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Agua Florida, le parfum qui réveille les morts selon Carson McCullers

> 23 avril 2022

Agua Florida, le parfum qui réveille les morts selon Carson McCullers

Chez Carson McCullers la saison de la chasse... amoureuse commence de bonne heure.1 Dès 13 ans, Mick, une grande adolescente assez mal dans sa peau, commet « l’adultère » avec un voisin de deux ans son aîné. Catastrophé de cette situation, le jeune Harry plie bagage et fait ses valises pour d’autres cieux, laissant Mick, totalement désemparée, le cœur en émoi et le regard vissé sur un drôle de pensionnaire, un certain M. Singer, un sourd-muet d’une grande bienveillance, qui semble n’être venu sur terre que pour la seule et unique raison d’être le confident des uns et des autres. Au Café de New-York, Biff surmonte tant bien que mal le décès de sa femme, en reluquant Mick, juste ce qu’il faut pour ne pas être malhonnête. Le Dr Copeland se soûle de travail et tente de soutenir la communauté noire autant qu’il peut. Les logements sont petits et surpeuplés ; pourtant tout le monde souffre de solitude ! Les habitudes cosmétiques des uns et des autres ont de quoi surprendre... Dans l’univers de Carson McCullers, tout va de travers. Il y a la théorie (la Bible est lue et enseignée aux enfants) et il y a la pratique (à 7 ans, on joue avec une carabine chargée ; adulte on boit plus que de raison et on bat sa femme les jours de blues)... Il y a des théoriciens fort en théorie (le Dr Copeland, toujours lui ! mais pas que)… mais faibles en pratique (c’est bien beau de prêcher la charité, mais ça n’a pas trop de sens lorsque c’est pour frapper sa femme à coups de tisonnier).

Biff Brannon, le chasseur de souvenirs

Bartholomew, Biff pour les intimes, Biff pour tout le monde, le patron du café de New-York est un grand type au « menton bleuâtre » (« Sa barbe était si noire et si fournie qu’on l’aurait crue vieille de 3 jours. ») qui passe son temps à se raser et garde son bar ouvert toute la nuit, histoire de laisser une chance au solitaire attardé en quête de bonne bière et de bonne compagnie. Biff aime les âmes cabossées, « les monstres », les exclus, « les malades, les infirmes ». Ne nous demandez pas pourquoi, c’est un fait. Empathie, bienveillance, autant de termes qui vont comme un gant à ce drôle de cabaretier.

Biff forme avec Alice un couple ordinaire. Un couple sur lequel le temps a glissé, laissant les habitudes user l’étoffe de leur relation jusqu’à la trame. Encore quelques sentiments tout de même. Et une routine-cosmétique source de conflits. Alice, qui tient jalousement à la beauté de sa chevelure, ne laisse jamais Biff « dormir à côté d’elle quand il » frictionne « d’huile son cuir chevelu. » De là à dire que les deux conjoints font chambre à part il n’y a qu’un pas lorsque l’on sait que Biff est accro aux huiles capillaires anti-chute ! Accro à la propreté aussi. Biff « était toujours d’une propreté scrupuleuse de la ceinture jusqu’à la tête. Chaque matin, il se savonnait le torse, les bras, le cou et les pieds et environ 2 fois par saison il plongeait dans la baignoire et se lavait le corps entier. »

