> 02 avril 2022
Jean Meckert situe son roman Nous avons les mains rouges pendant la tragique période de l’épuration qui fit suite à la Seconde Guerre mondiale.1 Est soulevée l’épineuse question d’une certaine exigence d’une certaine justice…
Une moustache peut ne pas être gaie du tout… c’est ce que l’on en déduit quand Laurent Lavalette va obtenir, après deux longues années d’emprisonnement, les clés de sa liberté des mains d’un « gardien à la triste moustache ». Commence alors, pour lui, une sinistre histoire, ponctuée d’odeurs très variées… sur lesquelles il est difficile d’apposer un qualificatif plaisant. Enfin libre ! Ses pas le mènent un peu au hasard des rues de Rocheguindeau. « Du caniveau montait une odeur croupie ». « C’était la vraie province […] nauséabonde par secteurs alternés. » « Ca sentait maintenant le chèvrefeuille et même l’herbe brûlée en approchant de la gare. » « Du crottin de cheval, […] répandait une forte odeur. » Un café, bien nommé « le Café de la Gare », quoique « minable » est toujours bienvenu pour tout voyageur qui attend un train… quoique… il y règne « une odeur de vinasse et de serpillère mal rincée. » Pouah !
Deux hommes… deux guides vers l’horrible destin… Il y a d’abord, « un homme bien droit, bien digne, avec des cheveux grisonnants ». « Le sommet du crâne était dégarni », « les sourcils et la moustache étaient d’un blanc tirant sur le jaune ». Une sorte d’archétype de la respectabilité, M. Jules-Antoine-Auguste d’Essartaut, quoi… Il y a aussi Armand, un « homme jeune et costaud ».
Elles sont deux les « charmantes filles » d’Essartaut, Christine et Hélène. L’une est « châtain tirant sur le blond », l’autre « tirait sur le brun » Hélène est même au-delà de charmante… c’est « une si belle fille, intelligente et saine »… quant à Christine, rapidement on identifie, son handicap… elle est muette !
Laurent « trouvait bien pâle sa face de taulard, et bien courts encore ses cheveux qui n’avaient pas deux mois depuis le dernier rasibus de la prison où sévissaient la teigne, les poux, les morpions, les punaises et autres bestioles. » Il pense alors « quelques jours de soleil » lui conféreront « rapidement le genre du sportif bronzé. » Le bronzage n’est sans doute pas pour tout de suite… « Un coup de soleil ! dit Laurent qui se sentait brûler le nez, le front et les pommettes. »
Dans l’immédiat, le lit qui lui est offert est sommaire, certes… mais il « était neuf […] et ça sentait bon. »
Un lit, mais aussi le couvert (« un large plat d’odorant ragoût » nous met l’eau à la bouche) et un emploi, voilà ce que va trouver Laurent chez les d’Essartaut. Un travail dans la scierie familiale où règne « une fine poussière de sciure et une odeur de pétrole qui perçait sous celle de résine. ». Cette odeur caractéristique on l’identifie de loin (« L’odeur de sciure devenait sensible »)
Le travail y est intense et les suées profuses ; « au bout d’un quart d’heure d’efforts, […] Laurent avait une sueur épaisse sur tout le corps et les mains tremblantes. »
« L’air sentait bon la résine et la sève fraiche. » Et comme il est bon de faire « une promenade matinale dans l’odeur des pins ».
A l’office, on peut observer à loisir les paroissiennes et il y a un peu de tout ! « une fille du genre mastard, poitrine énorme, cheveu rare et cou de taureau », à « la mâchoire carrée », « une autre fille encore, |…] avait le regard clair, mais le visage tanné, cuit et ridé, malgré une jeunesse certaine »… sans oublier « la fille à peau de pêche »…
« Au bal de Brédanne », autres occasions… Particulièrement Janine Arbonnin, « une fille un peu ramassée mais au doux regard de bonne vache », âgée de « vingt-deux ans ». « Après quelques danses […] Janine avait les dessous de bras humides de sueur »… mais, bon… de toute façon « sous la tente […] se mêlaient les odeurs de sueur et de poussière. » « Pour allonger son visage carré elle faisait bouffer ses cheveux. […] Elle sentait le parfum chimique. » « Elle devait avoir pris son bain hebdomadaire ; ce n’était pas désagréable, même avec l’imitation d’œillet fané, versé généreusement dans sa chevelure bouffante. » Rien à voir avec Solange Thuillier, « une fille assez lourde, bien coiffée, soigneusement maquillée, du genre acquisivitif et assuré, comme quelqu’un qui est en train de réussir sa vie. » Acquisivitive, cette Solange ! On voit le genre… celui de la fille habituée à obtenir ce qu’elle veut, par le simple pouvoir de l’argent !
En lieu et place d’un rendez-vous amoureux, la soirée se terminera par une belle bagarre quasi généralisée. Laurent s’en tirera après un copieux passage à tabac. Le lendemain, « on lui mit sur la nuque une mixture qui sentait le camphre, mais il refusa énergiquement cotons et bandages » et puis des beignets comme « bon médicament ! » Pas que, en réalité… 10 « comprimés d’aspirine » aussi !
Un drame en plein soleil, en fait ! « Chauffait l’odeur de résine, et chantaient les oiseaux dans les pins et les hêtres. »
Chez les d’Essartaut, on ne fait pas que couper du bois… loin s’en faut !
Et pour cette activité parallèle (!), tout un arsenal est même prévu. « Il y avait […] les mitraillettes et les grenades et quelques tablettes de plastic présenté comme un potage comprimé qui sentait l’encaustique ».
Jusqu’à « cette nuit tragique » qui verra la mort de d’Essartaut. Dans le miroir, Hélène vit qu’elle « avait de grands cernes jaunes. Elle était laide. Et la petite aussi était laide, son visage était devenu anguleux en quelques heures ». Hélène a « la peau bleue d’indignation ». « Son printemps a l’odeur de mort, de sang et d’incendie ».
Il y a Fructueux et son « visage d’adolescent rouquin et boutonneux », Lucas Barachaud, un « garçon aux sourcils broussailleux », « un homme jeune, mais au visage marqué de rides » qui « avait une tignasse rebelle au peigne ». Lucas c’est une version meckertienne du légionnaire : « il sentait le tabac, le bois vert et le sang… » Un inconnu au « visage un peu gras, méditerranéen, convulsé, une dernière terreur dans le regard. »
C’est « dans le garage qui sentait le vieux gazo refroidi, l’essence et le plâtre humide » qu’Hélène fait part aux autres de la mort du patron. A la scierie, « On voyait déjà la forme d’une grande caisse sur l’établi, dans l’odeur résineuse du sapin. »… « Une odeur d’acétylène » traînait par là… « Malgré les fenêtres ouvertes, l’odeur des fleurs qui masquait la pourriture mettait un climat de migraine. »
La camionnette… Laurent la mit en route dans l’odeur d’essence ». L’arrivée « dans une ruelle qui sentait l’urine et le buis. » Retour « Dans l’odeur d’essence et de cuir de banquette ».
Et toujours cette « odeur d’essence un peu agressive ».
Et enfin, la mort de Laurent, « colonne vertébrale brisée » dans « Une odeur d’urine et d’excréments »… au milieu de « la grande salle » où « rien n’était lavé encore » et où « l’odeur de fleurs fanées persistait »…
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.
1 Meckert J., Nous avons les mains rouges, Edition Joëlle Losfeld, 2020
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