> 13 février 2022
On ne dira jamais assez combien une promenade nocturne dans le parc d’un château peut être dangereuse, sentimentalement parlant. De quoi perdre ses illusions… à tout jamais. Stefan Zweig nous en fait une magistrale démonstration dans un Conte crépusculaire qui bruisse des bruits de la nuit et des rires de jeunes filles.1
Une sortie nocturne et voilà une jeune femme qui vous saute au cou ! La nuit est sombre. Impossible de distinguer les traits de l’inconnue. La douceur de sa peau, en revanche, est bien perceptible. Son parfum est également reconnaissable entre mille, semble-t-il… « Les lèvres inconnues », les « vêtements » de l’inconnue, ses « cheveux dénoués »... autant de sources de parfums « capiteux », pleins de « volupté ». Un bouquet floral, frais et poudré qui évoque toute la tendresse d’une nuit d’été.
Le jeune homme qui a été saisi, la nuit, par le parfum d’une inconnue, se fait chasseur d’odeurs le jour. Narines au vent, notre jeune inspecteur tente de retrouver, parmi les nombreuses fragrances qui habitent le château écossais où il passe ses vacances, le parfum qui a fait chavirer et tourmente son cœur. « A midi, pendant le lunch, il se penche vers elles, en leur parlant pour sentir le parfum de leurs lèvres ou la tiédeur de leurs cheveux [...] ». Sa cousine, la blonde Margot, est la plus jolie de toutes, avec sa « peau transparente » et ses cheveux embaumés « de toutes les senteurs des fleurs du jardin »... Pourvu que ce soit elle ! Oui, c’est sûrement elle se convainc l’adolescent qui continue à fréquenter le parc et à retrouver, chaque nuit, sa belle amoureuse.
Et puis, notre jeune rêveur se casse la jambe en voulant jouer les Roméo sous la fenêtre de Margot. Installé sur une chaise longue, les yeux fermés, le jeune homme attend la visite de sa bien-aimée. Et là voilà qui se fait sentir... « Il lui semble qu’elle se penche davantage sur lui, qu’il sent près de son visage ce léger parfum, cette subtile odeur de lilas mouillé qu’il reconnaît pour l’avoir respirée sur ses lèvres. » A trois il ouvrira les yeux... A trois il recevra la claque de sa vie... En lieu et place de la belle Margot, la petite et insignifiante Elisabeth...
Par pitié, ne pas se fier à ses souvenirs olfactifs si l’on veut réussir sa vie sentimentale ! Le jeune homme de ce Conte crépusculaire n’a pas survécu à son désenchantement. Adulte, il est devenu un homme froid et taciturne qui évite soigneusement les femmes et garde toujours en mémoire les séquelles d’une idylle parfumée qui a tourné vinaigre au moment d’ouvrir les yeux.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous confirme, en image, qu'il faut se méfier de l'odeur du lilas !
1 Zweig S., Conte crépusculaire in Brûlant secret, Les cahiers rouges, Grasset, 1989, 301 pages