Nos regards
« A bas le corset, vive la crème amincissante ! »

> 14 juillet 2017

« A bas le corset, vive la crème amincissante ! » Le corset n’est pas un outil orthopédique d’invention récente. Durant l’Antiquité, Romains et Romaines avaient déjà recours à cet « objet de torture ».

Les femmes revêtent un corset afin d’affiner leur silhouette. Dites à une Romaine vivant une centaine d’années avant Jésus-Christ qu’elle possède une « taille de guêpe », elle vous regardera immanquablement avec des yeux écarquillés. La comparaison qui est employée alors pour désigner une taille extrêmement fine met à l’honneur le monde végétal. « Vous êtes élancée comme un jonc », voilà comment il convient de s’adresser à la femme que l’on cherche à complimenter. Afin d’atteindre la félicité esthétique, quelques efforts doivent être consentis.

Le poète Térence n’est pas très tendre pour les mères « qui abaissent les épaules de leurs filles et leur compriment la poitrine afin de les rendre plus minces. » Si la jeune demoiselle possède un solide appétit, les mères attentives aux canons esthétiques en vigueur n’hésiteront pas à diminuer les portions alimentaires afin de lutter contre la nature trop généreuse de leur progéniture.

Pour les hommes, comme pour les femmes, les corsets peuvent permettre de « redresser la taille » ou de rétablir un équilibre branlant au niveau des épaules. Des coussins, de petites planchettes de bois permettront de corriger les défauts les plus apparents.

Ovide dans « L’Art d’aimer » ne s’oppose pas à l’emploi de quelques artifices. Une seule contrainte : garder l’existence du corset secrète. « Que de choses nous choqueraient si nous les voyions faire et qui nous plaisent une fois faites. » (C. James, Toilette d’une Romaine au temps d’Auguste, Paris, 1865, 300 pages).

Au tournant du XIXe et du XXe siècle, le Dr Monin ne manque pas d’humour lorsqu’il aborde « la question du corset chez la femme ». « En dépit des objurgations de l’hygiène, la femme soutient et soutiendra toujours le corset. Vous me direz que celui-ci le lui rend bien : n’est-il pas l’indispensable armature du costume féminin actuel ? » Le Dr Eugène Monin se laisse aller à ironiser sur le rôle de soutien-gorge exercé par le corset. Selon lui, le corset a pour but de « rabattre les superbes, de soutenir les faibles, de contenir les égarés et même (doit-on le dire ?) d’illusionner sur les absents. » Le style n’est pas sans rappeler celui de l’écrivain Colette chez qui l’on retrouve des propos assez similaires dans la bouche d’une corsetière. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’avis du professionnel de santé. Celui-ci est mitigé. Le corset droit qui « déprime le ventre et dirige les organes en arrière » dessine une silhouette féminine assez particulière. Ce corset qui transforme la plus belle femme du monde en « gallinacée » a certainement inspiré l’auteur de la chanson « Viens Poupoule » (E. Monin, Pour le beau sexe - Causeries d’un vieux spécialiste, Paris, Albin Michel, 1914, 317 pages). Amateur de belles femmes, de corsets en « tissus élastiques » et de chanson française, ce médecin qui met ses talents au service des femmes en quête de conseils esthétiques ne manque jamais de nous amuser !

Marcel Proust regrette, quant à lui, que le corps admirablement fait d’Odette de Crécy, l’un de ses personnages d’ « A la recherche du temps perdu », soit masqué par un attirail vestimentaire dont il nous fait une description complète. « il était difficile d’en apercevoir la continuité (Marcel Proust parle ici du corps) (à cause des modes de l’époque et quoi qu’elle fût une des femmes de Paris qui s’habillaient le mieux), tant le corsage, s’avançant en saillie comme sur un ventre imaginaire et finissant brusquement en pointe pendant que par en dessous commençait à s’enfler le ballon des doubles jupes, donnait à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres ; tant les ruchés, les volants, le gilet suivaient en toute indépendance, selon la fantaisie de leur dessin ou la consistance de leur étoffe, la ligne qui les conduisait aux nœuds, aux bouillons de dentelle, aux effilés de jais perpendiculaires, ou qui les dirigeait le long du busc, mais ne s’attachait nullement à l’être vivant qui, selon que l’architecture de ces fanfreluches se rapprochait ou s’écartait trop de la sienne, s’y trouvait engoncé ou perdu. » (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/encore-un-instant-m-proust-218/)

Au début du XXe siècle, Melle Chanel recherche « la simplicité, la souplesse, la liberté » de son « corps sous les vêtements. » Elle se refuse à « ressembler à un diabolo et à porter une armature de baleines. » Si ses rêves de petite fille l’ont portée, dans un premier temps, vers des robes de princesse, «moulant le buste et les hanches et s’évasant dans le bas [...] », la jeune couturière prend des libertés avec les modes du temps. Ce qu’elle porte, ce sont « des jupes étroites et plissées », « des blouses chemisiers », « des costumes de flanelle », autant de vêtements qui lui permettent de bouger, de vivre... « On n’avait jamais vu cela. » (L. de Vilmorin, Mémoires de Coco) mais très rapidement on ne rêve plus que de cela... Melle Chanel défile devant ses amies, ses connaissances et suscite l’envie. Qui donc est assez audacieuse pour révolutionner la mode ? Coco, tout simplement !