Lorsqu’Alice décède brutalement d’une tumeur au cerveau, Biff se lance dans un grand ménage de printemps. Tout doit être nettoyé, astiqué, aseptisé de la cave au grenier, sans oublier la salle de bain. « Il se mit dans la baignoire et la lava entièrement. » La décoration est aussi refaite à neuf au goût de Biff. Tous les produits de beauté d’Alice sont donnés à sa sœur Lucile, qui en fera bon usage. Tous les produits sont donnés... à l’exception d’un flacon « d’Agua Florida », resté oublié au fond d’un placard. Lorsque Biff tombe dessus par hasard, 4 mois après le décès d’Alice, les souvenirs remontent à la surface. « Biff déboucha la bouteille. Torse nu devant la glace, il appliqua un peu de parfum sous ses aisselles noires et poilues. » Le parfum oublié recompose une nouvelle image de la femme, autrefois adorée. Celle qui laissait traîner ses bas et ses slips usagés dans la chambre n’existe plus... Celle qui vivait dans le désordre est morte. Désormais le parfum Agua Florida fait revivre la jeune fille des premiers temps, celle qui posait en riant devant l’objectif du photographe, « Alice assise dans un champ de marguerites », « Alice dans un canoë sur la rivière »... On se croirait dans la série des Alice de Caroline Quine ! Biff se parfume le « lobe » des oreilles et le creux du poignet, comme il l’a vu faire à son épouse. « L’odeur se mêlait à ses lentes ruminations », recréant une image de plus en plus floue de sa compagne. Sur une étagère, Biff retrouve également une « bouteille de rinçage au citron », utilisée autrefois par Alice comme soin capillaire. Biff, dont la chevelure est poivre et sel, tente l’expérience de cette lotion et s’en trouve fort satisfait. L’huile anti-chute, utilisée jusqu’alors, est abandonnée pour cette eau légère au parfum fruité, qui donne du volume à son capillaire manquant de tonus. Pour retrouver Alice, Biff endosse les cosmétiques d’Alice (et revoit « Alice se savonnant dans la baignoire », comme si elle y était) et se fait chambrer par sa clientèle. Jake Blount frise du nez ! « Parfum ? » Non, répond Biff un peu gêné. « Lotion après-rasage » ! Plein de pudeur, Biff se garde bien de raconter ses expériences cosmétiques au premier venu.

Alice, la proie du cancer

La femme de Biff, c’est Alice, une femme ordinaire, toute en courbes moelleuses. Une chevelure châtain clair. On n’en sait guère plus. Pas très grave. Carson ne nous laissera pas le temps de nous attacher à celle qui meurt subitement d’un cancer. Celle qui est habituée à se limer les ongles sur le zinc du bar disparaît trop rapidement !

Lucile Wilson et son Baby, la chasseuse de gloire

La sœur d’Alice, Lucile est esthéticienne. Sa petite fille de 4 ans, une adorable poupée « toute rose », aux « cheveux blonds », constitue son champ d’expérimentation privilégié. « J‘ai fait des bouclettes à Baby au magasin. Mais elles s’aplatissent si vite qu’il vaudrait mieux une permanente. Je ne veux pas la lui faire moi-même - je crois que je vais l’emmener à Atlanta quand j’irai à la convention des esthéticiennes et on la lui fera là-bas. » Tonton Biff n’est pas d’accord du tout avec cette idée saugrenue. Baby est beaucoup trop jeune pour se prêter à un tel traitement capillaire. Biff évoque les risques associés à la permanente. Outre le fait de rendre « les cheveux plus rugueux », on ne sait pas trop ce que l’emploi de ce genre de cosmétiques peut produire sur la santé. Lucile ne cèdera pas. Elle a de « l’ambition » pour Baby qui deviendra une star.

Lorsque Bubber tirera sur Baby, Lucile accourra, lâchant clientes, pots de crèmes et autres ustensiles à usage cosmétique (« Mrs Wilson déboula du salon de beauté où elle travaillait »). Pour Lucile, c’est la fin des rêves de gloire concernant son bébé chéri. La petite fille, transportée à l’hôpital, doit être rasée, afin de pouvoir être soignée. Lucile fait les comptes : « Ils ont rasé entièrement les cheveux de Baby, et vous devez payer la permanente que je lui ai fait faire à Atlanta - comme ça, quand ses cheveux auront repoussé, on pourra recommencer. » Tout cela va coûter très cher aux parents de Bubber qui doivent payer l’hôpital et tous les à-côtés imposés par sa mère.

Pauvre Baby, sans cheveux, elle devient infecte. « Mal dans sa peau », capricieuse, mal élevée... La petite fille modèle, aux jolies boucles blondes savamment permanentées, a fait place à un petit monstre qui tyrannise sa mère.

