> 04 septembre 2022
Amélie Nothomb, avec son nouveau roman intitulé Le livre des sœurs,1 fait parler d’elle en cette fin d’été. « Cet automne, Amélie Nothomb, c’est François Mauriac 2.0 », pour Le Figaro du 25 août ! Bien trouvé… On sait, en effet, à quel point, François Mauriac, depuis sa demeure éternelle, est susceptible de dialoguer avec de jeunes auteurs. Ce fut le cas, au tout début des années 90, lorsque François susurra à l’oreille d’Amélie : « Amélie, si j’étais toi, je m’intéresserais à l’hygiène de l’assassin. Je te dis ça en passant… Comme le conseil d’un grand-père à sa petite fille ! » Visiblement le message était bien passé puisqu’Amélie publiait, en 1992, Hygiène de l’assassin, un roman magistral où un certain Prétextat nous livrait, avec un luxe de détails, toute sa routine cosmétique habituelle.2
Cinquante-sept ans auparavant, bon-papa François avait lui aussi exploré l’hygiène de l’assassin. Après une mise en bouche intitulée Thérèse Desqueyroux (1927),3 l’écrivain remettait le couvert, transportant son héroïne à Paris, dans un roman intitulé La fin de la nuit.4 Voulant mettre un point final à l’existence de sa « chose », François Mauriac nous confiait alors encore plus de détails concernant la psychologie de cette drôle de dame.
Désormais, Thérèse vit à Paris, dans un petit appartement, avec pour seule compagne une petite bonne, prénommée Anna. Une bonne aux « cheveux gras » et aux « ongles mal coupés et trop longs » !
« Quand elle était jeune, elle se cherchait dans les livres et soulignait au crayon certains passages. » Et puis, il est bon de se rappeler que c’est, dans sa bibliothèque, que Thérèse cachait le poison destiné à son époux. Thérèse, la tête dans les livres, n’est pas « dans la vérité de la vie », selon l’expression de Bernard Desqueyroux.
Thérèse a maintenant 45 ans et « perd ses cheveux comme un homme ». Son front est « dévasté », comme celui d’un « vieil homme ». Le front, ainsi dégagé, est celui d’un « penseur » ! C’est grâce à un chapeau que Thérèse arrive, tout de même, à dissimuler habilement cette calvitie androgyne.
Il y a 15 ans, Thérèse a bénéficié d’un « non-lieu », dans la tentative d’assassinat de son mari, Bernard. Durant ces quinze années, Thérèse s’est astreinte à une certaine hygiène de vie, ménageant son cœur malade autant que possible. « Dans ses plus grands désordres, durant ces 15 années, elle avait suivi une certaine hygiène ; elle avait toujours ménagé son cœur malade. » Thérèse a peur de la mort et s’impose une hygiène de vie relative (pas de tabac… mais en revanche quelques coupes de champagne), afin de ménager ses artères.
La fille de Thérèse, Marie, a vécu loin de sa mère durant toutes ces années. Et puis, un beau soir d’octobre, elle débarque, sans crier gare. La fillette est désormais une « femme éclatante » de 17 ans, qui connaît à fond les techniques de maquillage. « Comme le fard t’arrange, mon enfant… » : voilà la phrase d’accueil de Thérèse à celle qu’elle a abandonnée depuis longtemps. Marie répond du tac au tac : « Vous trouvez ? Ce n’est pas l’avis de la famille… ».
Fuyant Argelouse, Marie vient trouver asile auprès de sa mère. Un œuf à la coque arrosé de champagne (il y a toujours une bouteille dans la glacière) et voilà Marie prête aux confidences… Comme Thérèse, Marie ne supporte plus l’atmosphère de la maison familiale et ce d’autant plus que son père et sa grand-mère s’opposent à son mariage avec Georges Filhot, un jeune homme dont les parents sont marchands de biens, un jeune homme jugé indigne ! Voilà donc la raison de sa venue. Marie, qui ignore tout de l’acte fatal réalisé par sa mère, met tous ses espoirs en elle… Sûrement, Thérèse se rangera de son côté !
Ah ben oui… c’était trop beau. La venue de Marie n’est pas gratuite. Marie vient chercher de l’aide… Et Thérèse de se fâcher avec Marie. Une nuit par là-dessus et Marie, sans maquillage, perd « son aspect éclatant » ! Son « teint brouillé » montre à quel point les cosmétiques sont importants dans la vie de la jeune fille.
La nuit a porté conseil. Thérèse est désormais décidée à laisser à Marie toutes ses propriétés (« tout ce que j’ai du côté Larroque »).
Bien décidée à rencontrer Georges, afin de conclure le mariage de sa fille, Thérèse se refait une beauté. « Elle avait à peine rougi ses lèvres et ses joues ; mais c’était une autre femme, tout à coup, - comme si cette démarche qu’elle allait tenter lui eût restitué l’instinct social. » Retrouvant « tous les gestes oubliés », tous les gestes de séduction utilisés généralement par les femmes, Thérèse s’apprête à mener le combat de l’amour avec les armes cosmétiques de son choix. Un peu de fard à joues, une touche de rouge à lèvres !
Georges Filhot est un grand jeune homme de 22 ans, aux « cheveux noirs ». Un léger strabisme lui donne un charme particulier…. Très particulier même, vous diront les personnes objectives, qui le décrivent plutôt comme un garçon « mal rasé, l’œil bigle, le chandail douteux » !
