> 01 décembre 2020
L’acide hyaluronique, hyaluronan pour les Anglais, est un polysaccharide, retrouvé dans un grand nombre de tissus et de fluides biologiques chez les Vertébrés mais également chez certaines bactéries.1 Connu de l’inventaire européen,2 cet ingrédient, estampillé « antistatique, humectant, hydratant, conditionneur cutané », fait la joie de l’industrie cosmétique depuis les années 1990. Cet ingrédient a un secret... Actif « anti-âge » universel, il continue à séduire professionnels et consommateurs, sans se soucier du temps qui passe et sans jamais passer aux oubliettes. La mention « acide hyaluronique » fait vendre et ça c’est une chose sûre. Pour comprendre le succès de cet ingrédient incontournable, un peu d’histoire s’impose. De l’humeur vitrée de bœuf, à la crête de coq, de l’université de Columbia (avec un tel lieu de découverte pas étonnant que l’acide hyaluronique continue à faire son cinéma), aux laboratoires de recherche du monde entier (plus de 3000 publications sur le sujet référencées sur le site Pubmed, entre 2019 et 2020), du médicament cicatrisant à la crème qui répare l’outrage des ans... cet ingrédient a des choses à nous dire. Ecoutons-le !
C’est à partir de 1934 que les Américains Karl Meyer et John Palmer du département d’ophtalmologie de l’université de Columbia vont commencer à se consacrer aux recherches sur un mucopolysaccharide composé de N-glucosamine et d’acide glucuronique, en proportions équimolaires, retrouvé en premier lieu dans l’humeur vitrée de bovin, puis dans le cordon ombilical humain,3 dans l’humeur vitrée porcine, chez certaines bactéries, comme les streptocoques hémolytiques de type A et C, dans le liquide synovial humain, dans le peau du cochon,4 au niveau des reins de diverses espèces animales (porcs, moutons, chiens).5 Il apparaît que, selon sa localisation, la molécule d’acide hyaluronique présente un poids moléculaire variable, témoin d’un degré de polymérisation plus ou moins élevé.6 On remarque également que des teneurs importantes en acide hyaluronique de certains fluides biologiques signent une pathologie, c’est le cas dans certains cancers pulmonaires (mésothéliomes) ou en cas d’asthme .7
Une teneur d’environ 15 grammes chez l’adulte, un turnover de l’ordre de 1/3 (soit 1/3 de l’acide hyaluronique de l’organisme dégradé et synthétisé chaque jour), une teneur sérique qui varie entre 10 et 100 microgrammes par litre et qui augmente dans certaines pathologies telle la cirrhose, l’arthrite rhumatoïde, la sclérodermie... Une teneur moyenne dans le derme de l’ordre de 200 mg/L. Un poids moléculaire qui varie entre 105 et 5 x 106 Daltons,8 voilà l’acide hyaluronique en chiffres !
Dans les années 1970, le coq, avant de passer à la casserole, se voit dans l’obligation de sacrifier ce dont il est le plus fier, sa crête qui est coupée, décortiquée, analysée... passée au peigne fin, dans le but de connaître sa composition exacte. Des protéines et de l’acide hyaluronique, voilà la conclusion des experts. Cette association est responsable de la viscosité du tissu considéré...9 A partir de cette découverte, la crête de coq est précieusement conservée et ce à des fins cosmétiques, jusqu’à ce qu’un certain dégoût du matériel biologique ne vienne semer le trouble dans cet upcycling ou art d’accommoder les restes plutôt bien pensé.10 Le coq mariné dans le vin rouge a laissé sa crête au vestiaire... il eût été stupide de la laisser perdre. Autre temps, autres mœurs… Désormais, en 2020, les sociétés de matières premières ou de produits finis font assaut de « naturalité végétale ou biotechnologique » ; l’acide hyaluronique est maintenant obtenu par un processus de fermentation, à partir d’un matériel végétal.11,12 Ouf, diront les vegans qui ne se soucient pas pour l’instant du confort des troupes de bactéries qui travaillent 24 heures sur 24, sans jours fériés, sans congés payés, à la réalisation des actifs cosmétiques.