Jake Blount, le chasseur de parasites

Jake Blount n’est pas le genre d’homme que l’on souhaite rencontrer le soir au fond d’un bois. Petit (1m50 !), mais extraordinairement costaud, Jake est susceptible comme pas deux et aime à faire le coup de poing s’il le faut. Les cosmétiques ? Ne lui en parlez pas. C’est pas vraiment son genre. Une « moustache mince et mal soignée », qui semble collée comme « pour un bal masqué »... voilà l’élément inesthétique à retenir de sa personne. Jake boit sans répit, tentant de noyer dans l’éthanol un dégoût pour une vie par trop injuste. La lutte des classes, voilà le crédo de ce drôle de paroissien, de ce « bolchevique rouge ». La boisson exerce, sur lui, un effet étonnant. « Une transformation chimique se produisait en lui. Les bières et le whisky qu’il avait emmagasinés sans discontinuer déclenchaient une réaction. » Lyrique, bavard, l’esprit aiguisé... Jake doit respecter la juste dose pour pouvoir réfléchir à l’aise et tenter de convaincre son auditoire que la solution contre la misère réside dans les théories marxistes.

Côté hygiène, pas d’hygiène du tout pour ce gars « tellement crasseux » qu’il en dégage une odeur de « bouc ». Son logement à « odeur humide » et « le goût âpre de la crasse » qui s’en dégage en dit long sur ses habitudes en matière d’hygiène. Des « ongles sales », une peau « d’une blancheur cadavérique », des cheveux qui forment un « bloc emmêlé » qui n’ont pas vu le peigne depuis des années. Biff, soigneux de sa personne, ne peut s’empêcher de remarquer : « Tu as besoin de te laver et de couper les cheveux. Sainte Mère ! » Et de proposer : « Dis à Willie de te donner une serviette et un gros morceau de savon et lave-toi bien. »

Pas d’hygiène, mais une parasitose, la gale, qui se met à lui pourrir la vie. « Il mélangea du soufre à de la graisse de porc et s’en enduisit le corps chaque matin. Il se griffait jusqu’au sang et la démangeaison semblait ne jamais devoir se calmer. » Entre l’alcool, les idées révolutionnaires, les moqueries des gens qui le croisent et cette méchante gale... de quoi perdre patience !

Mick, la chasseuse d’amour et proie en amour

Mick Kelly est une « jeune adolescente dégingandée d’une douzaine d’années, aux cheveux filasses », « presque blancs ». Lorsque Mick vient traîner dans le bar de Biff pour acheter un « Coca ou un Milky Way » celui-ci, ébloui, ne la quitte pas du regard. Cette gamine, bien trop grande pour son âge (1m68 pour 47 kg), au short bien trop court pour son âge, exerce sur Biff une véritable fascination. Mick vit dans un rêve, la tête dans les notes de musique d’un piano qu’elle n’a pas encore les moyens de s’offrir. Devenir une musicienne célèbre, telle est l’ambition de cette jeune ado admirative de celui qu’elle appelle « Motsart » ; un génie capable de transformer en sons « l’odeur du printemps après la pluie ».

Mick a 3 frères, Ralph (17 mois), Bubber (7 ans et un drôle de phototype, puisque le « soleil, au lieu de le bronzer, le rendait pâle. ») et Bill (plus de 18 ans) et 2 sœurs, Hazel (18 ans), « assistante dans un salon de beauté » et Etta. A la maison - une pension de famille - cohabitent parents, enfants et pensionnaires (14 personnes au total). Le petit dernier est l’objet de soins de la part de Mick qui est chargée, le soir, de le laver et de décoller, en particulier, les flocons d’avoine qu’il s’est collé dans les cheveux au cours du repas.

