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Marcel Pagnol : à la gloire du savon !

> 04 juin 2017

Marcel Pagnol : à la gloire du savon ! Dans ses souvenirs d’enfance (La gloire de mon père, Le château de ma mère), Marcel Pagnol nous transporte dans sa Provence natale. Son père Joseph (« [...] ses cheveux d’un noir bleuté, ondulaient naturellement les jours de pluie. ») et sa mère Augustine (« une petite couturière brune » toute menue, toute fine), des parents aimants, ne sont pas du genre à utiliser une foule de cosmétiques, pour une raison toute simple, les revenus sont modestes et chaque dépense est minutieusement calculé. Le savon est quasiment le seul cosmétique à franchir le seuil de la maison... Il est, toutefois, utilisé, en abondance...

Qui dit Provence dit parfum. Ceux-ci sont omniprésents dans les pages de ces souvenirs. « Un parfum puissant s’éleva comme un nuage et m’enveloppa tout entier. C’était une odeur inconnue, une odeur sombre et soutenue, qui s’épanouit dans ma tête et pénétra jusqu’à mon cœur. C’était le thym [...] ». Thym, aspic, romarin forment un trio qui célèbre les beautés de la création sur l’autel de la nature. « L’air était calme, et les puissantes odeurs de la colline, comme une invisible fumée, emplissaient le fond du ravin. » Avant l’orage « les parfums de la colline - et surtout celui des lavandes - étaient devenus des odeurs, et montaient du sol presque visibles. »

Où il est question « d’un enfant de vieux » : le petit cousin Pierre est le fils de Rose, la sœur d’Augustine, 28 ans, et de Jules, 39 ans. Ayant entendu une commère discourir sur les « enfants de vieux », Marcel envisage le pire. « J’imaginai qu’il serait tout rabougri, et qu’il aurait sans doute des cheveux blancs, avec une barbe blanche comme celle de mon grand-père - plus petite évidemment, et plus fine - une barbe de bébé. ». La réalité est toute autre. Le cousin Pierre est un beau bébé Cadum (Voir Regard : « Bébé Cadum, trois hommes pour un couffin »), potelé et rose à souhait !

Où il est question de toilette : La « grande toilette » est pratiquée une fois par semaine, le jeudi, jour de congés des enfants. Cette grande toilette est jugée fastidieuse par Marcel qui a mis au point une technique imparable pour faire croire à ses parents qu’il respecte leurs consignes à la lettre. « Je commençais par m’habiller des pieds à la tête, puis je fis semblant de me laver à grande eau : c’est-à-dire que vingt ans avant les bruiteurs de la radio-diffusion, je composai la symphonie des bruits qui suggèrent une toilette. » Après un concert de « chocs sur la tôle du tub » et de jets d’eau savamment dirigés, Marcel donnait l’illusion d’une « toilette plausible, sans avoir touché une goutte d’eau». Si la toilette, en ville, est une corvée, elle devient, un divertissement très apprécié, une fois pratiquée dans la maison de vacances. « Mon père avait adapté un long tuyau en caoutchouc au robinet de la cuisine. Il en sortait par la fenêtre, et venait aboutir à un bec-de-lance, en cuivre, sur la terrasse. J’arrosais Paul, puis il m’inondait. Cette façon de faire était une invention géniale de mon père, car l’abominable « toilette » était devenue un jeu. ». A la fin des vacances, lorsque le départ est imminent, Marcel décide de fausser compagnie à sa famille et de rester vivre dans ses chères collines. Son ami Lili est là pour l’aider. Il le rassure en lui parlant d’une source qui produit au moins 10 litres d’eau par jour. Marcel qui sent son courage l’abandonner trouve dans ce pauvre débit un argument de poids pour stopper l’aventure. 10 litres cela ne suffira pas ! « Pour se laver, avec une poignée d’eau ça suffit. Pour toi, peut-être. Mais moi, il faut que je me savonne de haut en bas ! Pourquoi ? Tu es malade ? Non. Mais il faut comprendre que je suis de la ville, ça fait que je suis tout plein de microbes. Et les microbes, il faut s’en méfier ! Qu’est-ce que c’est ? C’est des espèces de poux, mais si petits que tu ne peux pas les voir. Et alors, si je ne me savonne pas tous les jours, ils vont me grignoter petit à petit, et un de ces quatre matins, tu me trouves mort dans la grotte et tu n’auras plus qu’à aller chercher une pioche pour m’enterrer. ». C’est un hibou menaçant qui marquera la fin de cette escapade nocturne !

