Nos regards
Avec les jeunes filles en fleurs, en plein cagnard !

> 21 juin 2020

Avec les jeunes filles en fleurs, en plein cagnard !

Il y a ceux qui aiment les plages normandes, les ciels pommelés, les petites pluies fines qui durent des heures derrière les vitres du Grand Hôtel de Balbec, ceux-là on connaît leurs noms ce sont des auteurs du genre de Marcel Proust... des oiseaux de nuit qui craignent le soleil et se tiennent prudemment à l’abri sous une tonnelle, en compagnie de jeunes filles en fleurs. Le teint de ces jeunes filles est comparable au « géranium au bord de la mer ensoleillée », au « camélia dans la nuit » ou au « rose violacé du cyclamen. »1

Il y a ceux qui ne sont bien que sous les « grands tourbillons de soleil », qui se laissent dévorer par celui-ci sur les plages d’Algérie. La lumière « éclatante », suffocante, est faite pour ces peaux-là. Les flots de soleil rebondissent sur leur épiderme et viennent éclabousser leur cahier d’écolier. Ceux-là, on connaît leurs noms aussi, ce sont des auteurs du genre d’Albert Camus... des mouettes, pas toujours rieuses, qui s’exposent aux rayons solaires avec délectation et se mêlent à la « jeunesse dorée » qui passe de longues heures étalée sur le sable. « Chaque année, sur ces rivages, c’est une nouvelle moisson de filles fleurs ». « Les petites filles aux corps durs comme des bourgeons » se métamorphosent l’été venu et déploient leurs « corolles chaleureuses », à l’intention des botanistes en herbe. Les « étoffes bariolées » qui servent de maillots de bain sont plus étroites d’année en année ; elles forment une « vague multicolore » qui s’abat à heure fixe sur des plages où fleurissent, de loin en loin, des asphodèles blancs.

Dans son essai intitulé L’été, Albert Camus partage avec son lecteur quelques « attendrissements » sur le pays lumineux qu’il aime, l’Algérie.2 Un pays, qu’il aime en bloc... tout comme on doit le faire d’une femme très aimée (« Est-ce qu’on fait la nomenclature des charmes d’une femme très aimée ? Non, on l’aime en bloc [...] ».

Les cireurs de chaussures oranais ont des allures de coiffeurs. Ces « hommes amoureux de leur métier » manient brosses, chiffons, cirage et essence avec une belle énergie. Même quand c’est fini, ça continue. Le cuir est luisant... non pas assez. Encore un peu d’huile de coude ! Boulevard Gallieni, le client, juché sur un grand fauteuil, observe le jeu des cireurs qui arrivent à tirer des cuirs les plus fatigués leur « définitif éclat ». A croire, qu’il s’agit d’un épiderme vivant et non d’un cuir inerte qui se laisse caresser par la crème nourrissante. On se croirait dans un institut de beauté... pour chaussures.

La jeunesse Oranaise qui parade le soir dans les rues arbore une beauté factice. Les garçons se « travestissent » en stars américaines type Clarke Gable. La « chevelure ondulée et gominée » reste parfaitement figée sous la brise nocturne. Les filles trop fardées paraissent tout autant déguisées.

Les boxeurs font ce qu’ils peuvent sur des rings de fortune. La salle est saturée de sueur... « L’odeur d’une humanité en manches de chemise exaltante » l’emporte sur toute autre.

Dans cet essai, le soleil tape fort sur la caboche de l’écrivain ; il est tout simplement « assourdissant », en plein midi. On en vient à voir passer un troupeau de cerfs sur les flots !

L’écrivain n’est pas tel qu’il se décrit dans ses œuvres, nous dit Albert Camus. Il se protège en s’enveloppant dans une coquille qui convient plus ou moins à son lectorat. « [...] le Français moyen, dont on connaît la sobriété saharienne et l’ombrageuse propreté, s’indigne à l’idée qu’un de nos écrivains enseigne qu’il faut s’enivrer et ne point se laver. »

L’écrivain n’est peut-être pas tel qu’il se décrit dans ses œuvres, mais il y a fort à parier tout de même que le soleil et Camus ont été bons amis pendant de longues années... Il faisait bon, semble-t-il, à l’ombre des jeunes filles en fleurs à Tipasa ou à Oran, dans la fournaise de l’été algérien.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, d'avoir réuni d'une manière si improbable Proust et Camus !

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/flaneries-dominicales-et-cosmetiques-a-l-ombre-des-jeunes-filles-en-fleurs-145/

2 Camus A. L’été in Noces suivi de L’été, Gallimard, 2017, 183 pages

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