Lorsque Mick décide d’organiser une soirée pour ses camarades de classe et pour ses voisins, toute la famille s’y met, afin de rendre la fête inoubliable. Quant à Mick, c’est dans la salle de bains qu’elle concentre ses efforts. « Elle s’attarda longuement dans le bain, frottant les parties rugueuses de ses talons, de ses genoux, et surtout de ses coudes. » Mick s’observe dans le miroir, change de vêtements, laissant, pour un temps, au vestiaire, son sempiternel costume de garçon (le fameux short trop court qui laisse voir ses longues jambes) ! Etta lui prête sa « longue robe du soir en crêpe de Chine bleu ». Charge à Mick de tester différentes coiffures (6 essais seront réalisés), afin d’être la plus féminine possible. « Mick humecta sa frange, se fit trois accroche-cœurs et enfonça le diadème dans ses cheveux, puis se couvrit abondamment de maquillage et de rouge à lèvres », afin de ressembler à une star de cinoche. Un peu de fard à joues pour terminer le tableau... à la dernière minute. Et voilà déjà les invités qui arrivent. Tout le monde a soigné sa toilette et mis du sent-bon. Les garçons ont les « cheveux humides et brillants ». Harry Minowitz est présent. Quinze ans. 1m63. Un air gauche et timide qui fait rire les filles... Des idées très arrêtées sur le bien et le mal (« Faute morale pour les filles de mettre du rouge à lèvres ou de porter des robes décolletées »). Entre la théorie et la pratique, toutefois, il y a une marge ; lors d’un pique-nique, le sérieux Harry commettra, en effet, l’acte de chair avec Mick !

Au fur et à mesure que l’heure avance, l’ambiance se détend. Les enfants sont de plus en plus excités. « C ‘était le même truc qu’au moment de prendre un bain, l’après-midi, quand on se vautre partout dans le jardin et qu’on se salit énormément pour en profiter avant d’entrer dans la baignoire. » Tout à coup, les enfants, pris de frénésie, se ruent dans la rue en travaux, se jettent dans la boue des fossés, salissant les belles tenues en un rien de temps. La fête tourne en eau de boudin.

Mick adore Bubber, son petit frère, à « odeur salée ». Bubber, en réalité George pour l’état civil, sera appelé « Le tueur de bébé Kelly », lorsqu’il aura commis l’irréparable avec une carabine chargée.

Mick adore sa boite à trésors, remplie de romans policiers, d’un poudrier, de pièces de montre et de toutes sortes de petits objets plus ou moins cassés.

Mick adore, aussi, M. Singer et tente, discrètement, de le séduire. Un peu de parfum pour attirer son attention. Mick utilise le parfum d’Etta ou bien quelques gouttes de vanille, « pour sentir bon », au cas où elle le croiserait dans l’entrée. Mick épie son ami, s’intéresse à la façon dont il range sa brosse à dents (en apprenant que Singer met sa brosse à dents et son tube de dentifrice dans un verre, Mick se met à faire de même).

Mais il y a ce souvenir, cet « adultère » qui tracasse Mick. Quelque chose a changé ; ça doit sûrement se lire sur son visage, pense l’adolescente qui interroge Portia : « Tu remarques quelque chose de différent ? » Oui, répond Portia, un superbe coup de soleil attrapé lors du pique - nique ! « Tu n’as qu’à prendre un peu de graisse et t’en frotter le visage. Ton nez a déjà pelé. On dit que rien ne vaut la graisse pour les gros coups de soleil. »

Et puis, il y a le drame qui a touché Bubber et Baby, ce crime... une petite fille de toute beauté, sans doute défigurée à vie. Et la faillite pour les parents de Mick qui doivent payer des frais et dédommagements pour la petite fille, qui ne deviendra jamais la star qui faisait rêver sa mère. Pour vivre, Mick est obligée de faire un trait sur son avenir. L’école, c’est fini. Les rêves de musique et de célébrité, c’est bien fini aussi. Pour faire bouillir la marmite, tout le monde doit s’y mettre ; Mick comme les autres. Avant d’être embauchée dans un drugstore, « les sœurs la maquillèrent avec du fard à joues et du rouge à lèvres et lui épilèrent les sourcils », afin de la faire paraitre plus âgée. Et cela marche plutôt bien, puisque Mick paraît désormais au moins 16 ans.

