Nos regards
Alceste, un ascète en matière de cosmétiques

> 27 août 2017

Alceste, un ascète en matière de cosmétiques Alceste, le Misanthrope imaginé et mis en scène par Molière en 1666, est un personnage biface. D’un côté, on observe un homme d’une honnêteté scrupuleuse dont on ne peut que louer la franchise. Cet homme qui ne peut souffrir la moindre entorse à la vérité présente un caractère incongru à une époque où les rapports en société (la haute société) - mais les choses ont-elles vraiment changé ? - sont régis, avant tout, par l’hypocrisie. Pour cela, on applaudit des deux mains. On constate d’un autre côté, un homme peu sympathique qui traite ses amis comme ses ennemis et se montre bien incapable du moindre compliment. Oronte et ses vers mirlitons, Célimène et sa propension à la coquetterie font les frais de ce caractère qui manque vraiment de discernement (« Car vous aimez les gens pour leur faire querelle »). Difficile de vivre paisiblement aux côtés d’un atrabilaire qui voit le verre de la vie constamment vide (« Je ne trouve partout, que lâche flatterie / Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie ») et se drape dans la recherche de la vérité comme d’autres dans leurs plus beaux atours.

Cosmétiques et vérité font rarement bon ménage. Les cosmétiques sont des produits – anciennement dénommés « de beauté » - utilisés pour améliorer une vérité un peu trop crue ; ils n’ont donc aucune chance de complaire au Misanthrope qu’est l’Alceste de Molière.

Alceste aime à « déclarer la chose comme elle est ». Interrogé par Philinte : « Quoi ! Vous iriez dire à la vieille Emilie / Qu’a son âge il sied mal de faire la jolie ? / Et que le blanc qu’elle a, scandalise chacun ? », Alceste répond « Sans doute ». Il faut entendre ici « Sans aucun doute ». La vieille Emilie et son épaisse couche de fard doit éviter à tout prix de croiser Alceste. Sans y mettre les formes, il lui fera une cuisante leçon de maquillage, arguant que vieillesse et maquillage ne sont pas compatibles.

Jaloux de Célimène et des ravages qu’elle produit dans la gent masculine, Alceste se plaît à dénigrer ses soupirants un à un. Pour Clitandre, la chose est aisée. Son excentricité est visible jusqu’au bout de ses doigts. « Est-ce par l’ongle long, qu’il porte au petit doigt / Qu’il s’est acquis, chez vous, l’estime où on le voit ? »). Clitandre est tout simplement un orgueilleux qui cherche à montrer, de manière ostentatoire, qu’il mène une vie oisive (essayez de réaliser les tâches de la vie quotidienne avec un ongle de grande dimension !) grâce à des moyens très confortables. Cet ongle, d'une taille parfois exceptionnelle, très prisée des Asiatiques est tout simplement un signe extérieur de richesse.

La scène 4 de l’acte II offre un florilège de portraits peu flatteurs. Célimène est aussi féroce qu’elle est belle. Elle trouve en Acaste, l’un de ses soupirants, un partenaire de choix au jeu des portraits taillés sur mesure par des couturiers dont les lunettes semblent décidément bien déformantes. Acaste a ainsi une dent contre Damon « le raisonneur, qui m’a, ne vous déplaise, une heure, au grand soleil, tenu hors de ma chaise. » Lorsque l’on sait l’importance que l’on donnait à une blancheur de teint parfaite, on peut juger de la muflerie du personnage qui ne se soucie pas le moins du monde de ce critère de beauté incontournable et vous laisse prendre coup de soleil et peau hâlée sans sourciller le moins du monde. Le portrait qu’il dresse de lui-même est, en revanche, des plus flatteurs. « Je suis assez adroit, j’ai bon air, bonne mine / Les dents belles, surtout, et la taille fort fine. » Acaste est « fort aimé du beau sexe » pour toutes ses qualités.

Eliante, la cousine de Célimène adhère parfaitement aux propos d’Alceste qui considère que « plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte. » Eliante se rit de l’amour aveugle qui « compte les défauts pour des perfections / Et savent y donner de favorables noms. / La pâle est aux jasmins, en blancheur, comparable ; / La noire à faire peur, une brune adorable ; / La maigre a de la taille, et de la liberté ; / La grasse est, dans son port, pleine de majesté ; / La malpropre, sur soi, de peu d’attraits chargée / Est mise sous le nom de beauté négligées ; […] » Quel que soit la carnation ou l’aspect esthétique, l’amoureux sait vanter sa belle et trouver des attraits même là où il n’y en a guère.

Lors d’une joute verbale (Scène 4 Acte III) Célimène la coquette et son amie (vraiment ?) Arsinoé se disent leurs quatre vérités sous couvert de se rendre mutuellement service. L’on jase sur vous, Madame, dans le monde, gare à vous ! Arsinoé joue la carte de la sagesse, de la bonté, de la douceur mais des bruis courent : « Mais elle bat ses gens, et ne les payent point. » « Dans tous les lieux dévots, elle étale un grand zèle / Mais elle met du blanc, et veut paraître belle. » Notre fausse dévote veut donner l’illusion d’une vie pieuse et rangée alors qu’elle use et abuse de fard blanc pour éclaircir artificiellement son teint. L’être et le paraître ne semblent pas en concordance chez Arsinoé.

Revenons à Alceste. Celui-ci finira par tourner ses regards vers Eliante, une femme plus conforme à ses goûts. N’est-elle pas, elle aussi, une adepte de la vérité ? Foin des cosmétiques trompeurs… Beau teint (sans aucun fard admis), belle taille (sans aucun artifice requis), belle vie… Qu’en peu de mots, ceci est bien dit !

Un grand merci à Antoine dont la production artistique permet d'illustrer le Regard du jour !

Retour aux regards