La guerre de 14-18 trouva les femmes « entravées doublement, serrées à la taille et aux jarrets et dûment ondulées. ». « Un coup de ciseaux ici, un lacet dénoué là... », la liberté en quelques minutes ! Melle Chanel est passée par ici. Elle reviendra par là. Il ne faut pas croire, pourtant, que la mode qu’elle propose convient à toutes. Certaines vont continuer à vouloir battre des records de taille fine. Elles prennent alors modèle sur une actrice à la mode, la Polaire, amie et sosie de Colette. « Sa taille jouait à l’aise dans un faux col : quarante-deux centimètres. « Je crois que je n’ai pas mon compte de côtes, disait-elle. Tâtez, elles finissent là, en haut de mon estomac. » Pour ressembler à la Polaire, des femmes se mirent à la torture. L’une mourut après avoir agrafé sur elle une ceinture de trente-huit centimètres. Alors qu’elle se rend en 1918 chez une corsetière, Colette s’étonne de cette mode qui supprime le corset mais a recours, tout de même, à « des gaines secrètes ». La corsetière en question a mis au point un soutien-gorge révolutionnaire. « Vous prenez votre sein comme ça, vous le tirez en avant comme ça vous le rabattez comme ça vers le bas en appuyant dessus. Autant pour l’autre. Il est préférable de vous faire aider, afin de bien placer mon n°17, la bande élastique qui fixe le sein dans son attitude et qui pour ainsi dire l’escamote. Sous la robe, plus rien ! C’est merveilleux. J’ai appelé mon invention : le sein plié. » (Colette, Belles saisons II, 1945). L’époque est arithmétique. Les chiffres se bousculent. Certaines femmes continuent à ressembler à un 8, « épanouie en bas, sa forme garde l’empreinte du corset », d’autres utilisent le n°17 pour obtenir une poitrine de jeune homme, tout cela parmi les effluves du n°5...

C’est à cette époque que Marcel Pagnol fait l’expérience d’une embrassade un peu particulière. Le corset n’est pas un outil à destination des mères... toute effusion peut être arrêtée nette par une rangée de baleines métalliques qui n’augurent rien de bon. Tante Fifi « me serra sur son cœur, c’est-à-dire contre les baleines de son corset. » (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/marcel-pagnol-le-temps-des-secrets-cosmetiques-247/)

En 1935, on s’arrache le dictionnaire de soins de beauté, édité par la marque Tho-Radia. Son petit format, pratique, permet de le consulter en toutes circonstances. Etes-vous chez votre corsetière, vous vous assurerez que vous faîtes le bon choix, en feuilletant, fébrilement, le précieux ouvrage, pendant que la vendeuse s’occupe de la cliente précédente. Il est encore temps de faire demi-tour ! Vous venez, en effet, de trouver la monographie « corset ». « Ce meuble de la fausse élégance féminine tend à disparaître dans sa forme extra-rigide, source de dyspepsie, constipation, palpitations, tuberculose et troubles subabdominaux. Les ceintures, gaines, et autres remplaçants du corset à baleines, ne sont utiles que s’ils présentent assez d’élasticité pour soutenir les organes abdominaux sans les comprimer. Le soutien-gorge est très recommandé, à condition de ne pas serrer les seins et de laisser évaporer la transpiration. » Partie pour acheter un corset, vous faites volte-face et optez pour un simple soutien-gorge.

Pour affiner la taille, on trouve désormais une solution cosmétique. On voit se multiplier les publicités pour la gelée amaigrissante Ixennol, une gelée que l’on applique partout où des surcharges adipeuses viennent à gêner le regard. Visage, taille, cheville... autant de cibles pour ce produit qui fait véritablement « fondre » la graisse (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/iode-et-amaigrissement-ou-amincissement-une-histoire-complexe-147/).

1949 : le corset n’est pas complètement mort. Marcelle Auclair prône le corset naturel. Une musculature développée à souhait doit permettre un maintien impeccable. Marcelle Auclair situe l’âge de la décadence physique vers 20 ans. « Passé vingt ans, il est difficile d’obtenir par l’exercice cette forme idéale, à moins d’une rare persévérance dans la demi-heure de culture physique quotidienne. » Dans le cas où la silhouette « est disgracieuse », « l’usage du corset ou de la gaine s’impose ». Un corset sur-mesure sera conseillé. Il faudra éviter de repousser les bourrelets en périphérie... bien entendu (Auclair M., La beauté de A à Z, 1949, Paris, S.E.P.E., 393 pages).

2017 : le corset est aux orties. Les gaines, panty-gainants, culottes-gainantes… n’ont plus rien à voir avec leur illustre ancêtre. Le but n’est plus d’avoir la taille la plus fine possible, mais bien plutôt d’offrir le ventre le plus plat possible. Des crèmes amincissantes sont utilisées à cette fin... avec ou sans succès, d’ailleurs !

Après une souveraineté de plusieurs millénaires, on peut assurer, actuellement, en ce 14 juillet 2017, que le corset est bien mort. Les crèmes amincissantes, quant à elles, viennent à l’attaque des capitons et autres surcharges graisseuses. Ce sont elles désormais qui portent la couronne. A la manière de ce qui se disait sous l’Ancien régime, nous pouvons proclamer : « Le corset est mort ! Vive la crème amincissante ! »

Un très grand merci à Jean-Claude A. Coiffard pour son interprétation, en tant que poète et plasticien, de l'idée que Colette se faisait de la silhouette !

Pour apprécier l'illustration dans tous ses détails, n'hésitez pas à cliquer dessus, afin de l'agrandir !


Retour aux regards