C’est dans une chambre d’hôtel, à Montparnasse, que Thérèse découvre Georges. L’hôtel de 3e zone possède une haleine fétide. « Les odeurs de sauce, du rez-de-chaussée », cédaient, d’étage en étage, aux relents d’eau de toilette et d’égout. » Dans la chambre vétuste et mal tenue (« […] la chambre sentait le vieux vêtement, le tabac, le savon »), Georges est là, qui s’excuse de ne pas s’être rasé (il passe son temps à s’excuser de cela, le pauvre garçon). Georges tergiverse. Il est trop jeune pour se marier… Et de son côté, Thérèse, venue initialement pour plaider la cause de sa fille, se met à plaider la sienne. Etudiant ses gestes, sa voix, Thérèse ne laisse rien au hasard pour arriver à ses fins… séduire le jeune homme ! Et une invitation à dîner est lancée.
De retour à son appartement, Thérèse se prépare activement pour recevoir Georges. Elle passe « de la crème sur son visage » et arrange ses cheveux de manière à masquer son grand front. « […] elle passa sur ses lèvres le bâton de rouge, puis se poudra. » Un crime prémédité contre sa fille, voilà ce que prépare Thérèse en se faisant coquette et en choisissant la robe qui la mettra le mieux en valeur. Les cosmétiques de l’ennemie, voilà ce que l’on trouve dans le placard de la salle de bains de Thérèse.
Si Thérèse s’est pomponnée pour recevoir Georges, celui-ci, en revanche, n’a guère fait d’efforts… « La gomina retenait mal des épis de cheveux rebelles qui se redressaient et lui donnaient l’aspect d’un jeune corbeau. » Le dîner se passe au mieux. Marie est réexpédiée à Argelouse. Georges ira la voir à Noël… enfin peut-être. Pas sûr !
Thérèse, quant à elle, est dans une forme olympique… « Bien qu’elle se fût à peine fardée, elle s’étonna de voir dans la glace son visage coloré ». L’effet conjugué du blush, du champagne et de la passion fait monter le rouge aux joues de celle qui a cessé de vivre depuis trop longtemps. Ce jeune homme qui passe à portée de main est la proie idéale !
Après le dîner, Georges se confie à Thérèse. A Saint-Clair, durant l’été, Georges aime à se baigner avec la petite Marie. « Nous nous baignons tous les jours, et, au sortir de l’eau, le soleil. » bronze Georges et Marie, étendus sur l’herbe, en silence. Et Thérèse de glisser une peau de banane sous les pas de sa fille. « C’est vrai que Marie a encore la nuque et les bras brûlés… » (et on est en octobre rappelons-le). Georges réagit vivement : « Elle n’est jamais si belle qu’à la fin des vacances. » On peut se demander à ce moment-là si c’est le hâle qui embellit Marie ou bien si c’est l’idée de la quitter qui la pare de toutes les qualités aux yeux de son amoureux.
Et Thérèse se met à fréquenter Georges. Fasciné par la femme en pleine maturité, le jeune homme pose la tête sur son épaule. « […] elle demeura immobile respirant dans les cheveux sombres une pauvre odeur de brillantine. » Le contact de la peau du jeune homme met le feu à l’épiderme de Thérèse. « Une légère rougeur, qui n’était point celle du fard, colorait ses joues ; ses yeux resplendissaient ; son beau front n’avait pas une ride. » Transcendée par l’amour, Thérèse irradie. Si Georges est subjugué par Thérèse, Thérèse, quant à elle, reste très objective sur les qualités esthétiques de celui qu’elle est en train de conquérir. « et elle reconnaissait cette odeur de brillantine bon marché, et elle sentait la chaleur de ce jeune vivant ». Et puis, en observant ses mains, Thérèse constate à quel point elles étaient « abîmées, marquées de légères tavelures ».
Et puis, Thérèse se repent, fait promettre à Georges d’épouser Marie. Et puis, Thérèse est prise de remords vis-à-vis du jeune homme et se demande si elle ne l’a pas poussé au suicide. Une nuit de folie à attendre Georges, dans une chambre d’hôtel, qui sent « l’odeur de tabac froid » et « son pauvre parfum de brillantine ». Mais, non, pas de panique ! Georges n’a pas tenté de se suicider. Il a découché tout simplement ! Et au retour, un bon « bain », pour chasser les miasmes de la nuit !
Et Thérèse sombre dans la paranoïa, persuadée que tout le monde lui veut du mal.
Marie emmène sa mère à Saint-Clair, dans la maison paternelle et s’occupe de celle-ci avec dévouement. Désormais, Thérèse attend la « fin de la vie, la fin de la nuit ».
Les souvenirs de Thérèse sentent « l’odeur de résine et de marécage », « l’odeur de bois pourri et des fougères mortes ». Dans le cerveau de Thérèse Desqueyroux, c’est la déliquescence programmée. Une vie aride, une vie de tourments, où les cosmétiques sont dégainés comme autant d’armes de destruction massive. Quoi qu’elle fasse, Thérèse détruit tout ce qu’elle touche ! Décidemment, Thérèse empoisonne tout le monde et pas uniquement à l’aide d’arsenic !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, pour cette confrontation au sommet et en image Mauriac-Nothomb !
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pretextat-tout-sauf-le-bain-1313/
3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/se-maquiller-pour-etre-presentable-1220/
4 Mauriac F., La fin de la nuit, Grasset, 1962, 253 pages
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