Nos regards
Flâneries dominicales (et cosmétiques !) à l’ombre des jeunes filles en fleurs

> 26 février 2017

Flâneries dominicales (et cosmétiques !) à l’ombre des jeunes filles en fleurs Devant l’accueil que nous a réservé Marcel Proust lors de nos entretiens précédents, nous avons décidé de poursuivre nos échanges avec lui.

Le rouge à lèvres, faut-il en utiliser un peu, beaucoup ou passionnément ? Il doit être utilisé sans excès. Une touche en trop... et c’est la faute de goût. « [...] ma mère pendant trois ans ne distingua pas plus le fard qu’une de ses nièces se mettait aux lèvres que s’il eût été invisiblement dissous dans un liquide ; jusqu’au jour où une parcelle supplémentaire, ou bien quelque autre cause amena le phénomène appelé sursaturation ; tout le fard non aperçu cristallisa et ma mère devant cette débauche soudaine de couleurs déclara comme on eût fait à Combray que c’était une honte et cessa presque toute relation avec sa nièce. »

Le caviar est-il un ingrédient cosmétique qui vous séduit ? Ingrid Millet a été l’une des premières à incorporer les précieux œufs d’esturgeons dans ses cosmétiques. J’avoue que je suis très réticent vis-à-vis de cette mode. A un dîner, en ville, je trouvais, un jour, une assiette « remplie d’une matière noirâtre que je ne savais pas être du caviar. J’étais ignorant de ce qu’il fallait en faire, mais résolu à n’en pas manger. »

Le spray L’Oréal Magic Retouche permet de camoufler les racines blanches des cheveux en quelques secondes, que pensez-vous de ce type de teinture ? La coloration des cheveux pratiquée par les femmes me comble d’aise. Gilberte, m’apparaissait ainsi, tantôt rousse, tantôt blonde. Chez les hommes, en revanche, c’est du dernier ridicule. Albertine Simonet, rencontrée à Balbec, aimait à exercer son sens critique sur les personnes qui nous entouraient. Elle m’avait ainsi fait remarquer un « petit vieux, teint » avec « des gants jaunes ». Avec un air gouailleur, elle avait ajouté : « il en a une touche ». De mon côté, je ne dédaignais pas me moquer du chasseur à la « chevelure orangée », qui trônait devant l’hôtel telle « une plante de serre » qu’il était bon de rentrer le soir afin de la protéger du froid. Tout chez lui attirait la moquerie, de ses cheveux colorés à son « épiderme de plante ».

La mode est aux huiles cosmétiques. Qu’évoquent-elles dans votre mémoire ? Elles évoquent, pour moi, « [...] un vieux monsieur qui », dans un hôtel de passe, aimait à jouer au coiffeur. Il « ne faisait rien d’autre aux femmes que verser de l’huile sur leurs cheveux déroulés et les peigner
ensuite. »

Que pensez-vous du layering ? Je trouve cette technique dont raffolent les Japonaises et qui consiste à empiler les couches de cosmétiques successivement les unes sur les autres totalement ridicule. Mal maîtrisée, le résultat peut être catastrophique. Le directeur du Grand-Hôtel de Balbec en était un fervent adepte. Il était « [...] si soigné par le coiffeur que sa figure fade avait l’air de consister en un mélange où pour une partie de chair il y en aurait eu trois de cosmétique. »

L’hygiène, élément facultatif ou indispensable ? L’hygiène est, bien évidemment, indispensable à toute vie en société. J’ai rencontré, lors de mes nombreuses villégiatures, un certain nombre d’individus qui n’étaient pas vraiment à cheval sur le sujet. Autant, ils étaient exigeants pour les autres, autant ils étaient négligents pour eux-mêmes. « Pour chacun de nous, un dieu spécial est là qui lui cache ou lui promet l’invisibilité de son défaut, de même qu’il ferme les yeux et les narines aux gens qui ne se lavent pas, sur la raie de crasse qu’ils portent aux oreilles et l’odeur de transpiration qu’ils gardent aux creux des bras et les persuade qu’ils peuvent impunément promener l’une et l’autre dans le monde qui ne s’apercevra de rien. » Il ne faut pas écouter ce vilain augure et utiliser tous les produits cosmétiques que l’industrie met à notre disposition. Un bémol pour ces déodorants 96 h qui nous laissent nous installer dans une paresse hygiénique.

Quelle coupe de cheveux vous a le plus marqué ? Celle du duc de Guermantes. Il portait une « brosse coupée ras qui admettait cependant de chaque côté d’assez longues ailes de pigeon ondulées. » Cette coupe, dite mulet, a été, à nouveau, à la mode dans les années 1980. L’acteur Richard Dean Anderson, interprète de MacGyver, en est un exemple de choix.

Finir son maquillage avec une poudre, est-ce utile ? Catégoriquement, non. J’associe, personnellement, la poudre à M. de Charlus. « Une légère couche de poudre », appliquée soigneusement sur son visage, lui « donnait un peu l’aspect d’un visage de théâtre. »

Pouvez-vous définir le teint idéal ? Il n’en existe pas un, mais cent. Dans la station balnéaire de Balbec, j’ai connu un bouquet de jeunes filles dont le teint était comparable à autant de fleurs. L’une avait un teint de « géranium au bord de la mer ensoleillée », une autre un teint de « camélia dans la
nuit », une autre encore voyait sa carnation évoluée au fil des heures, pouvant atteindre le « rose violacé du cyclamen. » J’avais bien des raisons cet été là de m’adonner scrupuleusement à la botanique. Rosemonde, Andrée, Albertine et les autres constituaient, pour moi, un champ d’expérimentation tout neuf.

Si je vous dis cicatrice, vous me dites ? Je vais vous surprendre, vous attendez sûrement que je réponde Covermark, du nom de ces cosmétiques correcteurs qui permettent de masquer les cicatrices et autres taches cutanées. Je répondrai plutôt : le directeur du Grand-Hôtel de Balbec. Encore lui, le pauvre. C’était une « sorte de poussah à la figure et à la voix pleine de cicatrices (qu’avaient laissées l’extirpation sur l’une, de nombreux boutons, sur l’autre de divers accents dus à des origines lointaines et à une enfance cosmopolite) [...] ».

Les cosmétiques épilatoires et dépilatoires vous semblent-ils indispensables ? Bien sûr. Mme Swann qui avait la dent dure et aimait à critiquer ses semblables ne manquait pas de faire remarquer « de grosses attaches, un vilain teint, des poils aux jambes, une odeur pestilentielle, de faux sourcils. » Une épilation soigneuse s’impose donc.

Merci M. Proust pour le temps que vous nous avez accordé.

Une dernière question avant de se quitter : Qu’est-ce qui vous fait craquer chez une femme ? Un grain de beauté. Sur le visage d’Albertine, il était voyageur. Je le voyais « tantôt ici, tantôt là ». Sur la joue, sur le menton, sur la lèvre supérieure, il semblait prendre un malin plaisir à se déplacer mystérieusement. On peut supposer que la belle Albertine utilisait une mouche en taffetas ou qu’elle dessinait sur sa peau à l’aide d’un eye-liner ou d’un fard à paupières une tache sombre simulant un naevus.

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