Nos regards
Un produit de protection solaire étonnant : plus c’est mouillé, plus c’est efficace (enfin on l’annonce comme tel !)

> 23 juin 2017

Un produit de protection solaire étonnant : plus c’est mouillé, plus c’est efficace (enfin on l’annonce comme tel !) Quel rapport entre Bécassine et Arinobu Fukuhara ? Quel rapport entre Clocher-les-Bécasses et Tokyo ? Aucun, me direz-vous… et bien vous avez (grand) tort !

Annaïck Labornez, alias Bécassine, est une héroïne de bande dessinée, caractérisée par un grand cœur et un solide bon sens (c’est normal, elle est bretonne !) assorti, toutefois, d’une nette propension à faire des bêtises (dommage !). Arinobu Fukuhara, quant à lui, est un apothicaire bien réel qui a souhaité étendre son activité pharmaceutique au domaine de la beauté. Pour l’instant, rien ne semble donc rendre probable une rencontre possible entre nos deux protagonistes.

Clocher-les Bécasses est le lieu de naissance de notre gentille bretonne ; Tokyo est le lieu où Arinobu Fukuhara débute son activité professionnelle. Pour l’instant, les berceaux de nos deux personnages sont bien éloignés.

Un peu d’histoire pour commencer, Shiseido est une marque d’origine japonaise qui peut s’enorgueillir d’une longue existence. A son origine, un pharmacien, Arinobu Fukuhara, qui concocte, dès 1872, dans son préparatoire, formules magistrales et préparations topiques à usage cosmétique. Vingt-cinq plus tard, changement d’échelle ; le petit commerce prend de l’ampleur avec la mise sur le marché d’une lotion permettant de traiter les problèmes de sécheresse cutanée. Les références iront ensuite en se multipliant.

Mai 2015, Shiseido est la première société à communiquer une information « révolutionnaire » : une crème solaire dont la protection augmente au contact de l’eau ! (https://www.lesechos.fr/17/05/2015/lesechos.fr/02172950487_shiseido-fait-monter-en-puissance-ses-usines-francaises.htm)

Nous y voilà… Le point commun entre Bécassine et Shiseido tient en trois lettres : eau… Une histoire d’eau !

Rappelez-vous, notre Bécassine nationale ne se déplace qu’un parapluie à la main. Notre petite bonne d’origine paysanne est prévoyante ; en outre, elle vient de Bretagne (ceci explique cela) ! Bécassine sait que l’eau mouille, qu’elle détrempe… abîme les vêtements, les chapeaux, les coiffes, fait s’enrhumer… Bref, l’eau, il faut s’en protéger !

Shiseido a remarqué que, pour certaines compositions filtrantes (celles qui renferment des filtres inorganiques très précisément), on observe un phénomène étonnant : le SPF déterminé après immersion dans l’eau est supérieur au SPF déterminé avant immersion ! Pragmatique, la société décide d’exploiter le phénomène et de mettre au point une gamme baptisée « wetforce ». « Les solaires Shiseido nouvelle génération révolutionnent la technologie de la protection solaire. Ce voile protecteur innovant renforce son efficacité lorsqu’il entre en contact avec l’eau ou la transpiration et délivre ainsi une protection intense. » (http://www.shiseido.fr/solaires/) Contrairement à Bécassine qui se méfie de l’eau et sort toujours avec un parapluie à la main, Shiseido puise sa force dans l’eau. Beau programme !

N’ayant pas la crédulité de Bécassine, nous avons voulu vérifier cette assertion par nous-mêmes.

Les indicateurs d’efficacité déterminés par nos soins au Laboratoire de Pharmacie industrielle et de Cosmétologie, pour la crème protectrice WetForce 50+, sont les suivants : SPF de 30 et facteur de protection UVA de 21 (avant immersion dans l’eau), SPF de 41 et facteur de protection UVA de 24 (après 20 minutes d’immersion dans l’eau), SPF de 41 et facteur de protection de 24 (après 40 minutes d’immersion dans l’eau). Le compte n’y est pas, bien qu’effectivement le SPF augmente après les bains !

Conclusion : le SPF est surestimé ; le produit est « plus » que résistant à l’eau.

Penchons-nous maintenant sur la formule longue, très longue… trop longue. Les filtres présents sont peu nombreux. On trouve un filtre UVB (octocrylène), deux filtres UVA (butyl methoxydibenzoylmethane, diethylamino hydroxybenzoyl hexylbenzoate) et deux filtres à spectre large (titanium dioxide, bis-ethylhexyloxyphenol methoxyphenyl triazine). On remarquera que deux filtres (bis-ethylhexyloxyphenol methoxyphenyl triazine, diethylamino hydroxybenzoyl hexylbenzoate) sont situés en milieu de liste à proximité d’un gélifiant (hydrated silica) incorporé forcément en faible pourcentage.

