Nos regards
ABC contre Poirot, une double mystification

> 23 août 2020

ABC contre Poirot, une double mystification

Agatha Christie se plaît à mystifier son lecteur avec un assassin qui apparaît dès le chapitre II de son roman ABC contre Poirot. « M. Alexandre-Bonaparte Cust se leva de son siège et ses yeux myopes firent le tour de la pauvre chambre à coucher. » Ce Monsieur ABC, au physique passe-partout, est représentant en bas de soie ; il semble avoir décidé de passer l’alphabet en revue d’une manière macabre. A intervalle de temps régulier, il sacrifie une victime... Mrs Ascher à Andover, Miss Barnard à Bexhill, Sir Carmichael Clarke à Churston... Avant de commettre ces crimes, ABC a l’extrême obligeance de prévenir le détective privé belge le plus célèbre du monde.

Hercule Poirot, quant à lui, est ravi de mystifier son très cher ami Hastings à l’aide d’un cosmétique capillaire qui fait fi des ans, un cosmétique liquide qui s’applique sur les cheveux et qui leur redonne leur couleur d’origine !

Une teinture capillaire qui ne dit pas son nom

Les crimes perpétrés par ABC ont commencé en juin 1935. Le brave Hastings est alors de retour en Angleterre pour une durée de 6 mois. Il a quitté son ranch d’Amérique du sud, afin de régler quelques affaires dans la capitale londonienne. L’occasion de retrouver son vieil ami, Hercule Poirot. Un Hercule Poirot qui paraît « rutiler de santé et même rajeunir ». Ses cheveux, contre toute attente et contre toute logique biologique, ne grisonnent pas. Ils seraient même plutôt de plus en plus noirs ! « C’est la pure vérité ». Hastings, dans sa grande naïveté, s’étonne ouvertement de ce phénomène très étonnant. Il n’est visiblement pas au fait des dernières inventions cosmétiques. Hercule Poirot ne fait pas languir trop longtemps son ami ; son secret se nomme « Revivit », un cosmétique conditionné en flacon, qui « restitue à la chevelure sa nuance naturelle ». Les publicités qui vantent les mérites de Revivit signale qu’il ne s’agit pas d’une teinture. Tiens mon œil ! Ce produit-miracle, dont le mécanisme d’action n’est pas révélé, existe en « 5 couleurs, cendre, marron, blond vénitien, châtain et noir. » Hercule Poirot a opté pour la version la plus sombre de cette gamme. Passons maintenant aux moustaches. Celles-ci sont encore noires... pas de teinture à l’horizon ! Hastings, un peu échaudé par les révélations de son ami, ne manque pas d’ironiser à leur sujet : « La prochaine fois, lui dis-je, revenant de ma stupéfaction, vous porterez des fausses moustaches... à moins que ce ne soit déjà fait ? » « Chatouilleux sur la question des moustaches » Hercule Poirot s’y suspend avec force démontrant ainsi qu’il ne s’agit aucunement de postiches. Ces moustaches « magnifiques » sont uniques en leur genre. « On n’en trouve pas de pareilles à Londres ». On veut bien le croire !

Un début de calvitie qui ignore son nom

Dans l’affaire qui met en scène Hercule Poirot et le mystérieux ABC, l’inspecteur Japp est de la partie. S’il trouve que le capillaire d’Hercule Poirot est remarquable (« Sa tête pourrait servir de publicité à un produit régénérateur de la chevelure. »), il ne peut, en revanche, s’empêcher de se moquer gentiment du « crâne dégarni » d’Hastings. Ce manque de tact est étonnant de la part d’un Anglais ; et dire qu’Hastings y met tout son cœur pour masquer ce début de calvitie, en ramenant tous les cheveux à disposition « sur le sommet de la tête ». Lorsqu’Hercule Poirot en remet une couche en proposant un rendez-vous chez son coiffeur, la coupe est pleine ! « Hastings, mon coiffeur applique un système extrêmement ingénieux... il le fixe sur votre crâne et vous brossez vos propres cheveux par-dessus. Ce n’est pas une perruque... mais. » Non, non, Hastings ne portera ni postiche, ni perruque, ni couvre-chef... un « bon fortifiant du cuir chevelu » devrait permettre de stopper une chute attribuée aux étés torrides d’Amérique du sud.

Un assassin qui donne son nom

Etonnant cet assassin qui donne son nom et semble semer les indices sur son passage. Ce n’est cependant pas en traquant les indices matériels (cheveu, mégot...) qu’Hercule Poirot va y voir clair dans cette affaire étonnante. C’est, comme d’habitude, en s’installant confortablement dans un bon fauteuil et en faisant travailler ses précieuses petites cellules grises. L’assassin n’est pas forcément celui que l’on croit...

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Retour aux regards