Le père de Mick, le chasseur fatigué

Le père de Mick est « l’un des hommes les plus grands et les plus forts de la ville », au « crâne pâle et chauve ». Peinant à faire vivre sa famille, cet homme est malheureux. Inutile, voilà comment cet homme se sent. Pas à la hauteur pour rendre heureux une femme et des enfants. 

Etta, la chasseuse de célébrité acnéique

Etta est une jeune fille passionnée de cinéma et de cosmétiques. Pour ressembler à ses idoles, elle passe de longues heures à s’occuper de sa peau (« Elle se pomponnait toute la journée. ») et tente par une gymnastique faciale quotidienne d’améliorer son profil. S’observant dans un miroir, elle minaude, fait des poses, essayant de savoir quelle attitude lui est la plus favorable. Des crises de larmes viennent parfois ponctuer ces séances d’autosatisfaction... Non, vraiment, jamais Etta n’arrivera à ressembler aux stars qu’elle affectionne tant.

Produits de soin, de maquillage, cosmétique blanche, cosmétique colorée, tout fait feu chez cette chasseuse acnéique, qui cherche à ressembler à ce qu’elle n’est pas. « Etta, assise sur la chaise près de la fenêtre, se mettait du vernis rouge sur les ongles de pied. Elle avait des rouleaux d’acier sur les cheveux et une petite couche de crème blanche sous le menton, à l’endroit où pointait un bouton. »

Portia, la proie d’un père trop bon

Portia est la jeune femme noire, qui assure le service dans la pension de famille des Kelly. Sympathique, serviable, aimable, Portia est l’amie dont tout le monde rêve. Elle est la fille du Dr Copeland, un médecin qui se dévoue pour ses patients. Entre son père, le Dr Copeland (le médecin noir) et M. Kelly son patron, de grandes ressemblances. Des ressemblances en matière de qualité d’âme (« Je parlais de la forme et de la couleur de vos âmes. »).

Du point de vue physique, Portia possède une belle « couleur de miel foncé » et une chevelure « compacte et huileuse », dont elle prend grand soin.

Côté vie privée, une sorte d’association à trois. Portia vit, en effet, avec son frère Willie et Highboy (lui, on ne sait pas trop de qui il s’agit, ni quel est son statut exact). Au départ de Willie, consternation... Portia se met à boire et se laisse aller, cosmétiquement parlant, oubliant d’appliquer la pommade pour ses cheveux. Highboy, quant à lui, veille à la consommation d’alcool marquant d’un trait précis le niveau de la bouteille. « Highboy emprunta le rouge à lèvres de Portia et marqua d’un trait rouge la limite du vin. »

Le Dr Copeland, le chasseur de fraternité

Le Dr Benedict Mady Copeland est un médecin noir, qui s’est voué, corps et âme, à ses patients, depuis le départ de sa femme et de ses enfants. Les gestes barrières, Benedict les connaît par cœur. Atteint de tuberculose pulmonaire, il recueille ses crachats dans des petits papiers, avant de s’en débarrasser. Un lavage soigneux des mains (« Ses mains paraissaient toujours impeccables mais fripées, comme si elles avaient été récurées à la brosse et longuement trempées dans une cuvette d’eau. ») lui permet d’éviter la propagation des épidémies. Fâché avec ses enfants, Benedict fréquente tout de même encore Portia.

Le Dr Copeland est attaché à défendre la communauté noire, dont il s’occupe jour et nuit, avec un sublime dévouement. Jeune, alors qu’il se heurte à la triste condition des Noirs en Amérique, le voilà rattrapé par l’alcool. La colère face à des situations de parfait dénuement, la boisson... tout cela le mène à la violence et à l’acte qui va conditionner le reste de sa vie. Aveuglé par la colère, imbibé d’alcool, Benedict saisit un tisonnier et frappe sa femme Daisy, qui s’empresse de fuir chez son père et qui ne reviendra jamais. Les enfants, Hamilton, Karl Marx, William et Portia seront désormais élevés loin de leur père.

