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Marcel Pagnol : le temps des secrets... cosmétiques

> 11 juin 2017

Marcel Pagnol : le temps des secrets... cosmétiques

Après nous avoir fait découvrir, avec beaucoup d’amour, tous les membres de sa famille et les savons qui ont hanté son enfance, Marcel Pagnol nous chuchote quelques secrets cosmétiques. Suite à des vacances marquées par la rencontre avec Isabelle, Marcel franchit une étape importante de sa vie en devenant externe au lycée.

Où il est question de parfum

Le meilleur parfum pour Marcel Pagnol est celui qui vient de la nature. Bio avant les cosmétiques biologiques, Marcel Pagnol n’aime rien tant que les odeurs de ses chères collines : « Une brise légère venait de se lever : elle attisa soudain le parfum du thym et des lavandes. » Le fenouil qui entre dans la composition des recettes culinaires maternelles possède, lui aussi, un parfum inimitable. « Je tranchai à ras de terre les plus tendres pousses : je fus aussitôt entouré par une délicieuse odeur verte, celle des berlingots à l’anis. » Pourtant, ses narines commencent à frissonner au contact de parfums moins innocents. La tante Fifi, sœur de Joseph, est « une femme de bien, ce qui ne l’empêchait pas d’être belle, et de sentir bon. » L’eau de Cologne vient mettre fin aux jeux imaginés par son premier amour, Isabelle. Pour lui donner l’aspect d’un esclave (son esclave), elle lui noircit « le visage et les mains avec un bouchon brûlé ». Le nettoyage s’effectue, le soir venu, à l’aide d’un « tampon de coton trempé d’eau de Cologne ».

Où il est question de l’échec d’un coiffeur amateur qui se voit confisquer son matériel suite à une faute professionnelle impardonnable

Après avoir coupé, pour la première fois, les cheveux du petit Paul, Joseph décide de suivre les conseils de sa sœur Marie. Celle-ci « lui avait un jour conseillé de tondre à ras la petite sœur, afin d’épaissir ses tresses futures, et le coiffeur du quartier avait confirmé l’excellence du procédé. » Fort de son succès, Joseph passe la « tondeuse neuve » dans les jolies boucles de la petite sœur. Le résultat est, comme on peut s’en douter, consternant. « La vue directe de ce crâne enfantin qui paraissait énorme, nu et fragile comme un œuf, était vraiment inquiétante. On voyait battre la fontanelle, comme si un poussin allait en sortir. » La tondeuse finit sa courte vie au fond d’un puits et le coiffeur vaniteux au piquet ! « La pastèque rose » qu’est devenue la tête de la pauvre enfant sera désormais couverte d’une « vieille toque de fourrure » afin de la préserver des coups de soleil, des courants d’air. »

Où il est question d’un corset qui embrasse mieux qu’il n’étreint : Tante Fifi « me serra sur son cœur, c’est-à-dire contre les baleines de son corset. »

 

Où il est question d’un rituel matinal du rasage qui finira 40 ans plus tard par un drame conjugal

C’est, en effet, « un dimanche matin, pendant qu’il se rasait, et qu’elle lui présentait tour à tour le bol plein de mousse et la serviette » que la grand-mère de Pagnol « lui raconta la visite du compagnon déloyal. » Quelque temps auparavant celui-ci était venu lui raconter les incartades de son époux. Après une soirée arrosée, la grand-mère finira par planter sa dernière dent dans l’épaule du mari infidèle !

Où il est question d’un phototype I présenté de façon beaucoup plus vivante que celle à laquelle nous a habitué par la suite le dermatologue Fitzpatrick

Pour la grand-mère qui s’est vue supplanter, un temps, par une superbe rousse, ce phototype est source d’énervement. « Surtout méfiez-vous des rousses ! Lorsque vous aurez un mari, n’en invitez jamais chez vous ! C’est mou, c’est sale et ça sent une odeur fade, un peu jaunâtre, comme le fromage de gruyère : mais il y a des hommes qui aiment ça ! » Pour Marcel, le phototype I évoque trois personnages beaucoup plus sympathiques : Clémentine, la fille de la concierge de l’école primaire, d’une part, (elle a « de longs cils carotte » et « ses joues blanches étaient piquetées de taches rousses : Mangiapan affirmait que dans sa petite enfance, elle avait dû s’endormir en plein soleil à l’ombre d’une passoire. »), son camarade Nelps et ses « fins cheveux de cuivre » ainsi que le surveillant Poil d’Azur « appelé ainsi car il est roux » !

