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A Meadowbank, à chacune sa coupe de cheveux !

> 05 décembre 2020

A Meadowbank, à chacune sa coupe de cheveux !

Ca décoiffe franchement au collège de Meadowbank !1 L’arrivée de Shaista, une jeune princesse qui fuit la révolution qui secoue son pays, semble être à l’origine d’une série de meurtres ayant pour cible des enseignantes de la vénérable institution. Il est question de pierres précieuses d’une valeur fabuleuse, d’une raquette de tennis trafiquée, d’enseignantes aux capillaires en folie, d’enquêteur aux moustaches « grandioses ». Agatha Christie est, une fois de plus, en pleine forme, même à l’heure de la rentrée des classes – surtout à l’heure de la rentrée des classes – elle nous donnerait presque envie de prendre pension chez la très distinguée Miss Bulstrode !

Des cheveux, en pagaille

A Meadowbank, chaque enseignante est repérable à un capillaire très caractéristique. Miss Eleanor Vansittart, co-fondatrice de ce collègue réputé, qui n’accueille que la fine fleur de la société anglaise, est un modèle de distinction et de savoir-vivre. Ses cheveux, tout comme ses idées en matière d’enseignement, sont dans un ordre parfait (« Pas un seul cheveu ne dépassait de sa coiffure […]). La directrice, Miss Honoria Bulstrode, est du même bois. Ses « cheveux gris impeccablement coiffés » ne témoignent d’aucun laisser-aller. Ann Shapland, la toute nouvelle secrétaire, est drôlement lotie en matière capillaire. Cette jeune femme possède, en effet, des cheveux noirs, qui « sont ajustés comme un petit bonnet de satin. » Melle Angèle Blanche, la professeure de français, ne déroge pas à la règle du collège ; « pas de maquillage » et « des cheveux bruns coiffés avec netteté mais sans grâce » font de cette jeune personne l’employée–modèle, caractéristique de ce type d’institution. Melle Blanche n’est pas du genre « à sortir en cheveux » ! Miss Eileen Rich, la professeure de littérature anglaise, apporte un peu de diversité dans cette série de coiffures strictes et impeccables. Son chignon (« Quand elle s’agite vraiment, sa coiffure s’effondre ») « fiche le camp » en permanence, au point que Miss Bulstrode lui intime l’ordre de prendre rendez-vous chez « un bon figaro pour se faire coiffer correctement ». Miss Grace Springer, la professeure de gymnastique, est encore pire ; ses « cheveux rouges » témoignent d’un mauvais goût prononcé en matière de teintures capillaires. Cette femme, qui ne connaît pas les déodorants – « elle sent mauvais quand elle a chaud » - n’est absolument pas appréciée des élèves qui se plaignent de son caractère autoritaire.

De la brillantine, plein les bagages

L’installation des jeunes filles dans leur chambre respective se fait dans un calme quasi absolu. Un incident est, toutefois, à déplorer. Pamela a cassé un flacon de cosmétique dans sa valise. « ça a coulé partout. Je crois que c’est de la brillantine ».

Maquillage discret autorisé

Le règlement du collège est clair au sujet du maquillage… il doit être discret pour être toléré. A bon entendeur…

Un parfum entêtant, plein le bureau de la directrice

Le jour de la rentrée, Miss Bulstrode reçoit les parents de ses pensionnaires, un à un, les rassurant au passage, sur le choix qu’ils ont fait. Meadowbank est la meilleure école d’Angleterre. Certains parents laissent dans son bureau des « bouffées de parfum de luxe », qui laissent supposer que l’on n’y va pas avec le dos de la cuiller lors de l’étape de parfumage (« Elle doit s’en inonder d’un plein flacon tous les jours. ») Le parfum « entêtant » persiste longtemps dans l’air.

Un poil au menton qui déclenche une série de réactions en chaîne

Des pierres précieuses sont cachées dans le collège. Bob Rawlinson, un ami du « cheik héréditaire du sultanat de Ramat », a réussi à faire sortir du pays un sachet de pierres précieuses, alors que la révolution gronde ; c’est dans les bagages de sa sœur, Joan Sutcliffe, que le sachet a été glissé. La cachette est sûre… jusqu’à un certain point. Lorsque Bob a enfoui les pierres précieuses dans le manche d’une raquette de tennis, des yeux ennemis étaient là tapis dans l’ombre. Grâce à un miroir, la personne qui occupe la chambre voisine de Joan, a tout vu. « A l’origine, elle était sortie (sur le balcon) pour examiner de plus près le poil unique qui avait eu l’audace de lui pousser au menton. Elle lui avait réglé son compte avec une pince à épiler, puis elle avait soumis tout son visage à un examen attentif dans la claire lumière du soleil. »La raquette, suivie à la piste, mènel’intrigante au menton poilu à Meadowbank, sur les pas de Jennifer Sutcliffe, la jeune fille à la… raquette !

Ronnie, l’agent infiltré dans le collège

Ronnie, « jeune, grand, brun et musclé », un agent des services secrets, est infiltré dans ce collège pour jeunes filles riches. Sa couverture : un travail de jardinier !

Julia Upjohn, une jeune fille pleine de ressources

Par déduction, Julia comprend que des pierres précieuses sont logées dans le manche de la raquette de Jennifer. En deux temps trois mouvements, les pierres sont extraites de celle-ci et cachées dans « une trousse de toilette », « sous une éponge et une brosse à ongles », puis, direction le 228 Whitehaven Mansions, afin de confier le contenu de la trousse de toilette au détective Hercule Poirot.

Melle Blanche, une Française perspicace

Melle Blanche sait beaucoup de choses. Elle a décidé de faire chanter l’auteur des crimes de Meadowbank ; erreur funeste. Un changement d’attitude s’opère. La jeune femme se met à rêver d’une vie facile sur la côte d’Azur. Elle s’autorise désormais « un maquillage discret » à base de poudre de riz et de rouge à lèvres. Ce virage cosmétique doit être signalé !

Hercule Poirot, le détective aux moustaches « grandioses »

Pour cette fois, Hercule Poirot n’entre en scène qu’à la fin du roman. En conversant avec les uns et les autres, il se rend compte que la meurtrière – il n’y a pas de doute, c’est une femme – est une pro du maquillage. Capable de se transformer avec une perruque blonde et un maquillage très marqué (genre « Américaine »), visant à modifier le regard (« des cils remodelés d’un coup de crayon »), la criminelle change d’aspect à volonté.

Tout en se caressant les moustaches « avec soin », Hercule fait fonctionner ses précieuses cellules grises. La seule chose à craindre est une élévation brutale de la température ambiante, susceptible de ramollir des moustaches soigneusement empesées. « Il tâta sa moustache et fut soulagé de constater qu’elle ne présentait aucun signe de faiblesse. »

Et une petite pierre dans le jardin des Français

Dans ce roman plein de rebondissements, Agatha Christie égratigne un peu les Français, en présentant les professeures de français comme des femmes qui pleurent tout le temps « comme des madeleines » et que l’on ne peut que comparer à de « vraies fontaines ».

Et encore…

On y apprend, enfin, qu’Hercule Poirot est le roi de l’omelette – c’est en tout cas lui qui le prétend !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour sa nouvelle illustration d'un roman d'Agatha Christie !

Bibliographie

1 Christie Agatha, Le chat et les pigeons, eds du masque, 1998, 255 pages

 

 

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