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Avec Jean-Jacques le bonheur - mais pas le cosmétique - est dans le pré !

> 23 juin 2019

Avec Jean-Jacques le bonheur - mais pas le cosmétique - est dans le pré !

Avec Les rêveries du promeneur solitaire,1 Jean-Jacques Rousseau ne nous propose ni un guide de randonnées - pourtant en lieu et place des chapitres, il nous parle de promenades (10 au total) - ni un journal intime où il se mettrait à nu (il a décidé de se peindre de « profil »). Jean-Jacques a fait le choix de nous surprendre et de dévoiler son mode de fonctionnement, « à rebours des autres hommes ».

Jean-Jacques veut se concentrer sur lui-même, afin de trouver la paix en s’isolant d’un monde par trop cruel. « Je consacre mes derniers jours à m’étudier moi-même et à préparer d’avance le compte que je ne tarderai pas à rendre de moi. » Contrairement à Montaigne, les feuillets qu’il noircit ne sont pas destinés à être publiés... Ah bon !

Jean-Jacques a fixé l’âge du bonheur à 40 ans. Jusqu’à cette date anniversaire, il s’autorise à tâtonner, à rechercher les honneurs, à tenter de séduire ses contemporains. Passé cette date, il y a urgence à trouver le vrai sens à sa vie.  Il est temps d’entrer dans une phase de « renoncement au monde ». A 40 ans, « je quittai le monde et ses pompes, je renonçai à toute parure, plus d’épée, plus de montre, plus de bas blancs, de dorure, de coiffure, une perruque toute simple, un bon gros habit de drap, et mieux que tout cela, je déracinai de mon coeur les cupidités et les convoitises qui donnent du prix à tout ce que je quittais. »

Ses promenades sont des promenades champêtres qui lui permettent de s’adonner à sa passion, la botanique. Sur l’île de Saint-Pierre en Suisse, il découvre des « amusements doux et simples ». Il emplissait alors sa chambre de « fleurs et de foin ». Tel cet Allemand qui se consacra tout entier à la rédaction d’un ouvrage sur « un zeste de citron », Jean-Jacques Rousseau décide d’apprendre à connaître chaque brin d’herbe. « Je ne voulais pas laisser un poil d’herbe, pas un atome végétal qui ne fût amplement décrit. » A 65 ans passés, Jean-Jacques Rousseau est repris par sa passion de l’herborisation. En folâtrant dans la nature, il espère trouver la paix. Ne lui parlez pas du monde minéral ; il l’abhorre (« Le règne minéral n’a rien en soi d’aimable et d’attrayant. »). « Rien n’est si triste que l’aspect d’une campagne nue et pelée qui n’étale aux yeux que des pierres, du limon et des sables. » Mettez-le, en revanche, au beau milieu d’un pré rempli de fleurs... il revit : « Les odeurs suaves, les vives couleurs, les plus élégantes formes » se fixent dans sa mémoire et y constituent un kaléidoscope toujours changeant.

Jean-Jacques Rousseau aime la nature pour sa beauté et non pour ce qu’elle peut procurer. La seule évocation de Dioscoride lui fait pousser les hauts cris. Une vision de la nature au travers des lunettes du médecin, du pharmacien ou du cosmétologue est la pire des choses. Celui qui a le malheur de relier chaque plante à une activité thérapeutique ou cosmétique ne se fera pas l’ami du philosophe. Quel plaisir y-a-t-il, en effet, à observer des « herbes pour guérir la rogne des enfants, la gale des hommes ou la morve des chevaux. » Comment peut-on se balader paisiblement au milieu des végétaux qui traitent « la fièvre, la pierre, la goutte ou le mal caduc. » Le pharmacien, qui n’a qu’une idée en tête « piler tout cela dans un mortier », semble être le pire des coquins. Ennemi de la poésie, il verra dans les herbes les plus gracieuses un moyen de réaliser une préparation pour lavement. Jean-Jacques préfère de loin le poète qui se plaît à réaliser des guirlande de fleurs qui serviront à parer le cou des jolies bergères ; il se demande malicieusement comment l’on peut encore être malade avec autant de remèdes sur tiges autour de soi et entre dans une sainte colère dès qu’un tiers voit dans la nature son « intérêt matériel ». La source du bonheur réside dans la contemplation de la nature qui s’offre gratuitement.

Jean-Jacques Rousseau voit dans la nature une amie qui ne nous veut que du bien. Alors qu’il herborise du côté de Grenoble avec un avocat du nom de Bovier, il se met ainsi à goûter aux fruits très tentants d’un arbrisseau à sa portée. Ces baies étant réputées toxiques, le sieur Bovier se garde bien de l’imiter et ne pipe mot. C’est un troisième compère, croisé fortuitement, qui vend la mèche. Pas troublé pour si peu, Jean-Jacques reste serein. « J’étais persuadé, comme je le suis encore, que toute production naturelle agréable au goût ne peut être nuisible au corps ou ne l’est du moins que par excès. » Jean-Jacques à l’appui de sa théorie se succomba pas à la consommation des fruits empoisonnés ! Ce concept très moderne d’une nature pleine de générosité et totalement inoffensive n’est absolument pas à rebours de la pensée d’un grand nombre de nos contemporains !

Jean-Jacques Rousseau s’attaque enfin à la notion d’estime de soi et d’amour-propre.2 « L’estime de soi-même est le plus grand mobile des âmes fières, l’amour-propre, fertile en illusions, se déguise et se fait prendre pour cette estime, mais quand la fraude enfin se découvre et que l’amour-propre ne peut plus se cacher, dès lors qu’il n’est plus à craindre et quoiqu’on l’étouffe avec peine on le subjugue au moins aisément. » En toute modestie, Jean-Jacques ajoute, qu’il n’a que fort peu d’amour-propre.

En résumé et si l’on suit bien la pensée du célèbre philosophe, on s’abstiendra de puiser dans la nature des ingrédients cosmétiques. On laissera les herbes, les fleurs, les fruits dans la nature. On ne fera point commerce de ses richesses, mais l’on profitera, longtemps, de ses bienfaits par le biais de promenades philosophiques visant à comprendre le monde végétal sans jamais chercher à l’exploiter ! Notre bon Jean-Jacques se garderait bien à l’heure actuelle de surexploiter la nature et partirait sûrement en guerre contre tous ces produits bio, naturels ou vegan qui ne présentent que leur profil pour séduire les consommateurs !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette ballade en image qui invite à rêverie et à l'herborisation...

Bibliographie

1 Rousseau J.-J. Les rêveries du promeneur solitaire, Gallimard, 1965, 255 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-estime-de-soi-selon-rousseau-926/

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