Où il est question de savon : la douche bien plaisante est parfois remplacée par un « bain, avec du savon ». Ces quatre mots suffisent à faire fuir Paul tout au fond du jardin ! Le savon est consommé en quantité considérable chez les Pagnol, 3 kilos pour un été ! C’est un bien de première nécessité aussi indispensable que les provisions de bouche (« Je portais deux musettes, l’une contenait des pavés de savon, l’autre des boîtes de conserve et diverses charcuteries »). La « glacière » est bricolée avec « une caisse à savon » dans laquelle on place un bloc de glace.

Où il est question de brocante et de désinfection : les visites réalisées à l’ami brocanteur afin de meubler la maison de vacances sont toujours fructueuses. Augustine, qui craint les microbes, a mis au point un système de désinfection pour le matériel et pour ceux qui ont porté le matériel « souillé ». « Dès notre arrivée à la maison, ma mère, selon le rite établi, nous dépouillait de ce butin, me lavait les mains à grande eau, et brossait nos trophées à l’eau de javel. »

Où il est question d’alcool : Joseph est ce que l’on appelle un hussard de la République. Athée, il n’en croit pas moins aux valeurs morales et se fait une règle de les inculquer à ses élèves et à ses enfants. L’alcool est à ses yeux l’ennemi N°1. « Un gobelet de ce vin-là contient probablement douze décilitres d’alcool pur, et je ne suis pas assez habitué à ce poison pour en supporter une dose dont l’injection sous-cutanée suffirait à tuer trois chiens de bonne taille. » A la manière de Joseph, nous souhaitons mettre en garde contre les cosmétiques qui contiennent de l’alcool (nom INCI : alcohol), cet ingrédient cytotoxique, exhausteur de pénétration qui est malheureusement utilisé de manière injustifiée dans une trop grande variété de produits cosmétiques.

Où il est question de colle pour réaliser des peintures de sioux : avant Angie la débrouillarde qui propose un masque-maison à base de colle et de charbon (https://theconversation.com/les-masques-au-charbon-sur-la-peau-quelle-drole-didee-71843), il y a eu Marcel, le Comanche ingénieux, dont les « peintures de guerre faites avec de la colle, de la confiture et de la poudre de craies de couleur » donnaient « à cette vie indienne une réalité obsédante. »

Où il est question de résine de pin et d’un effet épilatoire sans comparaison : sans connaître le nom de la colophane, résine obtenue à partir du pin, Marcel fait l’expérience de son efficacité quant à ses propriétés collantes. « La peau de ma joue droite me « tirait ». J’y portai la main, pour la frictionner, mais ma paume y resta collée : en m’appuyant contre le pin, quand les oiseaux bleus m’avaient fait peur, je l’avais enduite de résine. Je savais, par expérience, que si l’on ne disposait pas d’huile ou de beurre, il n’y avait rien à faire, qu’à supporter ces tiraillements, et cette sensation d’avoir une joue en carton. »

Où il est question de coton : celui-ci n’entre pas dans le composition des cosmétiques comme on aime à le faire de nos jours ; il permet d’élaborer, dans l’univers de Marcel Pagnol, « de petits nuages [...] qui restaient accrochés sous les ramures des pins et sur la pointe des broussailles. »

Où il est question d’huile de foie de morue : « une grande cuillérée » pour donner de la force à un écolier qui va passer des examens pour rentrer au lycée.

Où il est question d’un sapin de Noël joliment chargé : « à ses branches étaient suspendus une dizaine de pièges tout neufs, un couteau de chasse, un poudrier, un train à ressort, du fil d’archal pour faire des collets, des sucres d’orge, un pistolet à bouchon, enfin toute sorte de richesses. ». La poudre est le cosmétique par excellence à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Il est présent dans toutes les familles même les moins « cosmétiques ».

Où il est encore question de savon et d’une tendresse maternelle savonneuse : ma mère « vint poser un baiser sur mon front, en tenant ses bras écartés, car ses mains étaient pleines de mousse de savon. »

Marcel Pagnol où une enfance aussi légère qu’une bulle de savon !

Après Proust, Sagan et Maugham, c'est au tour de Pagnol d'être illustré par le poète et plasticien Jean-Claude A. Coiffard. Tout simplement, MERCI !

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