s’il pleut, c’est un parapluie, et, si on ne sort pas, on le laisse dans l’antichambre. » Virginie, conquise, sera bien vite délaissée... La fétichiste, qui accroche des boucles de ses cheveux, aux boutons de gilet de son amant, n’arrivera pas à retenir celui qui s’est servie d’elle pour accroître sa fortune. (« Et il emporterait quelque chose d’elle, sans le savoir, il emporterait une petite mèche de sa chevelure, dont il n’avait jamais demandé. »)

Melle Suzanne Walter, cinquième conquête

Suzanne, la fille du patron, est une poupée de luxe, à la « chair trop blanche, trop lisse, polie, unie, sans grain, sans teinte ». Il doit en falloir des cosmétiques pour atteindre une perfection, qui flirte presque avec le mauvais-goût. Sans aspérité, cette enfant n’accroche aucun regard, si ce n’est celui d’un Bel-Ami qui cherche encore et toujours à monter plus haut ! Une fois divorcé de l’encombrante Madeleine, Georges se concentre sur sa nouvelle proie, l’innocente Suzanne. Un enlèvement... et voici papa Walter aux pieds du mur. Un mariage est désormais inéluctable.

et puis

Dans ce roman, on croise également de pauvres gens, qui attendent la gloire, dans la salle d’attente d’un patron de journal. Une vieille femme, ridée, à la « fausse jeunesse éventée, comme un parfum d’amour ranci », attire tout spécialement l’attention et fait frémir son entourage.

Et un poète qui ne vit que dans la hantise de la mort ; Norbert de Varenne voit la mort rôder autour de lui et sent que les cercles concentriques se rapprochent de plus en plus ! La mort lui a pris sa « peau ferme », ses « dents », son « corps de jadis »...

Et un chroniqueur, Jacques Rival, qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour plaire aux dames. Un assaut d’armes, organisé dans sa cave, constitue ainsi l’évènement mondain de l’année. Les belles dames, qui y accourent, sont accueillies par une « odeur de souterrain », mêlée de « souffles de benjoin qui rappelaient les offices sacrés, et des émanations féminines de Lubin, de verveine, d’iris, de violette. » Il fait bien chaud chez Jacques Rival, cet été là.

Bel-Ami, en bref

Le Bel-Ami de Laurine de Marelle n’est pas l’ami que l’on souhaite, même à son pire ennemi. Passant d’une femme à une autre pour les besoins de sa carrière, Bel-Ami écrase tout sur son passage, tel un rouleau compresseur. Il ira loin, a senti M. Walter, qui a parfaitement cerné la personnalité de son futur gendre. Quant à Mme de Marelle, elle restera l’amante de cœur... une pression soutenue au niveau de la main, lors des félicitations adressées aux jeunes époux, a scellé des réconciliations pour toujours !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce Bel-Ami, parfumé et cosmétiqué à souhait !

Bibliographie

1 Maupassant G., Bel-Ami, Librio, 2019, 379 pages

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