Où il est question de maquillage outrancier et de drôle de tournure

« Il y avait même une amie de ma mère qui avait la figure tout enfarinée comme une sardine crue, avec la bouche peinte, et les paupières charbonneuses. Elle m’embrassait très gentiment, et ça ne me déplaisait pas : mais quand elle était partie, il fallait me débarbouiller, et mon père ouvrait la fenêtre, parce que ça sentait plus fort que chez le coiffeur. » « J’avais compris que la mauvaise tournure des affaires de cette dame n’était rien d’autre que sa manie de se peindre, afin de tromper les gens sur sa beauté, ce qui ne me paraissait pas honnête. » La mère d’Isabelle n’a pas meilleure réputation aux yeux de Lili jaloux d’une amitié qui l’exclut. « Celle-là dit Lili, c’est un caramentran (il voulait dire un mannequin de carnaval). Elle se peint la bouche en rouge, et les yeux en noir. »

Où il est question d’un dentifrice blancheur par effet d’optique

Alors que ceux-ci n’existent pas encore sur le marché, Marcel Pagnol en explique le procédé ; son amie Isabelle possède un sourire merveilleux. « ses petites dents, parfaitement régulières, brillaient comme de la nacre, avec un léger reflet bleu [...] » En déposant un film de colorant bleu sur les dents, on obtient un effet blanchissant. En effet, la couleur bleue complémentaire de la couleur jaune annule son effet !

Où il est question d’une idée de petit Paul visant à valoriser la dépouille d’un blaireau

En coupant ses poils, petit Paul décide de fabriquer « des brosses pour les dames, et des pinceaux à barbe pour les messieurs. » C’est plutôt une bonne idée...

Où il est question du détournement d’un médicament pour un usage esthétique

Ce procédé qui consiste à utiliser un médicament à d’autres fins que le traitement ou la prévention de pathologies n’est pas nouveau. Avant d’aller retrouver Isabelle, Marcel se lave consciencieusement les mains et tente de discipliner ses cheveux rebelles. « Enfin, je découvris sur une étagère, dans un pot de porcelaine, une pommade verte à l’odeur aromatique qui était de la vaseline mentholée, pour les rhumes de cerveau, mais que je pris pour un cosmétique. J’en enduisis mes cheveux, que je lissai longuement à la brosse, avec l’espoir de rabattre un épi [...] » Sans être jamais entré dans un laboratoire cosmétique, Marcel nous décrit ici les brillantines semi-solides telles qu’elles sont définies par René Cerbelaud dans son formulaire de parfumerie. « On les obtient la plupart du temps, avec des vaselines américaines, ou alsaciennes, molles, visqueuses, filantes que l’on teinte légèrement en jaune orangé, en vert ou en rose avec des stéarates colorants [...] »

Où il est, tout de même question de savon

Si le savon est évoqué de multiples fois dans les deux premiers tomes des souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, il n’y est fait qu’une allusion discrète dans le « Temps des secrets ». Marcel découvre avec envie le luxe qui caractérise les externes. Ceux-ci sont des enfants de riches pour lesquels toute occasion est bonne pour faire étalage de signes extérieures de richesse. Ils possèdent « des gommes à effacer aussi grandes que des savonnettes. » On notera que l’élément qui sert de toise au petit Marcel est le savon qu’il a tant trimbalé durant les voyages qui le menaient à la maison des vacances !

Blancheur de la mousse de savon, parfums verts ou jaunâtres, maquillage bicolore (en rouge et noir comme chantait Jeanne Mas), brillantine verte, dents aux reflets bleutés, cheveux incandescents... décidément, les secrets cosmétiques de Marcel Pagnol sont aussi colorés que l’arc-en-ciel, qui naissait sur les collines, entre les gouttes de pluie !

Un immense merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui continue à enchanter nos Regards avec ses collages !

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