Pour Noël, le Dr Copeland organise une grande soirée, pour l’ensemble des gens du quartier. Avec un pharmacien de ses amis, il récompense, avec un billet de 5 dollars la meilleure rédaction faite par les enfants des écoles. Consternation pour lui en 1939, lorsque la rédaction qui sort du lot (celle d’une petite paranoïaque de 13 ans du nom de Lancy Davis) suinte la haine et la colère : « Je hais la race blanche entière et je travaille toujours à la vengeance des gens de couleur pour leurs souffrances. Voilà mon ambition. » Les rêves de fraternité et d’amour universel se meurent au pied du grand sapin ! Et le prêche du Dr Copeland qui mêle Karl Marx et le petit Jésus a de quoi étonner.

Singer, le chasseur d’amitié

Singer est un sourd-muet, sans prénom. Peu importe. Sa qualité première : une qualité d’écoute hors du commun (Singer lit sur les lèvres !), qui en fait le camarade privilégié de toutes les âmes en peine du quartier. Spiros Antanopoulos, son copain (une sorte de fou furieux au QI de mouche et à l’estomac de baleine), une fois en prison pour cause de dettes, Singer est désormais libre de prendre sous son aile des hommes aussi paumés que Jake. Et hop, Jake est plongé dans un bain d’eau froide pour retrouver ses esprits. Singer restera, toutefois, attaché à Spiros, jusqu’à la fin, lui apportant, dans son pénitencier, toutes sortes de cadeaux, allant des gâteaux au « projecteur de huit millimètres », permettant de visionner des films ayant pour héros Mickey ou Popeye.

Les yeux de Singer, de « couleur changeante tachetés d’ambre, de gris, de brun pastel », ont touché le cœur de Mick, qui se met à suivre son ami comme une ombre.

Singer est un homme très propre, qui prend son bain chaque soir. Il soigne également ses mains. « En hiver, il mettait de l’huile contre les gerçures, repoussait les petites peaux des ongles, les limait toujours selon la courbe du bout de ses doigts. »

En apprenant la mort de Spiros, toutefois, la machine se grippe. Une balle dans la poitrine et voilà Singer parti rejoindre Spiros au pays des amitiés éternelles.

Patterson, le chasseur à la fête foraine

Patterson est le patron d’une fête foraine. Un drôle de type, dont les « cheveux roux se dressaient comme une éponge sur sa tête. »

Lee Jackson, un mulet qui n’est pas une proie !

Le grand-père de Portia possède un mulet, baptisé « Lee Jackson », dont il prend grand soin. « Quand ils labourent en plein soleil, Lee Jackson porte un grand chapeau de paille sur la tête, exactement comme Bon Papa - avec des trous pour les oreilles. » Pas question de risquer insolation ou coups de soleil !

Et puis des entrepreneurs de pompes funèbres

à la « voix huileuse » ! Des employés, qui maquillent les cadavres, afin de leur donner plus de vie. « L’employé des pompes funèbres lui avait mis du fard et du rouge à lèvres pour lui donner l’air naturel ».

Le cœur est un chasseur solitaire, en bref

Chasseur, chassé, chasseur, proie. Chaque personnage est l’un ou l’autre, tour à tour. Ce roman de Carson McCullers est foisonnant de personnages, d’images, de cosmétiques, de sentiments. Mick, le personnage central, se casse une dent de devant dans un escalier... son sourire restera estropié pour la vie. Estropié, voilà bien le mot qui convient le mieux pour qualifier ces gens en quête de bonheur. Le sens de la vie, l’accès à une vie intérieure (ce que Mick appelle « l’espace du dedans ») alors même que l’espace du dehors est noirci par les problèmes du quotidien... voilà ce qui titille des personnages aussi différents que Mick, Biff ou Singer. Le pouvoir des cosmétiques est immense, semble nous dire la romancière. Oui mais ils ne font pas tout surenchérit Mick !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien pour ce chasseur solitaire !

Bibliographie

1 McCullers C., Le cœur est un chasseur solitaire, Stock, 543 pages, 2017

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