Dans les années 1980, les cultures cellulaires de fibroblastes murins sont scrutées, afin de découvrir le secret de jeunesse des souris de laboratoire. Il apparaît qu’il existe un lien entre prolifération cellulaire et concentration en acide hyaluronique. Pendant la phase de croissance logarithmique des cellules cutanées, on observe en effet une augmentation de la quantité d’acide hyaluronique endogène.13 De là à vouloir apporter aux cellules de l’acide hyaluronique exogène (et pourquoi pas via un cosmétique ?) il n’y a qu’un pas, qui sera hardiment franchi et ce d’autant plus que les tests réalisés in vitro sur fibroblastes humains témoignent de la capacité de l’acide hyaluronique à favoriser la synthèse de tubuline, une protéine qui joue un rôle majeur dans le cycle cellulaire.14 De quoi retendre, en théorie, plus d’un tissu flagada !
De la souris juvénile à peau de pêche à l’actrice sur le retour... il n’y a qu’une injection à faire, une injection d’acide hyaluronique. Dès lors que l’on parle d’injection, on sort du domaine cosmétique pour entrer, en ce qui concerne les méthodes invasives de lutte contre le vieillissement, dans le domaine du dispositif médical.15
Pour autant, l’acide hyaluronique n’est pas réservé au chirurgien esthétique ; depuis des années il reste sur la première marche du podium en ce qui concerne la formulation des produits anti-âge. Son effet hydratant,16 à faible dose (seulement 1 %),17 explique ce choix ; il faut également compter sur l’effet psychologique associé au nom magique de cet actif connu du grand public qui a entendu parler des résultats spectaculaires liés à l’utilisation de ce matériel de comblement.
Du tympan perforé (effet positif en cas de perforations modérées),18 à la cornée lésée par un agent chimique à type d’alcali,19 de la muqueuse vaginale soumise aux effets indésirables d’une radiothérapie mise en œuvre dans le cadre d’un traitement anti-cancéreux,20 aux cordes vocales abîmées pour différentes raisons,21 l’acide hyaluronique ou son sel de sodium permet la réalisation de préparations topiques efficaces ou pleines d’espoir. Si un effet cicatrisant est observé dans un grand nombre de cas, il faut garder à l’esprit que certaines pathologies (telle la sclérodermie) contre-indiquent l’usage de cette molécule. Dans ce cas, en effet, une détérioration de l’état clinique avec aggravation des ulcères est observée.22
A l’heure actuelle, cosmétiques, dispositifs médicaux et médicaments sont au coude à coude en matière de « cicatrisation ». L’acide hyaluronique est le point commun de ces produits relevant de statuts différents et communiquant en direction de la peau lésée.23-26
Actif très sympathique, qui sourit aussi bien aux professionnels, qu’aux amateurs (les adeptes de DIY découvrent dans leur cuisine les propriétés gélifiantes de l’acide hyaluronique et constatent, de leurs propres yeux, qu’il est impossible d’en incorporer des pourcentages élevés dans une formule),27 cet actif, toujours en vogue, n’a que du positif à son actif. Pas de raison, donc, de s’en passer. On fera confiance aux professionnels du secteur ; ils ont, à disposition, tous les ingrédients nécessaires pour mettre au point des formules beaucoup plus sympathiques et beaucoup plus sûres que tout ce que l’on peut bidouiller chez soi, avec les moyens du bord !