On regrette la présence d’alcool en 5e position et d’un ensemble d’allergènes apportés par le parfum.

On remarque enfin un grand nombre d’extraits végétaux à propriétés anti-inflammatoires.

La scutellaire est une plante que l’on retrouve un peu partout dans le monde. Elle est employée en médecine chinoise pour traiter la fièvre, les sueurs nocturnes, pour fluidifier le sang, augmenter la diurèse… Sa popularité entraîne un épuisement des ressources naturelles. Les formes cultivées possèdent par ailleurs des compositions très variées ; un certain nombre de molécules extraites possèdent un caractère anti-inflammatoire (Rong-Xiu Liu, Guo-Hu Song, Pei-Gen Wu, Xue-Wen Zhang, Hui-Juan Hu, Jia Liu, Xiao-Su Miao, Zhi-Yan Hou, Wen-Quan Wang, Sheng-Li Wei, Distribution patterns of the contents of five biologically activate ingredients in the root of Scutellaria baicalensis, Chinese Journal of Natural Medicines, 15, 2, 2017, Pages 152-160).

Les feuilles de Syzygium jambos sont utilisées en Afrique sub-saharienne pour traiter un certain nombre de pathologies (hémorragies, troubles gastro-intestinaux, diabète). Un effet anti-inflammatoire d’extraits réalisés à partir des feuilles a pu être démontré expérimentalement. Par ailleurs, un effet analgésique a également été prouvé (D. Ávila-Peña, N. Peña, L. Quintero, H. Suárez-Roca, Antinociceptive activity of Syzygium jambos leaves extract on rats, Journal of Ethnopharmacology, 112, 2, 13, 2007, Pages 380-385).

Le genre Ononis est un genre de la famille des Fabacées qui comporte de nombreuses espèces. Les racines d’Ononis spinosa sont utilisées en médecine traditionnelle, en Russie et en Asie centrale, pour traiter les problèmes de peau à type de blessures, d’irritations… Un effet anti-inflammatoire a été démontré expérimentalement (Burçin Ergene Öz, Gülçin Saltan İşcan, Esra Küpeli Akkol, İpek Süntar, Hikmet Keleş, Özlem Bahadır Acıkara, Wound healing and anti-inflammatory activity of some Ononis taxons, Biomedicine & Pharmacotherapy, 91, 2017, Pages 1096-1105).

Ces extraits anti-inflammatoires permettent d’augmenter artificiellement le SPF déterminé in vivo. Il est important de noter que s’ils permettent d’inhiber un érythème, ils ne sont nullement protecteurs… Leur présence est donc à éviter.

Cette gamme WetForce relève du gadget (mais du gadget dangereux !). Si l’on est obligé de se plonger dans une piscine avant de partir en randonnée, cela risque d’en décourager plus d’un !

Cultivons la Bécassine qui sommeille en chacun de nous, sortons bien protégés (par un parapluie ou une crème solaire selon les prévisions météorologiques) et méfions-nous des allégations alléchantes…

WetForce 50+ Shiseido : aqua, butylene glycol, diisopropyl sebacate, octocrylene, alcohol, dimethicone, triethylhexanoin, cetyl ethylhexanoate, titanium dioxide [nano], isohexadecane, isopropyl myristate, polymethylsilsesquioxane, polylmethyl methacrylate, butyl methoxydibenzoylmethane, lauryl PEG-9 polydimethylsiloxyethyl dimethicone, disteardimonium hectorite, polybutylene glycol/PPG-9/1-copolymer, hydrogenated polydecene, trimethylsiloxysilicate, cetyl PEG/PPG-10/1 dimethicone, glycerin, isododecane, sorbitan sesquiisostearate, dextrin palmitate, xylitol, bis-ethylhexyloxyphenol methoxyphenyl triazine, diethylamino hydroxybenzoyl hexylbenzoate, hydrated silica, mineral oil/paraffinum liquidum, phenoxyethanol, triethoxycaprylylsilane, microcrystalline wax, disodium EDTA, fragrance, paraffin, stearic acid, methyl gluceth-10, talc, distearyldimonium chloride, limonene, linalool, PEG/PPG-14/7 dimethyl ether, saxifraga sarmentosa extract, scutellaria baicalensis root extract, butylphenyl methylpropional, benzyl benzoate, hexyl cinnamal, sodium metabisulfite, eugenol, geraniol, syzygium jambos leaf extract, ononis spinosa root extract, ectoin, tocopherol, BHT, sophora angustifolia root extract.

Nos remerciements vont à Mme Eva Paparis qui a déterminé les valeurs expérimentales présentées ici et obtenues avant et après immersion.

Retour aux regards