1 Fraser JR, Laurent TC, Laurent UB. Hyaluronan: its nature, distribution, functions and turnover. J Intern Med. 1997, 242, 1, 27-33
2 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=34315
3 Meyer K, Hobby GL, Chaffee E, Dawson MH. THE HYDROLYSIS OF HYALURONIC ACID BY BACTERIAL ENZYMES. J Exp Med. 1940, 31, 71, 2, 137-146
4 Meyer K. The biological significance of hyaluronic acid and hyaluronidase. Physiol Rev., 1947, 27, 3, 335-359
5 Dicker SE, Franklin CS. The isolation of hyaluronic acid and chondroitin sulphate from kidneys and their reaction with urinary hyaluronidase. J Physiol. 1966, 186, 1, 110-120
6 Laurent TC. Studies on hyaluronic acid in the vitreous body. J Biol Chem. 1955, 216, 1, 263-271
7 Sahu S, Lynn WS. Hyaluronic acid in the pulmonary secretions of patients with asthma. Biochem J. 1978, 1, 173, 2, 565-568
8 Manuskiatti W, Maibach HI. Hyaluronic acid and skin: wound healing and aging. Int J Dermatol. 1996, 35, 8, 539-544
9 Swann DA, Caulfield JB. Studies on hyaluronic acid. V. Relationship between the protein content and viscosity of rooster comb dermis hyaluronic acid. Connect Tissue Res., 1975, 4, 1, 31-39
10 https://cosmetotheque.com/2020/08/10/up-cycling-2/
11 https://au-coeur-de-nos-produits.loreal.fr/ingredients/acide-hyaluronique
12 https://www.premiumbeautynews.com/fr/biotechnologies-pour-des,11908
13 Yoneda M, Yamagata M, Suzuki S, Kimata K. Hyaluronic acid modulates proliferation of mouse dermal fibroblasts in culture. J Cell Sci. 1988, 90, Pt 2, 265-273
14 Greco RM, Iocono JA, Ehrlich HP. Hyaluronic acid stimulates human fibroblast proliferation within a collagen matrix. J Cell Physiol. 1998, 177, 3, 465-473
16 Bukhari SNA, Roswandi NL, Waqas M, Habib H, Hussain F, Khan S, Sohail M, Ramli NA, Thu HE, Hussain Z. Hyaluronic acid, a promising skin rejuvenating biomedicine: A review of recent updates and pre-clinical and clinical investigations on cosmetic and nutricosmetic effects. Int J Biol Macromol. 2018, 120, Pt B, 1682-1695
17 Milani M, Sparavigna A. The 24-hour skin hydration and barrier function effects of a hyaluronic 1%, glycerin 5%, and Centella asiatica stem cells extract moisturizing fluid: an intra-subject, randomized, assessor-blinded study. Clin Cosmet Investig Dermatol. 2017, 11, 10, 311-315
18 Camarda V, Cervellini M, Pedace G, Pace M. Sodium hyaluronate in the repair of perforations of the tympanic membrane. Clin Ther. 1989, 11, 6, 744-754
19 Chung JH, Fagerholm P, Lindström B. Hyaluronate in healing of corneal alkali wound in the rabbit. Exp Eye Res. 1989, 48, 4, 569-576
20 Cosentino D, Piro F. Hyaluronic acid for treatment of the radiation therapy side effects: a systematic review. Eur Rev Med Pharmacol Sci. 2018, 22, 21, 7562-7572
21 Gaston J, Thibeault SL. Hyaluronic acid hydrogels for vocal fold wound healing. Biomatter. 2013, 3, 1, e23799
22 Gualdi G, Monari P, Cammalleri D, Pelizzari L, Calzavara-Pinton P. Hyaluronic Acid-based Products are Strictly Contraindicated in Scleroderma-related Skin Ulcers. Wounds 2019, 31, 3, 81-84
23 https ://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/bayer-versus-bioderma-le-combat-pour-la-cicatrisation-encore-un-seul-gagnant-511/
24 https ://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/a-derma-versus-systagenix-le-combat-pour-la-cicatrisation-aucun-perdant-pour-cette-fois-515/
25 https ://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/bayer-versus-la-roche-posay-le-combat-pour-la-cicatrisation-a-nouveau-un-seul-gagnant-510/
26 https ://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/genevrier-versus-pierre-fabre-le-combat-pour-la-cicatrisation-un-seul-gagnant-506/
27 https://www.aroma-zone.com/info/recette-cosmetique/soin-tenseur-et-anti-age-vis
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